Site icon Maghreb Online

Belgique : « cannabread », le pain au cannabis

Avec le boulanger belge qui a créé le « Cannabread », un pain au cannabis

Avec le boulanger belge qui a créé le « Cannabread », un pain au cannabis
Des tartines grillées à l’herbe de grand matin, c’est la promesse du premier pain belge aux graines de chanvre légalement commercialisé.

Par Elisabeth Debourse

VICE Belgique est nominé pour les Red Bull Elektropedia Awards 2019. Envoyez-nous tout votre amour et votez pour nous dans la catégorie « Best Media ».

« J’avoue que je m’attendais à un jeune hipster, ou quelque chose comme ça ». Assis dans la petite salle de réunion, Charly Löwy encaisse le coup — et plutôt bien. N’importe quel homme à la soixantaine bien tassée nous aurait envoyées bouler, moi, mes questions et mon arrogante jeunesse à t-shirts ironiques, mais pas lui. Non, parce que celui-ci a quelque chose à vendre. Et après une idée de génie, des mois de développement et un premier raid de l’AFSCA, Charly Löwy n’a pas le temps de niaiser.

Mais reprenons depuis le début, soit à la fin des années 1990. À l’époque, les Reebok étaient des chaussures de gymnastique relativement moches et l’empire du vrai pain amorçait son déclin : c’était le temps du tout au supermarché et des baguettes molles à 25 francs belges. L’odeur réconfortante d’une mie chaude était devenue plus rare qu’un gamin seul en rue, et il allait falloir s’y faire.

Ce matin-là, soit 25 ans plus tard à l’entrée d’un zoning anonyme de Forest, c’est le parfum de la nostalgie qui m’accueille. Même à cent mètres de l’atelier de confection Lowy, on peut sentir les six étages de boules de pâte qui se dorent les miches dans les gigantesques fours de la boulangerie. Charly Löwy est le patron des lieux depuis près de 40 ans. C’est son père qui a créé en 1947 La Wetternoise, le gagne-pain familial, aujourd’hui rebaptisé Lowy. « J’ai appris sur le tas, avec des boulangers qui avaient 20 à 30 ans de métier », raconte le patron. Bizarrement, avec son veston bleu marine sur chemise monogrammée, sa montre de CEO de Proximus et ses lunettes en écailles, Charly Löwy fait plus Don Draper sur le tard que néo-boulanger dans le pétrin. « Désolé, je ne suis ni jeune ni hipster », balance-t-il, pas vraiment ébranlé.

Et pourtant, le nouveau produit qu’il tient devant lui semble sortir tout droit d’un épisode pété de « High et Fines Herbes » : un pain au cannabis sur lequel on peut lire en lettres farineuses « Cannabread » ; la nouvelle boule aux œufs d’or de Lowy. Le boss attrape un grand couteau à dents et s’en découpe une bonne tranche. Sous la croûte bien craquante, la mie du Cannabread est légèrement verte et piquetée de graines broyées. « Parfois, on en a un peu entre les dents, mais ça fait partie de l’expérience », fait remarquer Charly Löwy. En bouche, le pain a un goût de noisette grillée, mais surtout de vert, de foin. « D’herbe, quoi ! », décrit le boulanger. « On a fait pas mal de tests. Il ne fallait pas que ce soit trop pointu ou trop fort. Les premières fournées étaient intenses ». Après plusieurs mois de développement, Charly et ses gars se sont entendus sur une recette à base de 15% de graines décortiquées et broyées, de farine et de levain, le tout en bio. « Ça va très bien avec les mélanges sucrés-salés » — et les munchies de fin de soirée probablement, mais ça, il ne le dit pas.

C’est que quand on aborde le sujet, il s’agace un peu. « Le cannabis n’est pas seulement un psychotrope », souffle Charly Löwy. Et il a raison. Car à moins de vous envoyer l’équivalent de dix de ses pains, vous ne ressentirez pas un semblant de défonce en beurrant vos tartines. Le THC présent dans le Cannabread se situe sous le seuil des 0,2% autorisé dans les produits transformés à base de chanvre. C’est en revanche une bombe de minéraux, vitamine E, oméga 3 et 6, fibres, carotène, magnésium, acides aminés essentiels et toutes ces choses que réclame votre corps sans que vous n’y compreniez un traitre mot. Le chanvre est bon pour vous, et c’est probablement la seule chose qu’il faut retenir.

Mais Charles Löwy refuse de nous dire comment il en connaît autant sur le cannabis. Ce qu’on sait en revanche, c’est que l’entrepreneur met le paquet sur les pains-concepts, ces dernières années. Après une collaboration à base de drêches de bière avec le Brussels Beer Project et un « purple bread » de riz noir qu’il tente toujours de faire adopter par le Sporting d’Anderlecht, il tente cette fois le coup avec une boule à la beuh. « On veut d’abord attirer les amateurs de bon pain, mais les produits au cannabis sont clairement dans l’air du temps », avoue celui qui est autant marchand de rêve que de brioches.

Après tout, la weed est un business comme un autre, et qui rapporte d’autant plus quand on y accole le terme « super food ». Lowy surfe sans complexe sur la tendance, jusqu’à proposer en supermarché ce pain siglé d’une feuille de chanvre tape-à-l’œil. « Bien sûr qu’il y a un peu de provoc’ là-dedans », confesse l’homme. Mais il le sait désormais : son produit est irréprochable. En 2018 et après un mois seulement de commercialisation du Cannabread, Charly Löwy avait dû retirer et détruire toute sa production, par ordre de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire — la terrible AFSCA. En cause : des certificats manquants censés prouver que le taux de THC des pains ne dépassait pas la limite légale. « Quand on travaille avec de la graine de chanvre transformée, il faut s’attendre à ce qu’on vous tombe dessus. L’agence est très attentive aux nouveaux produits de ce type-là. La loi, c’est la loi ». Aujourd’hui, le boulanger est en règle et son Cannabread disponible depuis peu vient dans sa boutique de la rue de Tabora à Bruxelles et dès ce mois dans tous les supermarchés Carrefour du groupe franchisé Mestdagh. C’est ainsi que le terme « Wake & Bake » prendra définitivement un tout nouveau sens. Mais ne devient pas dealer de pain au cannabis qui veut.

Source : vice.com/fr, 30 oct 2019

Tags : cannabis, pain, Belgique,

Quitter la version mobile