JOSÉ BAUTISTA
Selon le dictionnaire de l’Académie royale espagnole:
Paradoxe:
1. adj. : paradoxal.
2. f. Fait ou expression apparemment contraires à la logique.
3. f. Ret. Utilisation d’expressions ou de phrases qui contiennent une apparente contradiction entre elles, comme dans le cas de l’avare, dans ses richesses, pauvre.
7 juillet 2019. L’Union européenne approuve un crédit de 140 millions d’euros pour le Maroc. Objectif : que les autorités marocaines exercent un contrôle plus rigoureux sur les migrants. Sur ces 140 millions, au moins 40 millions sont placés par l’Espagne. Le gouvernement espagnol consacre une partie de cet argent (environ 26 millions d’euros) à l’achat pour le Maroc de 750 véhicules, drones, scanners, radars et autres dispositifs pour renforcer le contrôle aux frontières. Le Maroc se plaint que cet argent reste loin des 6 milliards que l’Europe a alloués à la Turquie, mais le directeur marocain des migrations dit que ces 140 millions sont un «bon début».
10 juillet 2019. Mohamed VI, roi du Maroc et commandeur des musulmans de ce pays, lance le Badis 1, en référence au rocher espagnol de Vélez de la Gomera, un yacht de luxe de 90 millions d’euros et de 70 mètres de longueur et 13 mètres de largeur. L’année dernière, il a offert à son fils un avion personnalisé pour son 15e anniversaire. Mais cette fois, c’est un cadeau pour le 20e anniversaire de son intronisation (qui coïncide avec un autre anniversaire moins royal : celui de 30 ans de mort dans le détroit). C’est son deuxième yacht et l’un des 10 plus grands voiliers au monde. Le monarque alaouite l’a acheté par l’intermédiaire d’une société basée aux îles Caïmanes, un des paradis fiscaux préférés des grandes fortunes de la planète. Mohamed VI est l’homme le plus riche du Maroc et le cinquième le plus riche d’Afrique. Il possède douze palais, 600 voitures de luxe, une fortune qui dépasse les 5 milliards d’euros et voyage accompagné d’une suite de 300 personnes.
19 juillet 2019. Le gouvernement actuel de l’Espagne a approuvé un crédit extraordinaire de 30 millions d’euros pour le Maroc, prélevé sur le Fonds de réserve du Ministère de l’intérieur.
14 août 2019 : Au cours des deux premières semaines d’août, l’arrivée de migrants en provenance du Maroc tombe malgré le climat adéquat. Ce n’est pas la première fois. La raison : Mohamed VI navigue sur la côte nord marocaine, non pas à bord du Badis I, mais d’un autre yacht prêté par l’émir de Qatar– et des milliers de gendarmes patrouillent la zone pour assurer la sécurité du roi. Toutefois, depuis le début de l’année, 18018 personnes se sont jetées à la mer depuis les côtes marocaines dans le but d’atteindre l’Europe. Il s’agit d’une forte baisse : au cours de la même période 2018, 30800 personnes sont arrivées en Espagne depuis le Maroc, un chiffre record après la fermeture des routes turque et libyenne. Les Marocains sont les plus nombreux et leur part augmente par rapport au total : en 2018, ils représentaient 22 % de ceux qui se sont lancés en mer pour arriver en Espagne, contre 29,9 % cette année.
Le journaliste Javier Otazu vient de publier le Maroc, l’étrange voisin (La Catarata), un livre qui aide à comprendre la situation que vit la société marocaine. Le Maroc est le pays le plus inégal d’Afrique du Nord, selon Oxfam. D’après Transparency International, ses institutions sont parmi les plus corrompues du monde. Selon la Banque mondiale, 45,1 % des ménages marocains vivent dans la pauvreté et 19 % avec moins de 4 dollars par jour. Selon un baromètre de la BBC, 44% des Marocains veulent émigrer. Ce sentiment s’élève à 70% chez les jeunes. Le chômage au Maroc avoisine les 9,8 %, avec une particularité : contrairement aux statistiques en Espagne et en Europe, le Maroc comptabilise comme travailleurs les travailleurs qui gagnent leur vie dans le secteur informel, sans contrat, en vendant des mouchoirs aux stops de circulation, par exemple. Si le Maroc appliquait le barème espagnol pour mesurer le chômage, son taux de chômage serait supérieur à 51 %, selon les données de CGEM, le plus grand patronat du pays.
Des sources de sauvetage signalent de nouvelles hausses dans l’utilisation de bateaux de type ‘toy’’de jouet-, au détriment des bateaux et canots de plus grande stabilité, un phénomène qui aggrave la pénible sécurité de ceux qui se lancent dans la mer. Le monarque alaouite se vante d’un luxe effréné et utilise le robinet migratoire et la coopération antiterroriste comme soupape de pression et de chantage, mais ni l’Espagne ni l’Europe n’attirent l’attention sur la situation de ses sujets. Bien au contraire : paradoxalement, ils souscrivent davantage d’argent, ferment les yeux sur la corruption d’agents européens par le gouvernement marocain, ou face aux violations des droits de l’homme commises dans le pays, et ils ne respectent même pas les arrêts de la Cour de justice européenne, comme celle qui établit que le Sahara occidental doit rester en dehors des accords de pêche parce que le Maroc n’a pas de souveraineté sur cette ancienne colonie espagnole.
Tapis rouge et pluie de millions pour le monarque du yacht; main dure pour les sujets qui, désespérés, migrent à bord d’un canot. Quel paradoxe.
Source: publico.es, 23 sept 2019
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