Une professeure d’anglais de 24 ans a été tuée dans les violences qui ont également fait des dizaines de blessés, suscitant des critiques accusant Rabat de créer une « atmosphère d’oppression et de terreur »
Le Maroc est accusé de créer une « atmosphère d’oppression et de terreur » au Sahara occidental, après qu’une jeune femme a été tuée et des dizaines de personnes grièvement blessées au cours d’une violente répression qui a débuté alors que les gens célébraient la victoire de l’Algérie en Coupe d’Afrique des nations (CAN).
Ces violences ont incité le Front Polisario – un mouvement de libération qui représente le peuple sahraoui – à appeler le Conseil de sécurité des Nations unies à demander au Maroc de rendre des comptes pour avoir mené ce qu’il a décrit comme une « politique de répression systématique » dans ce territoire contesté.
Le 19 juillet, les supporters sahraouis ont envahi le large boulevard Smara, la route principale qui traverse Laayoune, la plus grande ville du territoire, pour scander « One, two, three, viva Algeria » et brandir le drapeau algérien, peu après la victoire de l’équipe algérienne contre le Sénégal en finale de la coupe.
En tant que principal soutien des demandes d’autodétermination du Front Polisario, l’Algérie est bien vue par de nombreux Sahraouis et accueille également des dizaines de milliers de réfugiés sahraouis.
Étant donné que des affrontements avaient éclaté après les matchs précédents, la police avait mis en place des barricades sur le boulevard avant le match et étaient présents dans les cafés où le match était diffusé.
Cependant, l’ambiance a commencé à changer quand certains supporters ont commencé à agiter le drapeau du Polisario et à scander des appels à l’autodétermination, une demande de longue date des Sahraouis, rejetée par le Maroc qui contrôle la grande majorité du territoire désertique.
Mansour Mohamed Moloud, un témoin oculaire et militant de la Fondation pro-sahraouie Nushatta, a déclaré à Middle East Eye qu’après avoir échoué à faire circuler les manifestants, la police a commencé à leur lancer des pierres et les manifestants ont riposté.
« Au début, il y avait des provocations de la part de la police. Ils ont essayé de faire bouger les manifestants. Soudain, ils ont commencé à lapider les gens, ce qui a conduit les manifestants à faire de même », raconte Moloud.
Les affrontements se sont poursuivis toute la nuit jusqu’au petit matin, indique Moloud. Les forces de sécurité tiraient des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc et utilisaient des canons à eau.
Des images diffusées des affrontements montrent le moment où les forces de sécurité armées se sont avancées en ligne pour prendre le contrôle du boulevard, lançant des projectiles.
Les coups de feu peuvent être entendus dans la même vidéo publiée par la Fondation Nushatta, qui documente les exactions dans le territoire et affirme que la police a tiré des balles en caoutchouc et des balles réelles.
Sur d’autres images, on peut voir des corps ensanglantés et des manifestants échappant à la fumée étouffante des grenades lacrymogènes.
Vers 1 h 00, Sabah Osman, professeure d’anglais âgée de 24 ans, a été renversée par deux véhicules de police sur le boulevard. Quand une ambulance l’a finalement rejointe, elle était morte.
Moloud, qui la connaissait personnellement, croit qu’elle a été délibérément prise pour cible, alors que la police avait du mal à réprimer les manifestants. « Je les ai vus essayer de renverser des manifestants », affirme-t-il.
« J’étais en colère, elle était au début de sa vie. Ce conflit nous tue. »
Selon la Fondation, au moins 200 personnes ont été blessées, beaucoup sont dans un état critique, notamment un homme qui a également été percuté par un véhicule des forces de sécurité.
Six maisons ont été perquisitionnées et plus d’une dizaine de personnes, dont quatre mineurs, ont été arrêtées depuis les troubles, a indiqué la Fondation. Quatre d’entre eux ont été libérés et dix attendent leur procès.
Moloud, qui affirme qu’il s’agissait des pires violences secouant le territoire depuis plusieurs années, explique que les militants sont passés dans la clandestinité.
« Les gens ont peur, ils cessent de marcher dans les rues, ils se cachent. Tout le monde éteint son téléphone », témoigne-t-il.
« Acte dangereux »
Ces violences surviennent dans un contexte d’impasse dans les négociations menées par l’ONU visant à résoudre les revendications rivales sur ce territoire surnommé « la dernière colonie d’Afrique ».
Le Maroc considère le Sahara occidental, riche en poissons et en phosphate, comme faisant partie de ses « provinces du sud », après son invasion et son occupation par Rabat quelques mois après le départ de l’Espagne coloniale en 1975.
Un cessez-le-feu en 1991 a mis fin à la guerre entre le Maroc et le Front Polisario avec la création de la MINURSO, une force de maintien de la paix des Nations unies, qui n’a pas encore rempli son mandat consistant à mettre en œuvre un référendum sur l’autodétermination.
La République arabe sahraouie démocratique (RASD) proclamée par le Polisario conserve le contrôle d’un tiers peu peuplé du territoire et bénéficie d’une reconnaissance modeste de la communauté internationale.
Bien que la revendication du Maroc n’ait été officiellement reconnue par aucun État, il bénéficie d’un fort soutien de la France et des États-Unis, qui sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU.
En mai, le processus de paix a subi un coup dur lorsque Horst Köhler, l’envoyé de l’ONU qui supervisait le processus de paix, a quitté son poste après deux séries de négociations à Genève. Le Polisario a affirmé qu’il avait démissionné en raison de pressions politiques et non de problèmes de santé, comme il l’avait prétendu. Une troisième série de négociations devait avoir lieu au cours de l’été.
Dans une lettre adressée au Conseil de sécurité, le représentant du Front Polisario aux Nations unies, Mohamed Sidi Omar, a décrit la répression menée par le Maroc contre les supporters de football « comme une composante de sa politique systématique de répression dans le Sahara occidental occupé » et a appelé l’organisme à « tenir le Maroc responsable des conséquences de cet acte dangereux et des crimes odieux perpétrés par ses forces de sécurité contre la population sahraouie ».
Omar a appelé les Casques bleus de la MINURSO à « agir conformément aux normes de base applicables à toutes les autres opérations de maintien de la paix de l’ONU, notamment avoir la capacité de surveiller, de protéger et de rendre compte de la situation des droits de l’homme ».
Melainin Lakhal, diplomate sahraoui de la RASD basé au Botswana, qui a également survécu à une disparition forcée dans les prisons marocaines, a déclaré à MEE : « La réponse des autorités marocaines est toujours si violente qu’il y a toujours des blessés graves et une atmosphère d’oppression et de terreur règne sur le territoire pendant des jours, des semaines et dans de nombreux cas pendant des mois. »
« Le Maroc ne peut pas jouir éternellement de l’impunité. Il s’agit d’une force militaire d’occupation qui abuse des droits et des ressources d’un autre pays et il faut l’arrêter », ajoute-t-il.
Mardi, Mohamed Salem Ould Salek, le ministre des Affaires étrangères de la RASD, a exhorté l’ONU à organiser un référendum dans le territoire et a accusé Paris de bloquer tout progrès au Conseil de sécurité.
« La communauté internationale doit être consciente qu’il est très difficile de faire attendre le peuple sahraoui et que cela a créé une frustration très profonde parmi tous les Sahraouis », a-t-il précisé. « Cela doit être pris en considération avant qu’il ne soit trop tard. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Source : Middle East Eye, 29 jui 2019
Tags : Sahara Occidental, Maroc, répression, droits de l’homme, Sabah Osman,