Maroc – Alice au pays des minarets (poème)

Mohammed Talbi

Mon Dieu ! On dirait un pays habité seulement par des mendiants !

Des vieux aux os tintinnabulants, des jeunes robustes, bien portants,
Des hommes en haillons, des femmes trimbalant une ribambelle d’enfants,

Des bambins aux joues creuses, aux yeux globuleux, des adolescents farouches, qui tendent la main en proférant des jurons menaçants ;

Tels des morts-vivants, ils déambulent sur les trottoirs des grands boulevards,

Errent dans les marchés, dès les premières heures, jusque tard dans le soir,

Harcèlent les passants, agacent ceux qui fatigués aux terrasses des cafés se sont assis, traquent tout ce qui bouge,

Les bus, les tramways, les trains, les voitures auxquelles ils s’agglutinent tenaces, comme des mouches qui une bête blessée harassent, aux feux-rouges ;

Mon Dieu! On croirait le pays peuplé d’enfants de la rue, de sans-abris, de clochards,

De voleurs à la tire, de pique-pockets, de drogués, de soulards,

Ils essaiment les places et les jardins publics, squattent les quais, les gares,

Et malheur à ceux qui la nuit s’attardent quelque part, aux fêtards, aux étrangers qui par mégarde s’égarent, aux amoureux que souvent attire l’intimité des squares !

Le sentiment d’insécurité est tel que même grand-mère a son sabre présentement,

C’est quand sous son oreiller elle l’a soigneusement enfoui qu’elle peut dormir tranquille seulement,

Nous avons beau dire, beau faire, contre sa paranoïa se sont avérés vains, inefficaces, tous les traitements,

Terrorisée, la pauvre se réveille en sueur toutes les heures, en criant : « Au violeur! Au violeur! », elle qui déjà a tout prévu pour son enterrement ;

Mon Dieu ! On serait tenté de penser que ce pays est un vaste lupanar à ciel-ouvert,

Où le harcèlement est déguisé en séduction, l’obsession en émancipation, où les vices s’épanouissent sous couvert

De bonne réputation, quant à la tolérance, à l’hospitalité, qui, paraît-il, l’intérêt général sert,

Comme s’il y avait un prestige quelconque à bassement vivre du commerce de sa chair ;

Et va pour l’éclosion de nos fleurs du mal, à nous, la prostitution, la pédophilie, l’adultère,

Et très tolérants, bien hospitaliers, nous ne nous en soucions guère,

Mais si par malheur vous embrassez votre femme, votre bien-aimée, en plein-air, là, il y a mystère :

C’est cette même crapule vicieuse qui, ô comble de la déraison ! criera au scandale, vous lapidera fière, brave, ferme, grave, sévère !

Mon Dieu ! Combien sont nombreux, très nombreux, les minarets qui dans ce pays altiers vers le ciel s’élèvent !

Mais, dites-moi, s’il vous plaît, si je divague, ou si je rêve,

On m’a parlé un jour d’un curieux grand animal qui sa petite tête enfouissait sous le sable quand il sentait venir un danger,

Et tout son corps restant à découvert, il se croyait ainsi infailliblement protégé ;

Le mensonge, je crois, n’engendre que la fausseté, ne trahit que son auteur,

Qui sème le vent, disaient les anciens, récolte la tempête,

D’être vénal, corrompu, lâche, servile, vil, mercantile, et de sans vergogne crier sa piété à coups de haut-parleurs,

Ne peut berner que les ignorants, presque toujours fats, si fats qu’on dirait fiers d’être bêtes…

Tags : Maroc, enfants, pauvreté, clochards, mendiants,

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