L’attrait qu’exerce une ville comme Marrakech sur l’élite française ne s’explique pas seulement par la beauté de ses sites ou le climat agréable qui y règne. La discrétion et l’impunité sont des atouts considérables. « Je ne suis pas sûr que DSK aurait été traîné dans les commissariats et les tribunaux du royaume, comme il l’a été à New York, s’il avait eu le même comportement avec une femme de chambre dans un hôtel à Marrakech, confie à l’auteur un responsable de la police marocaine. Des instructions précises nous recommandent de fermer l’œil lorsqu’il s’agit d’hommes politiques étrangers, notamment français. Certes, on fait des rapports détaillés, on collecte des éléments… mais sans plus. »
Le 31 mai 2011, l’ancien ministre français de l’Éducation nationale, Luc Ferry, provoque un séisme politico-médiatique en déclarant lors d’une émission sur Canal+ qu’il « sait » qu’un « ancien ministre s’est fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons ». De quel ministre
s’agissait-il ? « Probablement nous savons tous de qui il s’agit », rétorque l’ancien ministre, avant d’ajouter : « Moi je le sais, je pense que je ne suis pas le seul […] L’affaire m’a été racontée par les plus hautes autorités de l’État, en particulier par le Premier ministre [à l’époque Jean-Pierre Raffarin] […] Moi, je ne demande pas des preuves. J’ai des témoignages : un des membres du cabinet, au plus haut niveau, et puis des plus hautes autorités de l’État au plus haut niveau. »
La déclaration fait froid dans le dos. Une enquête est ouverte en France le 3 juin 2011. Certes, Luc Ferry a été auditionné pendant une petite heure par la brigade de protection des mineurs de Paris, mais aucune suite judiciaire n’a été donnée à cet entretien. Au cours de son audition. Ferry aurait affirmé qu’une enquête avait été menée par les ex-Renseignements généraux (français) et aurait abouti à « des éléments » sur cette affaire.
À l’époque où les faits relatés par Luc Ferry se sont déroulés, le patron du RG français était Yves Bertrand, un proche de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin. Lorsqu’il faisait la promotion de ses Mémoires— parus en 2009, M. Bertrand avait dénoncé à plusieurs reprises « la pédophilie supposée d’un ancien ministre de la République » et déclaré avoir alerté à maintes reprises sa hiérarchie sur des faits similaires à la scène décrite par l’ancien ministre de l’Éducation nationale. Y a-t-il un lien entre les deux faits ? Nos sources à Marrakech sont formelles : il s’agit bien d’un « ancien ministre français » mais aucune indication sur son identité ne peut être avancée en l’absence de preuves matérielles. Lors de l’émission de Canal+, M. Ferry confirme d’ailleurs cette donne qui impose une omerta quasi permanente : « La loi du silence s’impose également aux journalistes qui ne peuvent pas dire les choses qu’ils savent. Et je pourrais vous donner beaucoup d’exemples que vous connaissez comme moi parce que vous tombez sous le coup de la diffamation ! Le problème c’est : est-ce qu’on veut une presse qui fait fi du principe de la diffamation et du respect de la vie
privée, ou pas ? Est-ce qu’on veut une presse à l’américaine ou pas ? Nous n’en voulons à aucun prix, pour l’essentiel des journalistes que je connais. »
Quelques jours avant les propos de Luc Ferry, un petit encadré passé inaperçu dans Le Figaro Magazine décrit des faits qui ressemblent étran¬ gement à ceux rapportés par le ministre-philosophe : « Il y a quelques années, des policiers de Marrakech effectuent une descente nocturne dans une villa de la Palmeraie où une fête bien spéciale bat son plein. Les participants, des Français, sont surpris alors qu’ils s’amusent avec de jeunes garçons. Un ancien ministre aurait fait partie des adultes. Le consul de France local est aussitôt avisé, qui informe à son tour l’ambassade à Rabat. L’affaire est rapidement arrangée et “l’excellence” libérée sur-le-champ […] Faute d’éléments de procédure ou de témoignage, la loi nous interdit légitimement de nommer le personnage. »
Une enquête a été également ouverte au Maroc après les déclarations de Luc Ferry. Selon un magistrat qui a requis l’anonymat, les autorités judiciaires du royaume « auraient pu auditionner l’ancien ministre car les accords entre les deux pays le permettent et parce que les victimes présumées sont des “jeunes garçons marocains” selon les propres mots de M. Ferry. De surcroît, les faits se sont déroulés à Marrakech, au Maroc— ».
Mais là aussi aucune suite n’a été donnée après l’ouverture de l’enquête judiciaire, et, contrairement à ce qui s’est passé en France, personne n’a été auditionné.
42 . Inscrite en 2008 au patrimoine culturel de l’humanité par l’Unesco.
43. Jean Germain a été maire (socialiste) de Tours de 1995 à 2014 et sénateur d’Indre-et-Loire de 2011 à son suicide le 7 avril 2015, premier jour du procès de l’« affaire des mariages chinois » dans lequel il était mis en examen.
44 . Entretien avec l’auteur à Marrakech, avril 2015.
45 . Entretien avec l’auteur à Marrakech, avril 2015.
46 . ledesk.ma, 27 janvier 2016.
47 . L’affaire du Carlton a été révélée en 2011 et elle tourne autour des activités de René Kojfer, chargé des relations publiques des hôtels Carlton et organisateur de « parties fines » pendant lesquelles plusieurs personnalités, dont DSK, à l’époque patron du FMI, avaient profité des services de prostituées. Le procès, tenu en février 2015, s’est conclu par la seule condamnation de René Kojfer. En mai 2011, une autre affaire, plus médiatisée, avait mis en cause DSK et conduit à son arrestation aux États- Unis : l’agression sexuelle présumée contre Nafissatou Diallo à l’hôtel Sofitel
de New York, où elle était employée comme femme de chambre.
48 . Voir l’excellent reportage de Boris Thiolay dans L’Express (11 mai 2011).
49 . Paris Match, 20 juin 2015.
50. Élisabeth Guigou, « Me connaître », www.elisabeth-guigou.fr/category/me-connaître.
51 . Entretien à La Tribune, 25 janvier 2016.
52 . En février 2014, la justice française met en cause le patron du Renseignement marocain Abdellatif Hammouchi pour « complicité de torture » contre des ressortissants franco-marocains. C’est le début de Tune des crises diplomatiques les plus profondes depuis la parution de Notre ami le roi (1990), le livre de Gilles Perrault. Pour sortir de l’impasse, le Parlement français adopte un projet de loi qui oblige le juge français à se dessaisir, au profit de son homologue marocain, de tout dossier impliquant des personnalités politiques du royaume. Le texte, appelé « protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire entre le Maroc et la France », a été porté à bout de bras par Mme Guigou, jusqu’à son adoption définitive en juin 2015.
53 . « Vive le roi », par Bernard-Henri Lévy, Le Point, 1 er septembre 2016.
54. Georges Bensoussan, Juifs en pays arabes, le grand déracinement, Paris, Tallandier, 2012.
55. Voir son entretien sur le site www.cclj.be, 17 décembre 2017.
56 . Au moment où ces lignes sont écrites, la fortune du roi Mohammed VI est évaluée à 5,7 milliards de dollars par le magazine américain Forbes.
57 . Voir Ignace Dalle, Hassan II, entre tradition et absolutisme, Paris, Fayard, 2011, p. 521 et suiv.
58 . Entretien au Figaro Madame, 9 novembre 2010.
59 . Né à Fès en 1952, Driss El Yazami incarne ces anciens gauchistes domestiqués avec l’arrivée au pouvoir de « M6 ». Après avoir quitté discrètement le Maroc à la fin des années 1970, il intègre les cercles militants de la gauche française et devient vice-président de la FIDH. Il est aujourd’hui
le président du Conseil national des droits de l’homme (nommé par le roi) et un promoteur actif du palais.
60. Najat Vallaud-Belkacem, La vie a plus d’imagination que toi, Paris, Grasset, 2017.
61 . Le Conseil supérieur des Oulémas est l’instance suprême de l’islam officiel au Maroc. Il est présidé par le roi et dispose d’antennes dans la plupart des villes. Sa principale mission consiste à émettre des fatwas sur les aspects les plus divers de la vie en société. En 2014, l’une d’elles autorise les juges à condamner à mort tout Marocain (supposé musulman depuis sa naissance) ayant changé de religion.
62. Par ailleurs, Veolia est présent au Maroc depuis 2002 via des contrats de gestion déléguée dans les domaines de la distribution d’eau, d’électricité, et de gestion de l’assainissement (Amendis à Tanger et Tétouan, au nord ; Redal à Rabat, etc.).
63. Quelques jours après la demande du juge Ramaël, le ministre marocain de la Justice, à l’époque Mohamed Bouzoubâa (de l’Union socialiste des forces populaires, le parti de Ben Barka), a répondu que les autorités marocaines ne connaissaient ni l’adresse du général Benslimane ni celle de Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki.
64 . Entretien avec l’auteur à Paris, janvier 2017.
65 . Extrait de la déclaration de Patrick Ramaël dans l’excellent documentaire L’Obsession, réalisé par Joseph Tuai et diffusé par France 3 en septembre 2015.
66 . Marie Jocher et Alain Kéramoal, Jamel Debbouze, la vérité, Paris, Seuil, 2008, p. 100.
67 . « Jamel Debbouze, le bouffon du roi », dossier consacré au comique par Marianne, le 24 novembre 2016.
68 . Marie Jocher et Alain Kéramoal, Jamel Debbouze, la vérité, op. cit., p. 233.
69. Entretien avec l’auteur.
70 . Yves Bertrand, Ce que je n’ai pas dit dans mes carnets. Entretiens avec Frédéric Ploquin, Paris, Fayard, 2009.
71 . Entretien avec l’auteur à Marrakech, le 22 mai 2016.
Source : Le Roi prédateur
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