par Ghania Oukazi
L’offensive « populaire » contre le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah est montée ce vendredi en cadence sur fond de menace de « désobéissance civile ».
Le 24ème vendredi du «hirak» n’a pas ressemblé à tous les autres qui se sont succédé depuis le 22 février dernier. Bien que moins nombreux que d’habitude, les marcheurs se sont déployés à travers les artères principales de la capitale sous la cadence de slogans fermes et ciblés lancés sur un ton dur et menaçant. Le «hirak» semble amorcer un changement décisif dans sa tactique contestataire et revendicative. Premier signe ostensible, les marcheurs n’ont pas nettoyé les espaces par lesquels ils sont passés. Témoignage d’habitants des quartiers proches de la Grande Poste. «A 17 heures, il n’y avait presque plus personne, le silence s’est installé mais les rues sont restées sales, jonchées de bouteilles en plastique, d’ordures, ce sont les services Netcom qui ont balayé et nettoyé, ils ont rempli de gros sacs d’ordures».
Terminé donc le temps où les manifestants exhibaient leur fierté pour décrire ces mouvements imprégnés d’un sens subi de civisme ramassant les détritus à la fin de chaque manifestation. Chassé pendant plusieurs vendredis et deux saisons, le naturel est revenu au galop en cet été caniculaire. Il reprend ses droits contre tout espoir de voir un jour les quartiers algériens devenir propres par habitude et non par opportunisme ou par artifice politique.
Autre fait nouveau et important, les marcheurs sont passés à la menace de la désobéissance civile. Dans notre édition du mardi 30 juillet dernier, nous écrivions que «l’on apprend que des consignes strictes sont distillées au sein des marcheurs de toutes les wilayas pour «tenir» jusqu’au mois de septembre prochain. L’objectif étant de changer de formes de protestation et passer à l’étape la plus dure, celle du gel de toutes les activités économiques et sociales du pays». Ceci en soulignant que «si Bedoui n’est pas parti d’ici à septembre prochain, on appellera à des grèves générales dans tous les secteurs», soutenaient nos sources.
Le temps «des pièges d’un chaos»
Le 24ème vendredi en a donné un avant-goût. Septembre serait le mois idéal pour les stratèges qui veulent pousser la rue à l’anarchie.
Le rejet par le chef d’état-major de l’ANP de tous les préalables de ses contradicteurs fait craindre le pire. L’offensive «populaire» lancée ce vendredi contre lui augure de mauvais lendemains. «Gaïd Salah dégage», «Pouvoir assassin», «Dawla madaniya, machi 3askariya», «Makache intikhabat m3a el 3issabat» (pas d’élections avec la bande), «C’est vous ou nous, on ne va pas s’arrêter», «La nourid hokm el 3askar min djadid» (nous ne voulons pas de nouveau d’un pouvoir militaire», «Le peuple veut l’indépendance». Des slogans qui confortent largement les adeptes «d’une période de transition indéterminée et sans institutions», relèvent des analystes.
L’encerclement du pouvoir actuel par des forces occultes se précise de jour en jour. Si le pays craint les conséquences d’un pouvoir militaire qui s’est imposé de fait après la démission forcée du président Bouteflika, l’alternative par laquelle les réseaux de l’Etat profond veulent lui forcer la main souffle l’air de l’enfer. Le temps joue parfaitement son rôle de forgeur du fait accompli. Tout va aller vite vers le chaos – comme insinué par Mouloud Hamrouche – si les politiques ne se décident pas à empiéter le pas à l’armée pour enclencher le processus de légitimation des institutions de l’Etat. Cet ancien colonel de l’armée et ancien chef du gouvernement a fait part de «menaces imminentes». Menaces qu’il dit «n’ont pas disparues pour autant et sont toujours en gestation. Il revient à ceux qui sont aux commandes d’agir, de répondre au «hirak» et de mobiliser le pays pour lui éviter les pièges d’un chaos». Le «hirak» est donc devenu ce testeur du souffle le plus long et des réseaux les plus structurés pour accaparer le pouvoir.
«L’armée sévira»
Il l’est davantage au niveau de la capitale tant il est entretenu à cet effet par des foules venues sans relâche expressément des wilayas limitrophes. L’on relève d’ailleurs aisément la tonalité des slogans que l’histoire récente apparente à la Kabylie et particulièrement aux temps de la révolte des âarouchs.
Gaïd Salah a beau grossir les rangs des inculpés de la corruption en les faisant incarcérer sans préalables, il ne peut nier que ces lourds dossiers ont été bien ficelés par le DRS et gardés soigneusement dans les tiroirs. Il a eu certes cette sacrée chance de s’en servir en «toute légalité» contrairement à son ennemi juré, l’ex-patron du DRS, qui semble avoir été pris au dépourvu si l’on s’en tient à son incarcération à la prison militaire de Blida. Mais la nomination de Belkacem Zeghmati comme garde des Sceaux, ministre de la Justice, vient brouiller les pistes en s’imposant comme un indice de taille dans le positionnement des clans. Plusieurs autres nouvelles nominations à de hauts postes de responsabilité laissent penser que le général de corps d’armée ne commande pas le pays et ne détient pas tous les pouvoirs. Bouteflika le croyait lui aussi mais a été surpris par la fermeté du ton qui a prévalu à l’application brusque et immédiate de l’article 102 de la Constitution qui l’a poussé à signer sa propre destitution. «La désobéissance civile arrive» disait une pancarte du «hirak». Si, comme le soutiennent des financiers, le pouvoir en place table sur les 100 milliards de dollars «cachés» pour régler les problèmes économiques et sociaux qui vont s’imposer à lui sous le sceau de l’urgence, une grève générale achèvera le peu d’économie nationale dont la plupart des groupes industriels tournent à peine à 30%. «En cas de désobéissance civile effective à la rentrée, l’armée sévira» affirment des observateurs. Mais ce serait peut-être la faute à laquelle veulent la pousser ses antagonistes.
Le Quotidien d’Oran, 4 août 2019
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