par Arezki Metref
st-il possible aujourd’hui de parler du communisme et de l’Algérie sans céder à la tentation polémique ? En privilégiant l’étude critique sur la semonce idéologique, deux ouvrages contribuent à rasséréner le débat sur le sujet. Dans son dernier livre (1), l’historien Alain Ruscio traite des positions controversées de la « famille communiste franco-algérienne » face à la question coloniale, et plus particulièrement à la guerre d’Algérie.
L’essai, qui n’oublie pas de prendre en compte les opposants au sein même des appareils, s’ouvre sur un aperçu sociologique de l’opinion publique française et de son évolution entre 1920 (congrès de Tours) et 1954 (début de l’insurrection algérienne). On y découvre, au mieux, l’indifférence, au pis, l’hostilité, voire la haine, d’une fraction des ouvriers français à l’égard des « indigènes des colonies » — une illustration du fameux « syndrome nord-africain » dénoncé en 1952 par Frantz Fanon.
Le Parti communiste français (PCF) passera pour sa part d’une « attention distraite », néanmoins marquée par l’opposition aux mouvements nationalistes avant 1920, à une radicalité anticoloniale à partir du milieu des années 1930. La naissance du Parti communiste algérien (PCA) en octobre 1936 sera la conséquence d’une lutte contre « la force d’inertie des dirigeants [communistes] parisiens » et devra vaincre « l’hostilité de la majorité des communistes européens d’Algérie ». Pendant la seconde guerre mondiale, la ligne politique des communistes français et celle de leurs homologues algériens convergeront autour des positions de l’Internationale communiste.
Ruscio offre ici une analyse détaillée de ce que furent les réactions, parfois ambiguës, des communistes de métropole aux massacres qui suivirent les manifestations nationalistes du 8 mai 1945 dans l’Est algérien. L’ouvrage, très documenté, sonde enfin « les engagements et les errements du PCF et du PCA de 1954 à 1962 ». Le 12 mars 1956, le PCF, comme la majorité de l’Assemblée nationale, accorda les pouvoirs spéciaux au gouvernement du socialiste Guy Mollet pour qu’il poursuive la guerre. Cela n’empêcha pas des communistes algériens, tels Henri Alleg, Maurice Audin ou Fernand Iveton, de participer concrètement au combat indépendantiste. Quant au PCA, dès le début de la lutte armée, il rejoignit les rangs des indépendantistes, tentant toutefois de préserver son autonomie face au Front de libération nationale (FLN).
La question des « pouvoirs spéciaux » continue d’alimenter les critiques algériennes à l’égard des communistes français. Pour l’auteur, cependant, le PCF, en dépit de ses hésitations et de ses faux pas, a joué un rôle « globalement positif ». Certes, son erreur fut de croire — selon l’analyse de Jean-Pierre Vernant, cité par Ruscio — que « c’était la classe ouvrière française, guidée par le Parti, qui devait, au terme de la lutte pour le socialisme, apporter aux peuples coloniaux le présent de l’indépendance ». Néanmoins, il fut le seul capable de « porter la contradiction à la bonne conscience ambiante » par sa presse, ses tracts, ses affiches. Par ailleurs, ses militants furent dès 1955 les premiers, et souvent les seuls, à descendre dans la rue pour dénoncer la guerre.
Les Cahiers d’histoire se sont eux aussi penchés sur les questions du « communisme en Algérie » et — la nuance est de taille — du « communisme algérien » (2). Cette livraison laisse la place à la mémoire des militants, depuis le ralliement des fédérations socialistes d’Algérie à la IIIe Internationale en 1920 jusqu’à la guerre d’indépendance. Éloïse Dreure étudie ce que signifiait être communiste en Algérie dans les années 1920 et 1930. Pierre-Jean Le Foll-Luciani rend compte d’un réseau clandestin du PCA qui, de 1955 à 1957, diffusa La Voix des soldats, un journal à destination des soldats français. Et Gilles Manceron revient sur l’affaire Maurice Audin à la faveur de la reconnaissance par M. Emmanuel Macron de la responsabilité de l’État français dans l’enlèvement, la torture et l’assassinat de ce jeune mathématicien communiste pendant la guerre d’Algérie.
Arezki Metref
(1) Alain Ruscio, Les Communistes et l’Algérie. Des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962, La Découverte, Paris, 2019, 662 pages, 28 euros.
(2) Cahiers d’histoire, dossier « Communisme en Algérie/communisme algérien », no 140, Paris, 4e trimestre 2018, 17 euros.
Source : Le Monde Diplomatique, octobre 2019
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