Maroc : D’où vient le riad du couple DSK-Sinclair?

De notre envoyé spécial Boris Thiolay

DSK et Anne Sinclair ont acheté ce petit palais du XIXe siècle en octobre 2000 pour un peu moins de 500 000 euros. Avant d’y entreprendre d’importants travaux. L’Express dresse l’histoire de cette demeure.

A 500 mètres de la célèbre place Jemaa el-Fna, le quartier Sidi Mimoun est un havre de tranquillité. Après avoir longé le palais du roi Mohammed VI, gardé par des sentinelles en uniforme d’apparat, il faut s’enfoncer dans l’une de ces ruelles tortueuses de la médina de Marrakech. Des gamins tapent dans un ballon et interpellent gaiement quelques touristes égarés. A côté de la mosquée, une façade discrète, peinte en rose et blanc. Seule la hauteur de la porte en bois, à double battant, permet de supposer qu’elle s’ouvre sur une riche demeure traditionnelle, dotée d’un patio, avec fontaine et jardin arboré.

Depuis la rue en impasse, orientée au sud, impossible de savoir jusqu’où s’étend cette propriété. Mais c’est bien ici que se trouve l’entrée du riad où Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair viennent se reposer, deux ou trois fois l’an, en famille. Ils y reçoivent à l’occasion les barons de la « Strauss-Kahnie » – Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Paul Huchon -, les conseillers en communication Stéphane Fouks et Ramzy Khiroun, et les vieux amis: l’avocat Jean Veil, le chanteur Patrick Bruel, le journaliste Michel Field ou le philosophe Bernard-Henri Lévy, propriétaire de l’immense palais de la Zahia, deux pas plus loin.

Bien sûr, ces rares privilégiés sont d’une discrétion exemplaire sur le logement du couple DSK-Sinclair. Ce qui a pour effet d’alimenter la machine à fantasmes: ce riad -le jardin, en arabe- serait digne d’un « conte des Mille et Une Nuits », avec son immense parc et son labyrinthe d’alcôves toutes plus luxueuses les unes que les autres…

La résidence sert de « base arrière » à Dominique Strauss-Kahn et à son épouse, qui viennent s’y reposer plusieurs fois par an.

Anne Sinclair précise régulièrement qu’elle a acheté ce petit bijou grâce aux indemnités de départ que TF1 lui a versées. Dans un ouvrage paru en 2006, Dominique Strauss-Kahn fournissait une autre explication: « Anne possédait une maison à Valbonne, dans le Midi. […] Elle l’a revendue pour acheter, il y a cinq ans, un riad au coeur de Marrakech. Tout était à refaire. Il n’y avait ni eau ni électricité. Aujourd’hui, c’est parfait. Marrakech, c’est ma base arrière. »

Dans le voisinage immédiat, personne ne semble connaître l’identité des propriétaires actuels. Cependant, le vénérable Mohamed, qui tient depuis des lustres une petite échoppe, se souvient que « la maison a changé plusieurs fois de mains. Autrefois, elle était habitée par une grande dame de Marrakech ». D’ailleurs, tout le monde ici connaît la demeure sous le nom de Dar Cherifa: littéralement, la maison d’une femme noble, appartenant à la famille royale, et descendant en ligne directe du prophète Mahomet…

Un jardin très secret pour un véritable rêve d’Orient

Une résidence princière, donc. Certes, la famille Strauss-Kahn-Sinclair n’est pas la plus somptueusement lotie au sein des happy few européens de Marrakech. Un ancien secrétaire d’Etat français, Thierry de Beaucé, exploite, en compagnie d’un associé, un hôtel de luxe avec jardin, sur 3500 mètres carrés. Un héritier de la maison Hermès possède un riad pharaonique, avec piscine sur le toit et ascenseur. Mais la demeure marrakchie d’Anne Sinclair et de DSK a d’autres charmes: plus que d’un riad, ils jouissent en fait d’un « petit » palais du XIXe siècle. Un jardin très secret, dont l’histoire, l’emplacement et la valeur composent un véritable rêve d’Orient.

« Ils ont fait une très bonne affaire », commente malicieusement un Marrakchi, fin connaisseur du business des riads de luxe.

Le premier occupant dont la tradition a retenu le nom fut le cadi Si Mustapha, l’un des quatre principaux juges de Marrakech. L’homme, expert en droit musulman, épouse une parente du sultan Hassan Ier, qui régna de 1873 à 1894. C’est ainsi que la demeure a acquis ses titres de noblesse. C’est aussi ce qui explique sa situation géographique, à proximité du mausolée de Youssef ben Tachfine, le fondateur de Marrakech, de la grande mosquée de la Koutoubia et du palais royal.

Transmise au fil des générations, elle est enregistrée pour la première fois au cadastre en avril 1944, sous la dénomination de « riad Moulay Abdallah ». Superficie au sol: 1270 mètres carrés. Elle vaut alors 51 200 dirhams, une petite fortune à l’époque. Après la mort, en 1988, de Lalla Aïcha, une descendante de Si Mustapha, les héritiers décident de s’en séparer. Un entrepreneur juif marocain en fait l’acquisition un an plus tard, pour la somme de 1,9 million de dirhams (167 000 euros). La propriété comprend huit pièces, plus un salon et une cuisine, ouvrant sur deux patios avec jardins.

Durant les années suivantes, l’ensemble change encore deux fois de propriétaire. En 1997, il devient le pied-à-terre de Laura Gomez, ex-femme de Kyle Eastwood, le fils du grand Clint. C’est finalement le 30 octobre 2000 qu’Anne Hélène Sinclair et Dominique Gaston Strauss-Kahn l’achètent. Selon un document marocain officiel que L’Express a pu consulter, Madame possède neuf dixièmes des parts. Montant de la transaction: 5,5 millions de dirhams (moins de 500 000 euros). « Ils ont fait une très bonne affaire », commente malicieusement un Marrakchi, fin connaisseur du business des riads de luxe.

Une vue imprenable sur le minaret de la Koutoubia

Combien vaut une telle propriété aujourd’hui? « Tout dépend des travaux de rénovation effectués, indique un agent immobilier français installé dans la ville ocre. Quoi qu’il en soit, une demeure de cette dimension, dans la médina, est extrêmement difficile à trouver aujourd’hui. Même à rénover entièrement, ce genre de bien ne se négocie pas à moins de 3 millions d’euros. »

Les travaux d’embellissement ont d’autant plus dopé la valeur de ce petit palais qu’ils ont été effectués dans les règles de l’art. Le couple a fait appel aux meilleurs artisans locaux pour restaurer à l’identique les plafonds en cèdre, les stucs et les zelliges, ces petits carreaux colorés d’argile émaillée dont on décore le sol et les murs. Le chantier a duré environ 18 mois. A ce propos, un témoin rapporte une scène cocasse : « En 2002, on a apporté le permis d’habiter au maire de Marrakech, pour qu’il le signe de toute urgence. Ce qu’il a fait, le parapheur posé sur le capot d’une voiture garée devant l’hôtel de la Mamounia. »

L’aile nord de la propriété borde un terrain en friche convoité par les promoteurs. Mais les projets immobiliers y sont tous refusés.

Que cachent réellement les grandes portes du riad? L’entrée, encadrée par deux colonnes de marbre, débouche sur une première cour intérieure, bordée, sur deux côtés, d’appartements de plain-pied. C’est l’endroit réservé aux invités. Le tout est embelli par une végétation luxuriante, à l’ombre d’un énorme palmier. Au-delà de cet espace doté d’une piscine, on pénètre dans la demeure proprement dite. Les salons et appartements du couple se distribuent au rez-de-chaussée et à l’étage, sur quatre côtés, autour d’un deuxième patio intérieur. Là, une fontaine centrale, des parterres de cyprès, orangers, bananiers et rosiers apportent fraîcheur et agrément. L’ensemble est chapeauté par une grande pergola.

Dans son riad -symbole du paradis sur terre dans la tradition arabo-musulmane-, le couple ne risque pas d’être dérangé par de nouveaux voisins. L’aile nord de la propriété est longée par un vaste terrain en friche très convoité par les promoteurs immobiliers, car proche de lieux prestigieux (Mamounia, mausolée, etc.). Mais tous les projets sont systématiquement refusés. Surplombant cet étrange no man’s land, un balcon couvert, à l’angle du riad, offre une vue imprenable sur le minaret de la Koutoubia. Lors de ses séjours à Marrakech, accoudé à la balustrade, peut-être DSK songe-t-il à un autre palais.

L’Express, 11/05/2011

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