Les partis religieux s’affirment en Tunisie 8 ans après la révolution

Javier Martín

Les partis religieux islamiques, tant modérés que fondamentalistes, se développent et s’affirment en Tunisie huit ans après la chute de la dictature, notamment en raison de la grave crise économique que connaît le pays, et la perception sociale croissante que la révolution est diluée et stagnante.

Selon les résultats préliminaires offerts ce mercredi par l’instance supérieure indépendante électorale (ISIE), instance organisatrice des élections, le parti conservateur « Ennahda », de tendance islamiste modérée, aurait gagné les législatives du 6 octobre dernier en ajoutant 52 sièges.

Ce chiffre représente une baisse de 17 députés par rapport aux élections de 2014, où le mouvement historique d’opposition à l’islam politique s’est placé en deuxième position, et il constate qu’il a été en mesure de conserver sa base populaire face à l’effondrement généralisé des partis traditionnels et aux sondages, qui auguraient un coup plus grand.

La formation conservatrice a retrouvé près de cinq points par rapport au premier tour des présidentielles du 15 septembre, au cours duquel son candidat, Abdel Fatah Mouro, a été écarté de la deuxième échéance prévue pour ce dimanche.

« Après la troisième place décevante de Mouro, Ennahdha a décidé de revoir sa stratégie de campagne », explique le journaliste et analyste tunisien Mohamad Lahmar.

« Pour les législatives, il a retrouvé ses fondements : religion et révolution. Son leader, Rached Ghannouchi, candidat pour la première fois, a même proposé que l’état impose la « zakat » (l’aumône obligatoire, l’un des cinq piliers de l’Islam) pour aider à réduire la pauvreté, ce qui a conduit une éminente féministe à lui rappeler que la Tunisie est un état civil et non religieux », souligne-t-il à titre d’exemple.

Les analystes étrangers, quant à eux, associent ce résultat à la capacité de mobilisation d’un parti qui conserve encore des structures beaucoup plus solides que tous ses concurrents, dont la plupart sont récemment arrivés en politique.

Et ils le lient à l’effet prétendument positif que semble avoir eu le tournant vers le nouveau concept d' »islamodemocratie » ou « islam politique moderne » entrepris par la formation conservatrice après le congrès national de 2015, au cours duquel il annonça de manière pionnière qu’il séparait l’activité politique de la prédication religieuse.

« Ennahda, comme les autres, a souffert de la baisse de la participation, qui a chuté de plus de 20 points par rapport à 2014. Mais en faisant une analyse de comparaison, on constate que la différence n’est pas si grande », explique à Efe un diplomate européen qui préfère ne pas être identifié.

La baisse de « Ennahda » est compensée par l’entrée au Parlement d’autres partis qui partagent le large spectre idéologique de l’islam politique et qui confirment la promotion accusée des formations religieuses, qui représentent un total de 76 sièges à l’Assemblée renouvelée.

L’irruption de la coalition « Al Karama » (Dignité), encadrée par le fondamentalisme, qui a obtenu 21 sièges, est particulièrement significative.

Et l’apparition du parti salafiste « Errahma », dirigé par le religieux radical Saïd Jaziri, qui semble avoir attiré avec trois sièges cette partie de l’électorat d’Ennahda qui s’est senti trahi en 2015.

Bien qu’il ait exprimé son intention de se joindre à l’opposition, des experts mettent en garde contre le fait qu’Al Karama, composé de partis ayant des idées de l' »islam révolutionnaire », pourrait accepter de s’engager dans une large coalition multipartite pour former un gouvernement, quelque chose qui semble aujourd’hui très difficile.

Outre Al Karama, le parti conservateur aurait besoin d’autres appuis pour constituer la majorité de 109 sièges exigée par la Constitution.

Les ultrafondamentalistes de « Errahma » ont déjà précisé que leurs trois députés exigeraient l’introduction de la charia ou loi islamique dans la Constitution.

De l’autre côté de l’arc parlementaire, l’irruption du populisme mené par le magnat de la télévision et candidat à la présidence au second tour Nabil Karoui -libéré ce mercredi après un mois et demi de détention préventive, accusé d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent, et la grande fragmentation -jusqu’à 25 partis ont obtenu une représentation parlementaire- compliquent a priori les négociations.

« Qalb Tounis », la formation fondée par Karoui, occupe la deuxième place avec 38 sièges, un résultat qu’ils qualifient de « décevant » à huis clos.

Bien qu’il s’autoproclame « antisystème » et rival de « Ennahda », des experts locaux et internationaux n’excluent pas une éventuelle entente entre les deux parties pour former un gouvernement d’union nationale dirigé par des technocrates.

« Cela dépendra des résultats de la présidentielle de dimanche. S’il gagne (le juriste indépendant ultra-conservateur Kaïes) Said comme prévu, Karoui sera acculé et avec la justice dans son attente », explique l’analyste européen.

Une victoire probable -Saïd, a reçu le soutien de cinq autres candidats, dont celui d’Ennahda, qui confirmerait que huit ans après les « Printemps arabes » le conservatisme accaparerait les centres de pouvoir dans le pays le plus laïque et progressiste de l’univers musulman.

Source : EFE, 10 oct 2019

Tags : Tunisie, élections, Nabil Karoui, Kaïes Said, Ennahda, printemps arabe, Islam,

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