Javad Zarif, le Persan qui rend fou Trump

Le ministre des Affaires étrangères de Téhéran, qui parle couramment l’anglais, pouvait tweeter, se battre débattre avec n’importe quel USAméricain avec une aisance délectable.

A l’heure où l’administration Trump n’a aucun problème à négocier avec le secrétaire du Conseil national de sécurité russe, Nikolaï Patroutchev, qui est techniquement sous sanctions usaméricaines depuis avril 2018, il faut bien comprendre la teneur de la décision de Washington de sanctionner Mohammad Javad Zarif.

Comment le secrétaire d’État US Mike Pompeo a-t-il tenté d’expliquer l’envoi en enfer de Zarif ? La déclaration de Pompeo, mercredi, attribuait à Zarif les péchés suivants : a) Zarif a « agi au nom du Guide suprême » ; b) Zarif a « reçu des directives du Guide suprême et de son bureau » ; c) Zarif a « joué un rôle clé dans l’application de la politique de l’Ayatollah Khamenei dans la région et dans le monde » ; d) et Zarif a été « un haut fonctionnaire et apologiste » du gouvernement iranien et a « depuis longtemps été complice des activités malignes [de l’Iran].”

En gros, la rouspétance de Pompeo se réduit à ça : Zarif est un fonctionnaire iranien discipliné, dévoué et loyal qui respecte le système de gouvernement iranien fondé sur le concept de velāyat-e faqīh, ou  » gouvernance du docte ».

Est-ce devenu un péché ? Tout ministre des Affaires étrangères a un poste taillé à sa mesure, même Pompeo. Pompeo n’a aucune prétention qu’il occupe ce poste entièrement au gré et à la discrétion de son chef suprême, le président Donald Trump. Trump, en fait, est un fanatique impitoyable pour la loyauté. Demandez à James Mattis ou Rex Tillerson.

C’est quoi le hic ?

L’establishment usaméricain sait très bien comment fonctionne le concept velāyat-e faqīh, comment se forme l’alchimie du pouvoir politique en Iran et comment se déroule le processus décisionnel. Même Trump devrait le savoir.

C’est pourquoi il a même essayé de joindre le Guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, et a été dûment snobé. Alors, où est le hic ?

En termes simples, c’est Zarif en soi qui est le problème. L’administration Trump est désespérément désireuse de mettre fin aux contacts de Zarif avec l’élite usaméricaine. Zarif a vécu et travaillé pendant plusieurs années aux USA dès l’âge de 17 ans – en tant que lycéen, étudiant universitaire et diplomate de carrière, avant de devenir le représentant de l’Iran aux Nations Unies de 2002 à 2007.

Il est également resté en contact étroit avec les milieux universitaires et intellectuels usaméricains en sa qualité de professeur et de rédacteur en chef de revues académiques à Téhéran et a beaucoup écrit sur le désarmement, les droits humains, le droit international et les conflits régionaux.

En fait, ce qui dérange le gouvernement Trump, c’est que Zarif a tissé des liens étroits avec des intellectuels, des politiciens, des groupes de réflexion et des représentants des médias usaméricains – des personnalités aussi diverses que Joe Biden, John Kerry, Nancy Pelosi, Chuck Hagel, Nicholas Kristof, Thomas Pickering, James Dobbins et Christiane Amanpour.

Zarif a pris son travail au sérieux et, parlant couramment l’anglais, il pouvait tweeter, se battre et débattre avec n’importe quel USAméricain avec une facilité délectable. Zarif a surclassé l’équipe médiocre de la politique étrangère et de sécurité usaméricaine.

Le secrétaire d’État John Kerry lors d’un échange au scénario serré avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, au sujet de la libération de plusieurs prisonniers usaméricains détenus en Iran, Vienne, 16 janvier 2016

Les visites périodiques de Zarif à New York – apparemment pour assister à des événements de l’ONU – devinrent de plus en plus un cauchemar pour l’administration Trump alors qu’il lançait son filet attrape-tout pour diffuser le discours iranien. M. Trump a repéré plus d’une fois le fait que Zarif a rencontré Kerry, l’ancien secrétaire d’État qui a négocié l’accord avec l’Iran de 2015.

C’est là le nœud du problème. En imposant des sanctions à Zarif, les USA peuvent lui refuser un visa et rendre illégal – et passible de poursuites judiciaires – tout contact entre lui et tout ressortissant USaméricain.

En effet, Trump a fait en sorte que Zarif ne vienne pas à New York d’ici les élections de novembre 2020 pour que ses détracteurs et critiques n’entendent pas directement le discours iranien.

Trump se sent exaspéré que l’Iran soit en train de gagner la guerre de l’information. Et il craint que d’ici novembre 2020, sa campagne pour la réélection ne se retrouve piégée. Pour tout observateur de longue date de l’impasse usaméricano-iranienne, il est évident qu’un changement radical est apparu dans les discours usaméricains sur l’Iran.

Il y a aujourd’hui aux USA un groupe d’opinion influent et de plus en plus fourni qui n’est pas d’accord avec la stratégie de  » pression maximale  » de Trump. Ce secteur de l’électorat soutient rationnellement que Trump n’aurait pas dû laisser tomber l’accord nucléaire de 2015.

De même, il y a aujourd’hui une bien meilleure compréhension de l’opinion usaméricaine informée au sujet de l’Iran et de ses politiques, et du zen de la négociation avec le nationalisme persan sous le vernis de l’islamisme.

Ce qui est surprenant, c’est qu’un tel réveil a eu lieu malgré les efforts herculéens du lobby israélien pour diaboliser l’Iran et contrecarrer toutes les opinions contraires dans les médias, les groupes de réflexion et les campus – et au Capitole.

Un exemple à ne pas suivre

Le stratagème de Trump fonctionnera-t-il ? Peu probable. Le fait est que Zarif est irrépressible. Il continuera à taquiner, à railler, à dénigrer, à humilier, à dénoncer et à descendre les politiques de Trump vis-à-vis de Iran. Pire encore, Zarif a enfoncé un couteau dans le cœur de l' »équipe B » qui dirige la politique de l’administration US sur l’Iran.

Les sanctions de Trump contre Zarif ne serviront d’exemple à aucun autre pays qui entretient des relations diplomatiques avec l’Iran. En dernière analyse, Trump devra faire avec Zarif, qu’il le veuille ou non.

La meilleure façon de contrer Zarif aurait été de choisir un secrétaire d’État dynamique et intellectuellement ingénieux. Une médiocrité comme Pompeo n’a aucune chance face à Zarif.

En 2001, M. Zarif a été le principal représentant de l’Iran à la Conférence de Bonn, qui a réuni les acteurs régionaux à la suite de l’invasion usaméricaine de l’Afghanistan et de l’éviction des talibans. Son homologue US, James Dobbins, qui a ensuite été nommé envoyé spécial de Barack Obama en Afghanistan, a publié un essai mémorable intitulé « Negotiating with Iran  » : Réflexions tirées de l’expérience personnelle » dans le Washington Quarterly sur l’érudition, l’esprit et le charme de Zarif – et son pragmatisme, qui ont aidé les deux diplomates talentueux à conclure un accord qui a conduit au remplacement du gouvernement de l’Alliance du Nord à Kaboul par une organisation provisoire soutenue par les USA sous la direction de Hamid Karzai.

L’ancien président afghan Burhanuddin Rabbani a fait remarquer amèrement à l’époque qu’il espérait que ce serait la dernière fois qu’une puissance étrangère dictait sa volonté aux Afghans.

Washington a maintenant sanctionné l’homme qui a joué un rôle central dans cette transition fatidique à Kaboul qui a conduit à l’installation d’un régime client des USA dans l’Hindou-Kouch. Ah le ingrats !

Tlaxcala

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