Des milliers de citoyens sont sortis dans la rue à travers plusieurs villes du pays pour réclamer encore une fois un changement du système de gouvernance et l’entame d’un dialogue « sérieux » pour sortir le pays de la crise qu’il traverse. Le hirak entame son 23e vendredi dans un moment décisif qui intervient au lendemain de la désignation, par le chef de l’Etat, d’un panel de six personnalités pour mener un dialogue en vue d’une sortie de crise.
A Alger, les manifestants ont affiché, une nouvelle fois, leur détermination à poursuivre la mobilisation en scandant « maranache habsine » (nous ne nous arrêterons pas), exprimant leur rejet à tout dialogue « avant le départ des symboles du régime de Bouteflika, en premier lieu le gouvernement conduit par Noureddine Bedoui ». Les contestataires continuent à réclamer «un changement radical du système» et la «poursuite de la lutte contre la corruption», tout en exigeant des «initiatives sérieuses» de dialogue pour la sortie de crise.
Pour d’autres, le débat doit avoir un caractère plus concret et plus radical. Ces derniers doutent de la sincérité de l’engagement du chef de l’Etat qui a exprimé «sa disponibilité à œuvrer pour inviter la justice à examiner la possibilité d’élargissement des personnes dont l’interpellation s’est faite en lien avec le déroulement des marches populaires». «Il est encore trop tôt pour se prononcer sur ses déclarations», estime Samir venu de Bouira pour prendre part à l’acte XXIII du hirak.
Pour lui, «il est légitime de ne pas y croire jusqu’à la libération de tous les détenus» et «le respect de la volonté du peuple» qui doit, selon lui, se traduire par l’application des articles 7 et 8 de la Constitution. Ses amis Karim et Rafik lui emboîtent le pas pour dire qu’«il n’est pas possible de parler de dialogue alors que des jeunes manifestants croupissent en prison». Et pour montrer leur détermination à rester aux avant-postes de la lutte pour un changement radical du système, ils brandissent leur slogans préférés dont «Pour une Algérie réconciliée avec son histoire et son identité» et «Pour l’instauration d’une République démocratique et plurielle».
«Seuls ceux qui seront issus du hirak sont habilités à parler au nom du peuple», réclame un autre cercle regroupant des manifestants et des citoyens de passage à la place Audin. Il s’agit de débats improvisés où chacun a le droit de s’exprimer sur la crise qui secoue le pays depuis le 22 février dernier. «Il ne peut y avoir de dialogue avec le gang», soutient un modérateur.
Et d’ajouter : «Ce sont les mêmes propositions qui reviennent pour gagner du temps.» Le débat devient plus houleux lorsque deux jeunes tentent d’expliquer qu’«il y a urgence à réunir les conditions pour assurer un dialogue productif». Ils ont aussitôt été interrompus par un autre intervenant, beaucoup plus offensif, pour rappeler à l’assistance que «le dialogue est conditionné par le départ de Bedoui et la mise en œuvre des articles 7 et 8 de la Constitution».
Les premiers groupes de manifestants, habillés en grande majorité aux couleurs nationales, ont battu le pavé des boulevards d’Alger-Centre dès 14h en entonnant l’hymne national et d’autres chants patriotiques à la gloire des martyrs. Les manifestants qui ont commencé à affluer en petits groupes dès 10h du matin vers la Grande-Poste et la place Maurice-Audin ont été rejoints par d’autres en début d’après-midi, pour arpenter les artères principales en scandant haut et fort «Djazaïr Hourra dimoucratia» (Algérie libre et démocratique).
Postés à quelques mètres de la place Audin, le premiers groupe de manifestants, rassemblés bien avant le départ prévu du cortège, scandaient «Le peuple veut l’indépendance», ou «Y en a marre de ce pouvoir». Et pour contourner le dispositif sécuritaire déployé sur les lieux, les marcheurs se sont dirigés vers la Grande-Poste en scandant «Makach hiwar maâ el issaba (Il n’y a pas de dialogue avec la bande mafieuse)» et «Libérez nos enfants». A la fin de la journée, les contestataires se sont dispersés dans le calme en réaffirmant leur détermination à continuer leur lutte pacifique jusqu’à la satisfaction de leurs revendications.
Boumerdès: maintien de la pression sur le pouvoir
Bravant la forte chaleur, des milliers de citoyens de la wilaya de Boumerdès étaient au rendez-vous du 23e vendredi du hirak. Empruntant le même itinéraire que celui des marches précédentes, les manifestants ont, une nouvelle fois, exprimé leur volonté de voir les actuelles figures du pouvoir quitter la scène politique. Ils maintiennent leur pression.
Les marcheurs ont repris en chœur : «Djazaïer horra dimocratiya» (Algérie libre et démocratique), «Dawla madaniya machi aâskariya» (Un Etat civil est non militaire), «Système dégage», «ïssaba dégage» (gang dégage), «Naâm lil wihda, la lil tafrika» (Oui à l’union, non à la division), «Bensalah dégage, Bedoui dégage». Les manifestants ont parcouru dans le calme les grands boulevards de la ville sous la vigilance des forces de l’ordre. La marche n’a enregistré aucun dépassement ou incident. Les marcheurs se sont ensuite dispersés dans le calme.
Sétif : «Pour un dialogue constructif»
Le temps caniculaire de ce 23e vendredi de protestation n’a pas dissuadé les Sétifiens à déserter la rue. Une fois de plus, ils étaient très nombreux à se rassembler, hier, pour poursuivre la contestation. Commentant l’actualité du jour, beaucoup de manifestants ont refusé de se prononcer sur la le panel des six personnalités appelées à mener le dialogue national inclusif.
«C’est un peu trop tôt pour donner un avis et se prononcer. Attendons pour voir le résultat du travail de ce comité des six. Nous sommes pour un dialogue constructif, utile et sincère. Nous ne souhaitons la sortie de crise de notre pays pour ne pas retomber dans les erreurs du passé», ont indiqué les manifestants rassemblés à la place 8-Mai-1945, face au siège de la wilaya.
Portant l’emblème national et déployant de larges banderoles, les manifestants ont réitéré les mêmes slogans pour un changement radical. Encadrée par un service de sécurité très discret, la marche s’est déroulée dans le calme.
Constantine: un non au panel
La réponse des centaines de manifestants sortis battre le pavé de Constantine a été formelle en ce 23e vendredi du hirak : pas de dialogue avec la bande. «Qui vous a désigné pour négocier au nom du peuple ?» C’est par cette interrogation que les protestataires ont fait part de leur rejet du panel chargé de mener le dialogue inclusif.
La chaleur suffocante n’a pas dissuadé les contestataires à sillonner les principales artères de la ville depuis la Pyramide jusqu’à la Brèche en passant par le fief du mouvement, la place jouxtant le palais de la culture Mohamed Laïd-El Khalifa. Drapés dans l’emblème national, les manifestants brandissaient de multiples pancartes proclamant : «Dialogue = application des articles 7 et 8», scandant «Dawla madania machi askaria (Etat civil et non militaire). La marche s’est achevée dans le calme. «C’est un serment. Nous n’allons pas abdiquer avant l’extinction de ce système», lance un avocat.
Tlemcen : pour l’application des articles 7 et 8 de la Constitution
La population de Tlemcen a vécu pour le 23e vendredi une journée de mobilisation populaire. Les manifestants, toujours fidèles à ces rendez- vous, ont réitéré leurs revendications, notamment le départ de tous les symboles du système, l’édification d’un Etat de droit et la poursuite de la lutte contre la corruption.
Ce vendredi de mobilisation, qui intervient après l’annonce par des personnalités nationales chargées de l’organisation d’un dialogue national, a poussé les marcheurs à insister sur l’application des articles 7 et 8 de la Constitution. Les citoyens qui ont scandé «djeïch chaâb khawa khawa», «libérez les détenus d’opinion» «pour un Etat civil et démocratique», n’ont cessé de réitérer l’une des principales revendications, à savoir l’édification d’un Etat de droit. Du côté de la région frontalière, les manifestants ont investi les rues de Maghnia, appelant à leur tour au changement et à plus de sérénité pour une Algérie prospère.
Tizi-Ouzou : la population toujours déterminée pour le changement
«Détermination et patience, la révolution triomphera.» Ce slogan écrit sur une banderole semble être adopté par tous les marcheurs à Tizi Ouzou. En effet, une fois de plus la mobilisation a été hier intacte pour exiger le changement du système. Ni la chaleur, ni l’humidité et encore moins la fraîcheur de la grande bleue ou le festival Raconte-arts n’ont réussi à dévoyer les irréductibles à venir manifester. Les protestataires ont ainsi exigé non seulement le changement du système et le retrait de tous ceux qui l’ont symbolisé mais aussi la libération des détenus. Les slogans ont été hostiles au pouvoir mais aussi au panel des personnalités censées mener un dialogue national. Les manifestants ont en outre réitéré leur revendication : «Nous voulons un Etat civil et démocratique».
Assia Boucetta et correspondants
Sud Horizons, 26 jui 2019
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