Lalla Salma, princesse fantôme du Maroc
L’ex-épouse de Mohammed VI a connu les affres de la disgrâce. Mais nul ne peut ôter à cette roturière sa dignité de mère du futur roi.
Acte 1 – Où l’on devine, dans la touffeur de l’été, les infortunes d’une altesse portée disparue
Un conte de fées revu et corrigé par Machiavel. Une mélopée orientale dont on aurait confié la partition aux Borgia. Rien n’y manque. Ni le souverain de droit divin, replet, indolent et lointain, ni la roturière à la crinière flamboyante et au teint diaphane, candide puis rebelle, lasse de se morfondre en sa cage dorée, et dont on a perdu la trace une année durant. Tout y est. Les prémices d’un divorce à moitié clandestin, les mesquines intrigues d’antichambres, le zèle de courtisans serviles, le virus du complot, le poison de la suspicion, les ravages de la jalousie. Les rares initiés qui consentent à guider l’étranger dans les tortueux dédales des palais du royaume avancent masqués. Tous ou presque requièrent l’anonymat. Sur le Maroc éternel règnent Mohammed VI, 23e monarque de la dynastie alaouite, et la loi du « off ». « De grâce, ne me citez pas! » Logique. L’intimité de la famille régnante et ses secrets sacrés relèvent encore du tabou majuscule. Murmures et chuchotis pour les plus audacieux. Silence de plomb chez les autres.
Si elle pimente parfois la rubrique « Têtes couronnées » des magazines people, si elle dope les audiences d’une flopée de médias digitaux plus ou moins frondeurs, la destinée ô combien romanesque de Lalla – la princesse – Salma, épouse déchue de Sa Majesté, aurait sa place dans un traité de sociologie politique maghrébine. Tant elle éclaire, fût-ce en creux, les doutes d’une monarchie tiraillée entre le respect dû à une tradition sacro-sainte, d’intenses frustrations sociales et le désir, irrépressible, de modernité politique.
Saisissante jusque dans son anachronisme, la scène date du 31 juillet dernier. Ce mercredi-là, sur l’esplanade du palais de Tétouan (nord), une foule de dignitaires, tous vêtus d’une djellaba immaculée à capuche pointue, sacrifient au rituel d’allégeance, point d’orgue de la Fête du Trône. Avec d’autant plus de ferveur que le royaume chérifien célèbre cette année le 20e anniversaire de l’intronisation de « M6 », fils et successeur de l’implacable Hassan II. Par vagues, ils se prosternent devant un Commandeur des croyants drapé dans une cape jaune d’or et juché sur un étalon noir indocile. Au coeur de l’escorte du roi – « que Dieu l’assiste », selon la formule de rigueur -, un ado mince et grave en tenue militaire d’apparat : son aîné, Moulay Hassan, 16 ans, prince héritier de son état.
Las ! ces fastes immémoriaux peinent à chasser les miasmes d’un été calamiteux. Onze jours plus tôt, l’avocat français Eric Dupond-Moretti, conseil du monarque, a adressé à l’hebdomadaire Gala une mise au point aussi ferme dans la forme que sibylline sur le fond. « Le roi du Maroc et son ex-épouse Lalla Salma, écrit le Falstaff des prétoires, font conjointement savoir que les rumeurs de fuite ou de séquestration d’enfants qui circulent depuis le début du mois sont intolérables. »
Quel crime de lèse-majesté a pu commettre le titre emblématique du groupe Prisma pour s’attirer un tel blâme? Il a relayé l’article d’un site Web imputant à un oukase du souverain l’absence alléguée de Lalla Khadija, 12 printemps, la fille du couple, au côté de sa mère et de son frère lors de leur escapade estivale sur l’île grecque de Skiathos, confetti paradisiaque de l’archipel des Sporades, en mer Egée. « Scoop bidon, objecte un familier de la monarchie, pourtant peu suspect de complaisance envers le makhzen – la caste au pouvoir. Les deux enfants ont bel et bien accompagné leur maman. Cela posé, cette riposte atteste le degré d’exaspération de M6. » De fait, le Palais s’abstient d’ordinaire de réfuter les « ragots » qu’inspirent ses fêlures.
Comment dit-on « billard à trois bandes » en darija, l’arabe dialectal marocain? Le communiqué précité évente, de manière détournée, un secret de polichinelle. En invoquant le courroux supposé de « l’ex-épouse », il officialise un divorce consommé seize mois auparavant, mais ni confirmé ni démenti depuis lors; même si divers médias déférents ont entre-temps authentifié une séparation révélée par le magazine espagnol ¡Hola!, quitte à épuiser le catalogue des litotes.
Le roi, qui souffle en ce 21 août ses 56 bougies, n’a pas ces pudeurs. De l’aveu de deux témoins privilégiés, le descendant du Prophète assume sans détours son statut de divorcé. « Jamais, insiste l’un d’eux, ¡Hola!, qui publie au Maroc une édition francophone, n’aurait pris le risque de balancer son exclu sans un aval venu d’en haut. » La preuve? Selon des confidences glanées par l’hebdo glamour ibérique dans les couloirs du palais, la fracture serait, va pour le pléonasme, « définitive et irrévocable ».
Les vacances hellènes de Lalla Salma et de sa progéniture, convoyées le 6 juillet à bord d’un jet des Forces aériennes royales, méritent une brève escale. Autant pour leur traitement par les poètes de cour du makhzen que pour la splendeur des plages de Koukounaries. La princesse en rupture de ban a-t-elle bien loué sur place le yacht Serenity, au tarif de 600000 euros la semaine? Mystère. « Une certitude, avance un insider : les médias aux ordres ont reçu instruction de diffuser l’info. »
D’autres, ou les mêmes, profiteront de l’occasion pour rappeler que « l’ex-épouse », née Salma Bennani voilà quatre décennies, possède sur la très huppée île de Kéa, à l’entrée des Cyclades, une luxueuse résidence – sept chambres, neuf salles de bains et une piscine aux dimensions quasiment olympiques – acquise selon un canard athénien pour la modique somme de 3,8 millions d’euros. Et tant pis si, aux dires d’un parent de Sa Majesté, ce domaine appartient en réalité à Lalla Asma, l’une des soeurs du souverain…
On a le sens du timing ou pas. ¡Hola! sort sa bombinette matrimoniale le 21 mars 2018. Seize ans jour pour jour après la signature, en présence des seules familles et devant les adoul – notaires en droit musulman -, de l’acte de mariage. Seize ans? Soit, sous nos latitudes, les noces de saphir. En l’occurrence, un saphir taillé à la hâte et au burin. Les amateurs de bluettes princières en seront pour leurs frais : les épousailles ainsi scellées s’apparentent à une union de façade, dictée par l’impérieuse nécessité de perpétuer la dynastie et de sauver les apparences.
Disons-le tout net. Guère attiré par la gent féminine, le jeune souverain n’avait aucune envie de convoler. « Au soir de son règne, Hassan II l’a sommé de prendre femme », soutient un vétéran des us et coutumes du royaume. Volonté exaucée, certes, mais trois ans après le trépas de celui qui régenta le royaume à la cravache trente-huit années durant. « Salma savait fort bien à quoi elle s’exposait, avance un ancien as du renseignement français, familier des ombres de la cour. Consciente des inclinations de son époux, elle ne pouvait escompter ni félicité conjugale, ni nuits d’ivresse. »
« Mais comment une fille d’une vingtaine d’années aurait-elle pu refuser une telle faveur? nuance un autre « makhzénologue » averti. Sans doute était-elle assez naïve pour imaginer infléchir le cours des choses. »
A l’époque, le choix de l’élue déroute quelque peu les chancelleries et les élites locales. « L’usage, note Michel de Bonnecorse, ambassadeur de France à Rabat de 1995 à 2002, voulait que le souverain épousât une femme venue d’une tribu berbère influente, histoire de consolider l’unité du royaume. M6, lui, a jeté son dévolu sur une Arabe de souche, issue de la moyenne bourgeoisie fassie. » En clair, native de Fès (nord-ouest), capitale spirituelle du royaume.
Il n’en fallut pas davantage pour que, dans les gazettes, le moulin à clichés s’emballe. Hommage à la « fille du peuple », à la « Cendrillon marocaine ». On se calme. Salma n’a rien de l’infortunée souillon réduite en esclavage par une infâme marâtre. Son père, prénommé Abdelhamid, enseignait à l’Ecole normale supérieure de Fès. Orpheline de mère dès l’âge de 3 ans, la gamine sera élevée par sa grand-mère, Fatima Abdellaoui, établie à Rabat, en lisière du quartier populaire d’Akkari.
Une aïeule vénérée dont le décès, survenu en novembre 2018, plongera Salma dans une profonde affliction. A l’école, la petite Bennani accomplit un sans-faute. Bosseuse, elle empoche en 1995 un bac scientifique, mention bien. Suivent pour la matheuse deux années de prépa au lycée Moulay-Youssef, prélude à son entrée à l’Ecole nationale supérieure d’informatique et d’analyse des systèmes. Majore de sa promotion, l’ingénieure en herbe décroche un stage à l’Omnium nord-africain, conglomérat géant et propriété du clan royal.
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