– Où est l’autre livre ?
– Quel livre ? Il y en a plusieurs dans ma cellule. Quel titre voulez-vous ?
– Allez enlève tes vêtements.
Le directeur est là en face de moi. Il est entouré de plusieurs chefs dont celui de détention. Le couloir est très sombre. Tout juste deux ampoules de vingt watts, chacune à une extrémité. Sur quelques portes il y a une grosse écriture à la craie que je n’arrive pas à déchiffrer.
Je me déshabille. J’hésite, mais il m’ordonne de continuer. Le tee-shirt aussi. Non, il faut enlever même le slip.
Ils font de la place et un planton me tend autre chose. J’ai terriblement froid et j’ai peur de ce qui va suivre et que j’ignore. J’enfile un vieux pantalon usé et coupé à ras des genoux. Il n’a pas non plus de boutons à la braguette. La veste, elle, ressemble à un gilet. Elle n’a ni boutons ni manches.
-une dernière fois dis-moi où est l’autre livre, à qui tu l’as remis. Sinon tu vas rester là toute ta vie. Même quand tu auras envie de parler nous ne te sortirons pas de là, car le livre, nous le trouverons… Mettez-le dedans !
Quand ils repartent, je regarde autour de moi, un peu comme pour prendre possession des lieux. Quelques instant d’abord pour que mes yeux s’adaptent. Le couloir sombre était mieux éclairé.
C’est ça un cachot. Quatre mètres sur deux. Il est très bas, tout juste un peu plus de deux mètres de hauteur. Le sol est nu et suit une grande pente qui de tous les côtés converge vers le trou des aisances. Celui-ci est bouché, et de l’urine est répandue partout. Les murs sont très sales. J’ai l’impression d’être dans une grotte datant des âges préhistoriques. Des dessins rupestres d’un autre monde se chevauchent. Dieu et l’enfer, la malédiction et l’amour, des corps de femmes nues et Eros transperçant un cœur. Tous cohabitent dans cet endroit. Ils sont écrits ou dessinés avec les déchets humains.
Je tourne en rond. J’ai froid. J’ai peur et l’angoisse m’étreint. Soudain j’entends mon nom à plusieurs reprises. C’est une voix familière. Mais il me faut quand même du temps pour réagir, aller au petit judas de la porte, et scruter le couloir.
– C’est moi, Srifi. Je suis en face, mais à deux cachots à droite du tien. Tiens, est-ce que tu vois le bout de mes doigts ?
C’est dommage que lui aussi soit là –et il y est en tout cas avant moi – mais la compagnie soulage et réconforte. Lui aussi devait être sûrement heureux d’avoir ma compagnie. Cela faisait plus de deux moi que nous n’étions pas vus. Notre groupe avait été scindé en deux et répartis sur les deux autres groupes des quartiers Alif-un et Alif-deux qui étaient isolés l’un de l’autre. Nous formions tous le groupe des cent trente neuf du procès de Casablanca.
Chaque jour nous échangions quelques paroles, des nouvelles. C’était surtout Mohamed qui prenait l’initiative. Même dans un endroit pareil il n’est jamais coupé du monde. Il a été amené là parce qu’on a trouvé sur lui des coupures de journaux dont il n’a pu justifier l’origine. La fouille l’avait pris par surprise.
Kacem, un détenu de droit commun, était dans un autre cachot. Ils étaient sept à avoir tenter de s’évader. L’alerte avait été donnée alors qu’ils se trouvaient tous ensembles au sommet des murs. Il n’était plus question de s’entraider pour descendre avec la corde. Un seul a put s’échapper. En sautant du haut des remparts cinq avait eu des fractures et étaient encore maintenus à l’infirmerie. Kassem, lui, bien que mal en point, avait été amené directement au cachot après plusieurs séances de falaqa. Maintenant, il était en grève de la faim depuis déjà plus de vingt cinq jours. Il revendiquait les droits du cachot. Il m’a fallut beaucoup de temps pour comprendre que de son point de vue nous avions une situation très enviable. On ne lui avait laissé que son slip. Il était maintenu debout, les menottes aux mains, derrière le dos et attachés à un anneau fixé au mur. A titre de protestation supplémentaire il avait profité d’un instant – où on lui avait libéré les mains et essayer de le convaincre de manger – pour enlever son slip et refuser de le remettre. Chaque jour des gardiens l’insultaient pour sa nudité totale, le qualifiant de ne pas être un humain.
Il nous était difficile d’assumer sa situation. Il allait à la mort. Nous essayâmes de le convaincre d’arrêter la grève. Il nous opposait nos propres grèves. Mais qui au monde aurait pu se soucier de lui. Il finit par arrêter après avoir gagné un acquit. Il ne serait plus attaché à un anneau et aurait les menottes aux mains à l’avant du corps.
Le premier jour de mon arrivée vers la fin de l’après-midi et alors que je tournais toujours en rond, j’entendis qu’on ouvrait les portes une à une. Le gardien était accompagné de deux plantons qui portaient la grosse marmite et les c.t.m. Ce nom vient du fait qu’un détenu reçoit de l’administration un bol et une gamelle. Le bol étant appelé quart mais compris comme le mot «car» comme «car de transport », l’humour des détenus les a fait appeler la gamelle du nom de C.T.M., la compagnie de transport.
La porte s’ouvrit juste assez suffisamment pour qu’une main puisse faire passer la gamelle et la poser sur le sol. Puis continua le rythme des bruits secs des serrures qu’on ouvrait et refermait.
Comme il n’y avait pas de meilleur endroit pour la gamelle je la laissais à sa place, près de la porte, et m’absorbait à nouveau dans mes pensées.
Le bruit des serrures n’en finissait pas. Il m’avait semblé que nous n’étions que trois d’après mes discussions avec Srifi et Kacem et qu’en tout cas qu’il n’y avait en tout et pour tout que huit cachots. Les bruits se rapprochaient et je ne songeais même pas à aller regarder. Puis la porte se rouvrit à nouveau et une main se tendit et enleva la gamelle. Quand je réagis, il était trop tard, la porte s’était déjà refermée. Le gardien me lança : « la prochaine fois tu boiras ta soupe avant qu’on fasse le tour et qu’on revienne la prendre.»
Quelques instant après on m’apporta une couverture. Il fallait me voir cette nuit là. IL fait très froid. M’enrouler dans cette pauvre couverture usée ne donnait rien. La plier plusieurs fois sur une largeur de trente centimètres pour m’allonger dessus sur le coté et rester le corps droit. Garder un petit bout de couverture pour l’étirer au tour du corps. La plier carrément pour qu’elle puisse protéger juste le dos, et se mettre prés du mur pour garder les jambes à la verticale et les fesses sans appui. Aucune astuce ne marche et c’est désespérant.
Une où deux fois le sommeil me prit. Certainement pas longtemps car la brûlure du froid me réveillait avec sursaut. Ou alors c’était le gardien qui hurlait jusqu’à ce que je me lève. Histoire de s’assurer que j’étais encore vivant, disait-il. Mais certainement le meilleur moyen d’empêcher les gens de dormir. Et j’endurerais cette pratique presque toutes les nuits et à chaque heure durant toute la période de seize jours que je passerais la bas.
Le matin arrive. Il commence à faire moins froid, et on sent délicieusement le corps s’assoupir. La porte s’ouvre. Il faut rendre la couverture, et ne la récupérer à nouveau que le soir. C’est-à-dire qu’on vous la donne quand elle est insuffisante pour vous protéger. Et quand le jour arrive et que vous risquer de dormir, on vous la retire.
Au bout de quelques jours, mon corps finit par s’adapter à dormir de jours comme de nuit avec ou sans couverture.
Le froid m’habitait.
Plus tard ? Bien plus tard, quand je m’installais dans la dernière cellule au fond du couloir du quartier Alif-2, sous laquelle se trouve ce quartier des cachots, il m’arrivait souvent de ne pas dormir car j’entendais que quelqu’un en bas ne cessait pas de tourner en rond tout au long de la nuit. Je me sentais coupable de ne pouvoir l’aider. Quand j’étais passer par là, c’était l’été. Pour d’autres c’était en hiver.
Mais pire était l’humiliation. Ne pas disposer d’eau. Passe pour boire. Une bouteille était posé dehors à côté de la porte. Il suffisait d’attendre le passage du gardien. Je lui demandais et il prenait la bouteille, introduisait son goulot entre les barreaux du petit judas de la porte et versait de l’eau directement dans ma bouche. Mais pour me laver, il n’y en avait pas. Après avoir fait mes besoins naturels, je déchirais un morceau de tissus du pantalon et je m’essuyais avec. Heureusement on me fit sortir du cachot alors que le pantalon tenait toujours.
Je jetais le torchons avec lequel je m’étais essuyé bien à l’écart mais le trou était toujours bouché. L’urine et tous les déchets restaient là devant moi.
Dés le lendemain du premier jour, alors que je m’étais familiarisé avec le couloir, je pus lire sur la porte de Srifi, écrite à la craie, la date de sa sortie. Chaque jour je lui demandais si on avait écrit quelque chose sur la mienne. Non toujours rien.
Comme toujours, dans des cas pareils, nous sommes toujours amené à réfléchir sur le pourquoi de ce qui nous a mis dans cette situation. Quelle bêtise, cette histoire de bouquins. Surtout l’usage du « Défi » Ecrire un message dans un livre qui, par le nom de son auteur(le roi), par son titre, et par la nature des annotations que j’avais faites sur ses marges, ne pouvait qu’attirer l’attention. Le message concernait l’usage à faire d’un autre livre.
Je les avais remis à l’administration pour qu’il soient rendus à ma famille. « Le Défi » fut saisi à cause des remarques écrites sur ses marges. Ce n’est qu’après que l’administration découvrit qu’il était porteur d’un message. Mais certainement elle ne savait pas si le second livre dont il était question était sortie ou pas.
Quelle bêtise, pour quelqu’un censé avoir l’expérience des méthodes de la clandestinité ! Et maintenant que va-t-il arriver à ma famille ?
Mais dans les pires situations il y a toujours quelqu’un pour vous réconforter. Un jour un gardien m’appela vint me saluer avec chaleur et me demander si j’avais besoin de quelque chose de précis. Oui, des cigarettes. Je fis sa connaissance. C’était lui qui apportait les coupures de journaux dont certaines avaient été trouvées sur Srifi. Les pratiques à l’encontre des détenus le rendaient malade. Il arrivait que le directeur descendait dans les quartiers accompagné de ses chefs, choisissait un prisonnier parmi les plus récalcitrants, lui liait les mains derrière le dos et se mettait lui même à le boxer….Ce gardien démissionnera un an plus tard, et en 2000,l’année dernière, je le revus à une rencontre de Forum pour la Vérité et l’Equité. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite et il en a eu les larmes aux yeux. Comme lui, il y en a beaucoup, et ils ne seront jamais indemnisés.
Un alors que j’appelais Srifi c’est Kassem qui me répond. Mohamed est parti. C’est un coup dur. Enfin, il ramènera des nouvelles de moi et où je suis.
Le soir, c’est notre ami le gardien qui est de service. « Tiens, Zaâzaâ, c’est pour toi . Srifi, n’est pas loin. Il est dans le quartier de l’isolement. Il a ses affaires et peut recevoir des paniers.
Cette nuit là, c’est la fête. Un gros morceau de « parisienne » avec des sardines de boite de conserve. Du thé dans une petite bouteille plate de shampoing. Elle était plate parce qu’il fallait pouvoir la passer à travers les barreaux. Un thé qui a le goût du shampoing c’est très bon.
Le gardien revient avec des cigarettes et encore du thé.
Et tout ça ne provenait que du troc. Quand le jour suivant, il reçut le panier de sa famille, c’était encore autre chose de meilleur. Je recevais chaque nuit mon ravitaillement. Srifi a vraiment l’art des négociations. Tous les gardiens acceptaient de faire les courses.
Cette nouvelle situation aussi belle soit- elle je la vivais avec inquiétude. J’étais devenu dépendant. Et finalement arriva ce qui devait arriver. Srifi est reparti pour de bon cette fois.
Plus aucun lien, sauf avec notre ami le gardien qui n’était pas tous les jours là. C’est le labyrinthe. De tout ce que je décrit aujourd’hui depuis mon enlèvement c’est peut être le seul instant que ma mémoire refuse de me restituer. Et pourtant ça n’avait pas duré longtemps. En tout et pour tout je n’ai passé dans les cachots que seize jours !
L’isolement
Un jour c’est mon tour. On m’emmène à l’isolement. Ce dernier se trouve entre le quartier des cachots et celui des condamnés à mort. Ils sont tous les trois traversés par un même couloir. On y accède par une seule porte et ils sont aussi surveillés par les mêmes gardiens.
Dans la cellule qu’on m’a réservée, je trouve toutes mes affaires emballés ainsi qu’une paillasse et deux couvertures. Je m’habille et m’allonge. Peu à peu une douce chaleur m’envahit. Une sorte de frémissement agréable agite les cellules de mon corps.
La cellule est mieux éclairée, plus spacieuse et aérée…Et enfin je mange à toutes les heures de repas.
Au cours de la même semaine je reçois un panier de ma famille. C’est un bonheur d’avoir tant de chose à mange et à goûter. Du café, des cigarettes. Mais, aussi, je culpabilise. Qu’ont-ils à gagner, eux, tous les membres de ma famille, à me suivre ainsi. Deux visites par semaine. Une fois c’est toujours ma mère et la seconde c’était à tour de rôle mes sœurs, mes frères, mes beaux-frères mes belles sœurs, mes nièces et mes neveux. Et puis aussi les cousins, les voisins, les amis de la famille. Ils continuent à venir même si la visite leur est interdite.
Ma mère avait déjà à l’époque quatre-vingts ans environ. Elle est née à ouled frej dans les doukkalas. Elle se rappelle, quand, alors qu’elle était toute petite, se répandit l’annonce du débarquement français à Casablanca. Elle se maria avec son cousin, mon père. Ils étaient tous deux hilaliens. Mais si elle, comme ses sœurs, était appelée la fille du Hilali, lui c’était le fils de l’Oranais. Il est né, lui, selon les dires de tante Rqia, l’aînée de ma mère, dans le pays de Wast(l’Algérie) dans la région d’Oran, un an avant la mort du sultan Moulay Hassan. Son père, l’Oranais, était en fait un doukkali, parti de chez lui encore jeune pour rechercher la science, mais aussi pour des raisons de tribut, la nayba, que les gens n’arrivaient plus à payer. Il se retrouva fqih dans la tribu des Ben Zaâzouâ et se maria avec la fille d’une puissante famille.
Son lieu d’office, le jamaâ, étant un endroit auquel avaient recours les voyageurs demandant à être les invités de Dieu, il reconnut, un jour, parmi l’un d’eux, un vieux monsieur, noir, creuseur de puits, qui lui rapporta des nouvelles de Tamou sa mère que tout le monde dans la tribu plaignait, tant elle ne finissait pas de filer la laine et de réciter des chansons sur ce fils dont elle n’avait plus de nouvelles.
De passage en passage, le compagnon creuseur de puits rapportait des nouvelles plus fraîches, et un jour le fqih décida de rentrer au pays. Son épouse, Khaïra refusa de le suivre et il s’ensuivit un litige à propos de leur bébé. Recours au tribunal et le juge français donna raison au mari. Si la femme ne voulait pas suivre son mari, elle ne pouvait pas s’opposer à ce qu’il emmène avec lui son fils.
De peur d’être suivi et qu’on lui enlève son garçon, celui qui à son retour s’appellera l’Oranais, se mit à voyager de nuit et se cacher le jour. Le pays était en rébellion. Il n’y avait de sécurité nulle part. Pour éviter d’être rattraper par ceux qu’il supposait être à sa chasse, ses beaux-frères et leurs hommes d’arme il prit, à partir de Fès, la route de Tanger d’où il embarquât sur un bateau pour EL jadida.
L’enfant n’oublia jamais. Et son père lui aussi ne cherchait pas à lui faire oublier mère. Chaque fois qu’il se fâchait avec sa belle-mère, l’Oranais lui disait : « Aller va seller l’ânesse, on rentre chez Khaïra ». Lui aussi l’appellera de son prénom et ne dira jamais ma « mère ».
Les parents de ma mère, Bacha, habitaient le douar des Aâbbaras. Son père, à elle, Mohamed Lahlali, était lui aussi, Fqih. Une fois il avait pris contrat dans un autre douar. Et il l’avait emmener avec lui. Habillée en garçon, on l’appelait Salah.
Elle n’avait que des sœurs et aussi Khouyyi unfrère dont son père avait toujours refusé de reconnaître la paternité et qui habitait avec sa mère. Adolescent, il venait souvent à la maison. Une fois il était même rester très longtemps, puis il est reparti chez ses grands-parents maternel, tout continuant à revenir de temps en temps.
Une nuit Lahlali entendit du bruit dehors. Il prit son fusil et sorti. Il n’y avait pas de lune. Impossible de voir quoi que se soit. Soudain, une pierre frappe contre le mur et tombe à ses pieds. Il reconnaît cette pierre. Elle se trouve d’habitude prés du pic d’attache de l’âne. Alors il vise approximativement cette direction et fait feu. Puis plus rien ne se passe.
Le matin, de bonheur, Il va voir. Il y a du sang et les traces de quelqu’un qui traversait le champs. Une vieille femme est chargée d’aller aux nouvelles. Elle ne revint que le soir. Elle avait parcouru plusieurs douar avant de trouver. L’homme de la veille était un voleur notoire ; Bléssé, il est mort chez lui le jour même. Sa famille parlait de vengeance. Mais il fallait d’abord l’enterrer.
Lahlali, lui craignait pour ses filles et sa femme qui pouvaient être enlevées et vendues comme esclaves du fait qu’elles avaient une couleur de peau noirâtre qu’elle tenaient de Boujemaâ, leur grand-père maternel. Il prévint justement son beau-père, dans la tribu des Ouahla. Ce dernier était un genre de rebelle, chef de guerre ou brigand. Les oncles arrivèrent, le soir même, armés, sur leurs chevaux et des chameaux pour déménager la famille et la mettre en sécurité prés d’eux.
Plus tard, alors qu’ils avaient déjà Baba, leur premier enfant, ma mère s’inquiétait quand il tardait trop à revenir de ses randonnées de commerçant ambulant, « Attar. Quand il lui disait qu’il était passé par la région de Fès, elle pensait « c’est sur la route d’Oran. Chaque fois, qu’il avait participait à une caravane de chameaux transportant le blé à Casablanca, elle constatait que tout ce qu’il lui racontait de ses voyages n’avait trait qu’à ses discussions avec les gens du port. Des discussions où Oran revenait souvent.
Vers la fin des années vingt notre famille quitta les Doukkalas pour les Oulad Saîd.Ils avaient déjà trois enfants. Baba, Lalla et Khouyti. Mon père devint travailleur au cinquième. Les temps et ce genre de travail étaient dures, mais ma mère était fière de son homme. « Jamais il ne m’a laissée dans une situation difficile ». Un jour la femme du patron est venue l’emmener pour préparer avec les autres épouses de khammas, pour préparer les repas des faucheurs de blé. Le soir quand elle était rentrée, il était trop tard. Il avait l’habitude de trouver de l’eau chaude pour se laver les pieds à son retour. « C’est moi le Khammas, pas toi. Tu n’es pas leur bonne, lui dit-il. La prochaine fois, si on te demande quelque chose, tu réponds que ton mari te l’interdit ».
Et aussi quand le patron venait à la maison. Ce qui était courant à l’époque c’est que quand ce dernier rentrait chez l’un de ses ouvriers, il était considéré comme le propriétaire. On posait le plat de thé devant lui, et c’est lui qui préparait. La femme restait à la cuisine, et l’homme faisait le service. Chez le doukkali c’était le contraire, le patron, quand il était là, n’était que l’invité. Cela faisait dire à tout le monde : « Mais pour qui se prend-il, ce doukkali, avec ses manières ?! ».
Je me surprends en train de parler à Bouchaîb, mon ami, avec lequel j’ai passé une partie de ma vie. Je lui raconte tout à haute voix, que je sois sur la couchette , debout, ou encore en train de faire mes besoins. Je lui raconte à nouveau que je me suis surpris à lui parler. J’ai parfois l’impression que mon cerveau va éclater. Impossible de sortir du cercle de parler à haute voix , en prendre conscience, et raconter sur le champs cette situation de la même façon…
De temps en temps notre ami le gardien, lorsqu’il est de garde dans le quartier, passe me voir. Aucun rapport avec les autres gardiens. De mon côté je ne recherche pas le contact. Et de leur côté il n’y a, certainement, rien à attendre de quelqu’un qui ne traficote pas.
Un jour j’entends des bruits de pas dan le couloir. Beaucoup de pas. Je vais au judas. Plusieurs gardiens guide un groupe de prisonniers vers les cachots. Ces derniers avaient tous des bandages autour des jambes. Quatre marchaient à quatre pattes et le cinquième était porté sur un brancards par d’autres prisonniers. En fait je n’ai rien compris, c’est notre ami le gardien qui revient m’informer, quelques minutes après, qu’il s’agit du groupe qui avait tenté de s’évader, les amis de Kassem. Ils étaient tous plâtrés. Mais de quelle façon ! Pour leur faire payer cher leur tentative on avait plâtré leurs jambes toutes tordues afin de les rendre infirme. Et cela faisait déjà prés de deux mois qu’is portaient le plâtre.
Source : Abdallah Zaazaa
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