En voilà un Marocain pas comme les autres : authentique et, chose rare chez-nous, qui n’a pas la langue dans sa poche. Jacob Cohen est un écrivain franco-marocain, de confession ou de culture juive, originaire de Meknès, juriste de formation, romancier engagé et, chose encore plus rare, militant antisioniste. Lors d’un récent entretien partagé sur la plate-forme «You Tube», il nous apporte quelques éléments d’informations fort étonnants sur un pan de notre histoire et, notamment, sur le sort de nos concitoyens juifs, forcés l’exil, déclare-t-il, par le régime marocain, en connivence avec quelques agences sionistes, très actives dans le Maroc des années 1950.
Dans le même entretien, il nous parle aussi des déboires des Juifs marocains avec les élites judéophobes du parti hégémonique de l’Istiqlal (des décennies 1950 et 1960). Les cadres instruits de ce parti voyaient dans la brillante élite marocaine issue de la communauté juive un concurrent direct à ses ambitions et à ses prétentions politiques. Jacob Cohen en avait fait, lui-même, les frais, en raison du dictat d’un doyen de la faculté de droit de Casablanca, qui l’empêcha d’y soutenir sa thèse en 1986.
Pourtant, a tenu à lui rappeler son intervieweur, beaucoup de ces Juifs originaires de notre pays ont tout de même gardé des liens affectifs avec ce dernier et en parlent souvent en termes élogieux. Un fait que Jacob Cohen ne nie pas, mais qu’il a tenu à nuancer en pointant une certaine duplicité dans le discours de ces Marocains de confession juive. Or cette duplicité n’est, d’après lui, que l’exact reflet de leur culture viscéralement marocaine et, plus précisément, de ce trait de caractère qu’on appelle chez nous «Sswâb»; trait par lequel le Marocain a souvent tendance à dire ce qu’il ne pense pas ou, par politesse ou pour plaire à son interlocuteur, à dire ce que ce dernier aimerait entendre.
Pour sûr, la culture de la franchise ou le culte de la vérité ne sont pas des vertus très prisées chez nous, plus particulièrement en politique. Ceux qui les ont adopté comme principes et comme valeurs ont eu énormément de problèmes. Certains ont même fini par le payer trop cher. En somme, dans ce bref entretien, Jacob nous éclaire sur l’abandon par le régime marocain de 99.50 % de ses Juifs, sur le cynisme de cette caste minoritaire des Fassi de l’Istiqlal (par tous les Fassis, bien entendu), sur la justice du « plus beau pays du monde » et, enfin, sur ce trait de caractère bien marocain (Sswâb).
Karim R’Bati : le 19 juillet 2012
BIOGRAPHIE : Jacob Cohen est un écrivain franco-marocain, né dans le Mellah (quartier juif) de Meknès en 1944. Licence en Droit à la Faculté de Casablanca, il poursuit ses études à Sciences-Po à Paris. Émigration à Montréal et à Berlin et retour au Maroc en 1978 où il occupe la fonction de Maître-assistant à la faculté de droit jusqu’en 1987.
Une année auparavant, il venait d’achever une thèse en droit, dont la soutenance lui a été refusée par le doyen de cette faculté pour des motifs pour le moins abjects et ce, sans que le syndicat de l’enseignement supérieur ne lui vienne en aide, ni en sa qualité de membre, de ce même syndicat, ni en sa qualité de citoyen marocain. Fallait-il chercher ailleurs les raisons d’un tel ostracisme ?
En tout cas, Jacob Cohen gardera de ce retour au pays, qui aura duré environ dix ans, des souvenirs impérissables, jalonnés de redécouvertes, de sensations et de belles retrouvailles qui feront l’objet d’un matériau scriptural, particulièrement dense : fait de notes éparses, d’impressions de voyages et autres réflexions qui nourriront son imaginaire d’«entre-deux-mondes».
Jacob Cohen aura publié, à ce jour, pas moins de sept romans : Les noces du commissaire (2000), Moi, Latifa S. (2002), Du danger de monter sur la terrasse (2006), L’espionne et le journaliste, le Mossad mène le jeu (2008), Le printemps des Sayanim (2010), Le destin des sœurs Bennani-Smirès (2011), Dieu ne repasse pas à Bethléem (2012).
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