Lettre ouverte à Hassan II
Lettre ouverte
A S.M. Hassan II roi du Maroc
(publiée dans la revue française « Politis » – Janvier 1989)
Majesté,
Je vous écris cette lettre ouverte tout en sachant qu’il est utopique de ma part de croire qu’il y ait un seul journal au Maroc qui puisse se sentir libre de la publier.
Majesté, lors de l’interview accordée à la revue française « Le Point », vous avez affirmé à propos des détenus politiques que vous n’avez qu’un problème politique : celui du Sahara. que ceux qui avaient « comploté » contre le régime ou contre votre personne même avaient été libérés et que ne restaient en prison que ceux qui disent que « le Sahara n’est pas marocain ».
Pourtant il y a au Maroc des centaines de détenus politiques. Certains d’entre eux sont membres de partis légaux, tels le Pps et l’Oadp, qui sont représentés au parlement et sont alignés sur votre politique extérieur et qui, afin de soutenir l’effort de guerre, votent le budget de la défense sans intervenir dans la discussion.
Dans notre groupe de détenus à la prison centrale de Kénitra, certains de mes camarades ont toujours clamé haut et fort la marocanité du Sahara., aussi bien au sein du mouvement politique que nous formions que lors du procès, et aujourd’hui même le clame à chaque occasion.
Certains sont maintenant membres de partis légaux –et leurs partis ne cessent de rappeler leur détention- et d’autres sont non organisés.
Il y a aussi ceux qui n’ont jamais exprimé publiquement, même pas lors du procès, ce qu’ils pensaient de cette question, et à eux aussi vous appliquez l’expression « disent que le Sahara n’est pas marocain ».
Le Maroc prétendant être un Etat de Droit, et si l’on admet que reconnaître le droit à l’autodétermination des Sahraouis est un acte très dangereux et répréhensible, il faudrait, Majesté, que l’on nous fasse connaître au moins quel est ce tribunal, qui en votre nom, nous aurait jugé à cause de nos opinions à propos du Sahara Occidental.
Je vous rappelle, Majesté, que lors du procès de notre groupe qui s’est déroulé à Casablanca en janvier et février 1977, les accusations portées contre nous étaient :
· Complot contre la Monarchie.
· Tentative de renversement de la Monarchie en vue de l’instauration d’une république démocratique et populaire.
· Atteinte à la sureté intérieure de l’Etat.
· Constitution d’associations interdites.
· Falsification de documents.
· Outrage à magistrat.
En fait, majesté, si le Maroc était un Etat de Droit , et si ce droit pouvait légitimé la répression de ceux qui sont pour le droit à l’autodétermination, le premier à passer devant un tribunal devrait être l’Etat marocain lui-même qui s’est engagé devant les instances internationales, comme l’Oua et l’Onu, non seulement à permettre le déroulement d’un référendum d’autodétermination au Sahara, mais à en respecter toutes les conséquences, y compris l’indépendance si tel est le vœu des sahraouis.
Majesté, juridiquement, la majorité des centaines de détenus politiques marocains n’ont rien à voir avec la question du Sahara ; Notre groupe de détenus de Kénitra, auquel vous faites souvent allusion, est adopté par Amnesty international en tant que détenus d’opinion.
Nous luttons parce que nous ne voulons pas demeurer des sujets mais devenir les citoyens d’un pays démocratique ; Et notre lutte aujourd’hui passe par notre refus de marchander la liberté, le refus de changer d’opinion sans conviction.
Souvent les responsables de l’Etat marocains hauts placés, ont tenté de justifier notre répression, par un prétendu refus de notre part d’exprimer nos opinions, d’exercer nos activités politiques dans le cadre des institutions de la monarchie constitutionnelle. Mais la vraie question qui se pose est de savoir si la monarchie constitutionnelle d’aujourd’hui nous permet à nous, tels que nous sommes, dans la diversité de nos opinions, de nous exprimer librement et, pour ceux qui le désirent, d’exercer librement leurs activités politiques. Or notre détention, , celle de centaines d’autres détenus, la disparition de nombreux citoyens, les arrestations et les tracasseries policières auxquelles sont soumis ceux qui prétendent avoir un mot à dire au sujet du destin de notre pays, prouvent que le Maroc n’est pas encore un pays démocratique qui permet à ses citoyens de penser librement.
Majesté, forts de notre droit, nous luttons et continuerons à lutter pour notre liberté jusqu’à ce que nous ayons gain de cause.
En tout cas, si vous avez le pouvoir de nous maintenir en prison, vous n’avez pas celui de nous faire changer d’opinion.
Abdellah Zaâzaâ
Condamné à perpétuité
N° d’écrou : 19200
Prison centrale de Kénitra
Source : Abdallah Zaazaa
Tags : Sahara occidental, Maroc, Front Polisario, autodétermination, Hassan II,