Source : El Faro de Ceuta, 11 sept 2019
‘Maroc, l’étrange voisin, un portrait du pays que les touristes ne voient pas
Le journaliste espagnol Javier otazu a vécu et a exercé pendant 15 ans au Maroc
par Rafael Molina/EFE 11/09/2019
Pleine de paradoxes et de contradictions, le Maroc cherche à embrasser la modernité sans oublier le passé, d’imiter les démocraties occidentales mais en préservant une partie d’un système politique archaïque et de s’approcher de la laïcité à partir de la forte tradition musulmane.
Le royaume Alaui conserve, au XXIe siècle, cette idiosyncrasie qui le maintient équidistant entre l’Occident et le Moyen-Orient, mais qui provoque “étonnement” et perplexité à l’étranger, assure dans une interview avec efe le journaliste espagnol Javier otazu, auteur du Maroc, l’étrange voisin (Editorial La catarata).
Otazu, qui a vécu et a exercé en tant que journaliste pendant 15 ans au Maroc en deux étapes différentes, a voulu différencier son récit de celui d’autres collègues : Raconter quelque chose de différent, donner une vision d’un moment de l’histoire du pays maghrébin depuis le début du XXIe siècle” différente des nombreuses que l’on peut actuellement lire, assure.
En tant qu’informateur, il reconnaît que le Maroc est un pays difficile pour le journalisme. Les informateurs étrangers sont particulièrement surveillés (…) tout ce que nous écrivons est regardé à la loupe, ce qui nous oblige à être dans une négociation permanente avec les autorités et avec nous-mêmes.
Nous ne devons pas tomber dans l’autocensure, la nuance, mais voici un certain nombre de sujets sensibles. Ce sont les fameuses lignes rouges : le roi, le Sahara occidental et la religion, et en tant qu’étrangers, nous pouvons aller plus loin que les journalistes locaux, mais nous devons toujours garder à l’esprit que nous sommes surveillés”.
Un pays de contrastes brutaux
Le journaliste, qui connaît bien le monde arabe parce qu’il a également résidé en Égypte et parcouru presque tout le Moyen-Orient, y compris un pèlerinage à La Mecque, estime que les contrastes au Maroc, loin d’être dilués avec le temps, ils sont maintenant “plus brutaux”.
“Il y a un certain nombre de réalités contradictoires qui ont beaucoup à voir avec l’existence du Maroc ‘deux : celui des élites aisées et occidentalisées, avec des enfants qui étudient dans des écoles européennes, et celui des classes moyennes et inférieures qui souffrent pour arriver à la fin du mois et qui ont leurs références dans le monde arabe, la religion, l’islam. Et cette cohabitation produit des situations très complexes”, décrit otazu.
Le choc des valeurs, social et culturel est inévitable et s’accentue lorsqu’on constate que les élites sont “totalement déconnectées du peuple de plaine”.
Bien qu’il n’y ait qu’une chose qui fasse l’unanimité dans le pays, c’est l’institution de la monarchie, désormais dirigée par Mohamed VI, successeur d’une dynastie qui proclame sa descendance du prophète Mahomet.
La monarchie, une institution discutable mais ambivalente
Otazu estime que, alors que des voix s’élèvent en Europe pour contester la monarchie et sa validité, le Maroc n’est pas encore parvenu à ce point et le consensus sur la figure du roi et l’institution au sein de la population est écrasant.
Le journaliste observe que la monarchie apporte la stabilité à un pays “socialement et économiquement déshérité”et qu’en même temps elle le rassemble, mais en même temps elle a un contrôle aussi grand et fort des ressorts du pouvoir” qui peut freiner toute lueur de changement ou d’évolution dans le pays.
Et ce n’est pas que le roi soit un frein à l’évolution, parfois il l’est et parfois non. Par exemple, dans les débats sur les libertés individuelles, le monarque et son cercle tendent à devancer la citoyenneté, bien qu’il doive ensuite faire ses compromis avec le ‘establishment’ et il finit par opter pour des décisions plus conservatrices”.
C’est pourquoi“est une institution qui est indiscutable mais qui joue un rôle dans la société ambivalente”, pense le journaliste, qui reconnaît que “l’élan novateur que Mohamed VI a apporté au début de son règne, et qui a trait à la réforme des lois sur la famille et les femmes qui ont été très applaudies, a stagné” et cela a créé une certaine frustration parmi les nouvelles générations.
Les jeunes ne voient plus les choses de la même manière, surtout en matière morale. Le roi compte de nombreux défenseurs parmi les plus de 40 ans, mais parmi les plus jeunes, sur les réseaux sociaux, on commence à voir des critiques qui, parfois, surprennent par leur férocité
Un printemps arabe frustré
Otazu attribue précisément à la compétence du roi le fait qu’au Maroc, le Printemps arabe“n’a pas triomphé, ce qui aurait pu permettre une plus grande ouverture touristique du pays.
Mohamed VI a fait “un coup de maître, le roi a désactivé la contestation de rue en promettant une constitution plus ouverte et, en même temps, permettre aux islamistes d’entrer dans le gouvernement” Rabat, note.
En fin de compte, le projet de constitution est resté dans l’eau avec peu de modifications, tout en parvenant à domestiquer et à faire entrer dans les institutions les islamistes et à neutraliser leur possible radicalisation.
Dans le même temps, les Marocains craignaient que ces printemps arabes prometteurs ne soient frustrés et ensanglantés dans des pays comme la Syrie, la Libye ou l’Égypte et ne veuillent pas tomber dans la même situation.
Toutefois, le Maroc est une société qui, avec ses contradictions et bien que lentement, avance à bien des égards les autres pays arabes. Il y a beaucoup de débats dans la société civile, pas toujours résolus, mais les opinions ne se taisent pas, estime l’informateur.
Cela explique, selon l’otazu, que le radicalisme islamique n’ait pas prospéré dans le pays maghrébin : Les djihadistes, dont certains sont allés combattre en Syrie, n’ont pas beaucoup de soutien dans le pays, n’ont pas d’infrastructure pour agir, ni de soutien social. Ce sont des citoyens qui vivent dans des zones marginales et qui souvent ne se représentent qu’eux-mêmes. D’une manière générale, la société marocaine est plus modérée qu’il n’y paraît.
Le voisin espagnol
Otazu est convaincu que les relations politiques hispano-marocaines traversent une véritable lune de miel“depuis des années. Il n’y a pas de conflits politiques graves entre les deux pays et ceux qui existent “sont désactivés avec ce que les diplomates appellent ‘le coussin d’intérêts que l’Espagne a au Maroc”.
Mais il n’en va pas de même au niveau social. “En Espagne, le Maroc est un grand inconnu et circule une quantité énorme de clichés et d’idées répandues qui révèlent la méconnaissance que les voisins du nord ont des Marocains”, dit le journaliste.
À cet égard, il y a beaucoup à faire pour faire tomber les clichés qui dépeignent le Maroc comme le dangereux ‘voisin, un pays dont viennent seulement des problèmes : les migrants, les djihadistes, le terrorisme, la menace sur Ceuta et Melilla” il souligne que.
Il faut faire plus de pédagogie politique sans oublier qu’en Espagne vivent plus d’un million de Marocains et que des dizaines de milliers d’Espagnols se rendent dans le pays voisin chaque année.
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