La journaliste marocaine critique Hajar Raissouni risque une longue peine de prison pour avortement (qu’elle nie) et pour relations sexuelles hors mariage. Lundi, elle devait comparaître à nouveau devant le tribunal. Après une séance de neuf heures et malgré les arguments passionnés de ses avocats, la juge a décidé de ne pas libérer Raissouni. Le processus se poursuit le 30 septembre. Touria Aziz décrit l’évolution du processus au Maroc.
Touria Aziz
Dewereldmorgen.be, 24 sept 2019
Au Maroc, de nombreuses femmes ressentent l’injustice et les humiliations dont le journaliste Hajar Raissouni a été victime à la fin du mois dernier, à la manière d’un coup dur dans le ventre.
Raissouni est détenue avec son fiancé et poursuivie pour avortement et relations sexuelles hors mariage. Les deux sont illégaux au regard des lois marocaines datant du siècle dernier et dont certaines ont même été créées sous le protectorat français. Pourtant, aujourd’hui, elles sont toujours suspendues au-dessus de la tête de chaque Marocaine, comme une épée de Damoclès. Et pour être complet, au-dessus de la tête de chacun qui est différent ou qui pense différemment et qui n’a aucun pouvoir ni aucun lien pour racheter sa dette.
Ces lois garantissent que les victimes se retrouvent en prison et que leurs auteurs soient libérés. Le corps de Hajar est utilisé comme un champ de bataille pour maintenir le statu quo général dans une société où chacun doit connaître le lieu qui lui a été attribué.
Lois morales contre les journalistes critiques
Le nouveau code de la presse, entré en vigueur en 2016, pourrait alors ne plus prévoir de peines de prison pour ceux qui auraient violé la liberté d’expression. Mais ne vous inquiétez pas, il existe encore d’autres moyens de faire taire la presse. Le régime marocain utilise avec empressement les mêmes lois morales obsolètes pour restreindre la liberté des journalistes et des militants.
Il existe d’innombrables exemples de journalistes condamnés:
– Complicité d’adultère avec Hicham Mansouri, responsable de projet de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation, avec une peine de 10 mois d’emprisonnement.
-Rape, harcèlement sexuel et traite d’êtres humains avec une peine de 12 ans d’emprisonnement pour Taoufik Bouachrine, directeur du quotidien Hajar écrit pour Akhbar Al Youm.
– Ne pas signaler un crime contre l’État avec 3 ans de prison pour Hamid El Mahdaoui, journaliste et activiste.
– Participation aux Hirak avec une peine de prison de 5 mois pour Mohamed El Hilali et un an de prison pour Abdelouahed Kammoumi de la presse du Rif.
La bataille pour le corps de Hajar devrait davantage intimider et faire pression sur les journalistes indépendants et critiques pour qu’ils restent derrière les lignes rouges qui indiquent clairement où la liberté d’expression et la liberté de la presse peuvent aller au Maroc.
Le Maroc traverse depuis longtemps une crise politique au cours de laquelle le PJD, parti islamiste au pouvoir depuis 2011, constitue une menace pour l’ordre établi. Le parti utilise des mécanismes démocratiques pour s’immiscer au sein d’institutions établies et ainsi diffuser davantage son idéologie.
Le parti continue de croître à cause de l’incrédulité et de la léthargie des autres partis politiques et d’un milieu de terrain impuissant. Mais il gagne également en popularité parce que c’est l’un des rares partis qui offre un peu de réfutation à un État qui choisit résolument d’ignorer l’appel du peuple marocain contre le mépris, la marginalisation et la pauvreté, et d’utiliser la répression comme seule réponse. Comme Hajar est liée à cette famille politique par le biais de sa famille, son corps sert également à donner une leçon à ces opposants politiques.
Et moi, en tant que femme, je me tiens à mon tour de sacrifier le corps de Hajar sur l’autel de l’abolition des lois criminalisant l’avortement et les rapports sexuels en dehors du mariage.
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