Par Akram Belkaïd
La France devient folle. Pardon pour le caractère lapidaire de cette affirmation mais quel autre constat peut-on tirer du déferlement islamophobe auquel on assiste depuis quelques semaines ? L’attaque d’une mosquée à Bayonne et les réactions qui ont suivi démontrent qu’il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce pays. Ce n’est pas un hasard si un homme, ancien candidat du Front national (devenu Rassemblement national), est passé à l’action en blessant grièvement deux octogénaires. Il voulait tuer, il a tiré à bout portant sur des gens venus là pour prier. Son acte s’inscrit dans la droite ligne des débats sans fin à propos du voile, de l’islam et de la laïcité. Quand on chauffe à blanc l’opinion publique, quand des « élites » intellectuelles montent au créneau pour légitimer l’islamophobie, voire pour l’encourager, alors il ne faut pas s’étonner que des terroristes passent à l’action.
On notera à ce sujet que les autorités et les médias ont rechigné à utiliser ce mot. Quand un attentat est commis par un islamiste radical, on parle immédiatement de terrorisme. Quand un nervi d’extrême-droite, ancien militaire, tire sur un lieu de culte, armes à la main, c’est « une attaque », des « faits graves » mais certainement pas du terrorisme… Il faudrait demander leur avis aux fidèles qui étaient dans cette mosquée. L’un d’eux, interrogé par une radio communautaire, a expliqué qu’il évitera de la fréquenter dans les prochains mois, persuadés qu’« ils » recommenceront. Le terrorisme c’est cela. User de violence et installer la peur. Je connais des chibanis qui ne vont plus à la mosquée de Paris pour la grande prière du vendredi, parce qu’ils trouvent que le dispositif de sécurité est trop léger, parce qu’ils ont tout simplement peur.
Il est évident que le voile, la visibilité de l’islam en France constituent une matière idéale pour faire diversion en ces temps de grogne et de contestation sociales. Ici, on démolit les dispositions favorables aux chômeurs. Là, un patron d’une entreprise publique en difficulté s’octroie une augmentation de salaire digne d’un trader en bourse. Provoquer et entretenir les sempiternels débats sur le voile des accompagnatrices de sortie scolaire, c’est avoir l’assurance d’un répit. Mais cela ne marche que parce que des complices sont là pour ajouter du bruit au vacarme. Les « journalistes » notamment, ceux des chaînes d’information continue, en réalité des chaînes de commentaires et bavardages permanents. La palette de racistes à peine masqués qui sévit sur Cnews, LCI et BFMTV est impressionnante.
Il n’y a plus aucune digue, plus aucune mesure. On y va franco. On ne dit plus simplement qu’il y a un problème avec le voile lors des sorties scolaires. On affirme qu’il faut l’interdire complètement. Et puis, tant qu’on y est, on ajoute que le problème en France, c’est qu’il y a trop de musulmans, que leur nombre pose problème (Cnews). Il faut se garder des comparaisons historiques trop hâtives, mais c’est bien ce que certains disaient dans les années 1930 à propos des Juifs en France. Et la chose devient inquiétante quand des médias sérieux relaient, d’une manière ou d’une autre, ce genre de délire. Exemple parmi tant d’autres : le lendemain de l’attaque contre la mosquée de Bayonne, la matinale de France inter invite Manuel Valls que l’on croyait pourtant installé à Barcelone… Et voilà ce symbole de l’opportunisme politique qui disserte sur la nécessité d’interdire aux mères voilées d’accompagner les sorties scolaires.
Ces femmes sont déjà insultées, bousculées et même frappées mais on en parle peu. Des gens leurs crachent dessus. Les discours de personnalités politiques, d’intellectuels, qui visent à les stigmatiser encouragent les actes de violence contre elles et préparent des drames. On fera quoi quand l’une de ces mères sera blessée ou tuée par un adepte de la théorie du grand remplacement ? On aura des larmes de crocodile, on dissertera sur le « vivre ensemble » et, comme vient de le faire le Journal du dimanche, on mettra en une un sondage biaisé auprès de 1000 personnes rémunérées en bons d’achats pour en remettre une couche sur les dangers que l’islam ferait peser sur la France ?
La France se défend d’être raciste. Ses élites n’ont de cesse d’évoquer les Lumières, la devise républicaine et la déclaration universelle des droits de l’homme. Et ce pays est effectivement formidable en ce qu’il recèle de forces démocrates, d’engagements humains et progressistes. C’est un pays où des gens acceptent d’aller en prison en aidant des migrants en détresse, d’autres se consacrent à des causes sociales, mais tout ce monde d’aidants et d’engagés est occulté par les inconséquences d’une partie de la classe politique, de nombreux intellectuels et d’un nombre important de médias. Dans ce contexte, on se demande comment le calme pourrait revenir, faute de personnalité suffisamment consensuelle pour imposer un discours de raison. C’est une mécanique du pire qui s’est enclenchée sous nos yeux, qui ira d’actes de violence en représailles et contre-représailles. Des pyromanes jettent de l’huile sur le feu et il faudra beaucoup de ténacité pour raison garder.
Le Quotidien d’Oran, 31 oct 2019
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