De Marrakech à Agadir, le tourisme sexuel se développe au Maroc

Le royaume, qui voit débarquer depuis le tsunami en Asie d’anciens habitués de la Thaïlande, veut éviter des scandales publics. Un Français a été condamné dans une affaire de pédophilie

A une journaliste marocaine qui voulait enquêter sur le sujet, la police a conseillé de changer de sujet. La réputation de Marrakech était en jeu. La réputation de la ville risquait d’être éclaboussée par une affaire de pédophilie embarrassante. Le silence l’a donc emporté. Hormis quelques lignes dans de rares journaux, la presse s’est tue.

Pourtant, un homme est mort, probablement assassiné au mois de mai, deux autres sont sous les verrous, et des dizaines d’adolescents victimes de sévices sexuels ont été placés dans des établissements spécialisés.

Tout a commencé par une dénonciation à la police. Un jeune homme d’une vingtaine d’années, Imad Aït Bich, est venu raconter à la mi-mars comment un Français, Hervé L. G., agent immobilier installé à Marrakech depuis plusieurs années, attirait à son domicile des enfants d’une quinzaine d’années à qui il faisait jouer des scènes érotiques devant une caméra. C’est un certain Moustapha qui jouait les rabatteurs. Pour attirer les adolescents, tous issus du même quartier populaire, il leur offrait de menus cadeaux, un peu d’argent ou quelques friandises. Une fois gagnée leur confiance, il les amenait au domicile d’Hervé.

En avril, pendant près de deux semaines, des policiers ont surveillé le domicile du Français. Ils ont recueilli les premiers témoignages, puis sont intervenus, en flagrant délit : un garçon est chez Hervé et la caméra tourne.

La police saisit à son domicile des dizaines de milliers de photos et de courts films enregistrés sur un ordinateur. On y voit la cinquantaine d’enfants recrutés à Marrakech, mais pas seulement. A la grande surprise des enquêteurs, les séquences mettent aussi en scène des adolescents d’origine asiatique et africaine. D’où viennent les images ? L’enquête n’a pas encore permis de l’établir.

La justice a été aussi rapide que clémente à l’encontre du Français, condamné à quatre ans de prison tandis que son complice écopait de deux ans. « Ce n’est pas cher payé » , convient un enquêteur. Il est vrai qu’Hervé ­ qui a fait appel de la décision ­ a reconnu les faits tout en affirmant qu’il agissait seul, qu’il n’appartenait à aucun réseau organisé et que ses photos ne circulaient pas sur Internet.

Est-ce vrai ? Un témoignage le contredit. Celui d’Imad, un jeune homme de 23 ans qui a alerté la police et fourni les coordonnées des victimes. Pour reprendre l’expression d’un policier, Imad, fines lunettes et regard intelligent, était « un homme de la nuit » . Il avait fait de la prison pour escroquerie. Il connaissait bien le Français et son associé. En même temps qu’il se tournait vers la police, Imad avait contacté Le Monde et fourni par écrit des renseignements détaillés. A l’en croire, Hervé était le chef d’un réseau de pédophilie auquel appartenaient des personnalités locales et des Européens installés à Marrakech. Il avait établi une liste de neuf noms.

Que vaut son témoignage ? On ne le saura jamais. Le dimanche 22 mai, au terme d’une course poursuite dans la médina, Imad, talonné par quatre hommes qui le surveillaient, a été retrouvé pendu dans un hangar désaffecté. Pendu ou étranglé ? Un mois après le drame, la police n’a toujours pas transmis les conclusions de l’autopsie à son père, un enseignant. « Il y a eu une chasse à l’homme et mon fils a été poussé au suicide » , clame Aziz. « Imad a sans doute payé parce qu’il nous avait mis sur l’affaire de pédophilie » , ajoute un policier de Marrakech sous le couvert de l’anonymat.

DES DIZAINES D’ENFANTS

D’Imad, son père a conservé le journal qu’il tenait en prison un an auparavant. A la date du 20 septembre 2004, Imad écrivait : « J’ai rien fait de beau (…) et je me retrouve avec un tas de problèmes sur le dos mais, inch Allah, je vais tâcher de mettre au point un programme strict pour sauver ma vie. »

Pour exceptionnelle que soit l’affaire, le détournement de dizaines de mineurs par un étranger n’étonne pas vraiment les habitants de Marrakech. Le tourisme sexuel se développe rapidement dans la ville ocre.

Le tsunami de 2004 en Asie n’a fait qu’accélérer le phénomène : Marrakech a vu débarquer des habitués de la Thaïlande. « La police surveille les riads dans la vieille ville, mais elle ignore ce qui se passe dans les villas de la palmeraie louées une fortune » , lance une Française, Michèle, qui travaille dans une agence immobilière, très exigeante sur la qualité des locataires, insiste-t-elle. Les responsables municipaux sont conscients du phénomène. Le maire de la ville, Omar Jazouli, affirmait ainsi début mai : « Nous ne voulons pas que la ville devienne un rendez-vous de la débauche (…), qu’elle soit étiquetée comme une plaque tournante de la dépravation. »

Le tourisme sexuel n’est pas l’apanage de Marrakech. Une autre affaire, de bien moindre ampleur puisqu’elle implique des femmes adultes, a éclaté ces dernières semaines à Agadir. Tout est parti de cédéroms de photos pornographiques vendus dans des boutiques de la cité balnéaire. Les dizaines de filles qui posaient étaient des habitantes d’Agadir. Elles ont déclaré à la police avoir été abusées par un Belge familier de la ville, qui leur promettait mariage et vie meilleure en Europe.

Diffusées sur un site Internet, les photos, prises entre 2001 et 2004, ont été récupérées par des tiers avant d’être vendues sous le manteau. Le code pénal marocain réprimant la pornographie, même à caractère privé, douze femmes ont d’ores et déjà été condamnées à des peines de prison (jusqu’à un an). D’autres sont en fuite. D’autres encore attendent d’être fixées sur leur sort.

Par Jean-Pierre Tuquoi (avec Jean-Pierre Stroobants à Bruxelles)

Le Monde : 21 juin 2005

Tags : Maroc, tourisme sexuel, prostitution, pédophilie,

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