Mohamed Hennad, politologue : «Les partis de l’opposition sont défaillants puisqu’ils n’arrivent pas à s’entendre sur une plateforme commune»
Reporters : Les initiatives de sortie de crise par le dialogue des partis politiques, tous courants confondus, ainsi que celles de la société civile se multiplient. Est-ce une bonne chose d’avoir une multitude de propositions ?
Mohamed Hennad : Est-ce une bonne chose ? Oui et non ! Oui, parce que cela signifie que les forces politiques et sociales sont à pied d’œuvre pour essayer de contribuer à la résolution de la crise au lieu de se complaire dans leur passivité coutumière, même relative.
Non, parce que cela signifie que lesdites forces n’ont pas encore pris conscience de la spécificité du moment historique, à savoir la nécessité de s’entendre sur une plateforme commune pour sortir le pays de la crise politique laquelle a déjà trop duré. Qui plus est, si la crise se prolongeait, ces forces se disperseraient encore plus, pour le bonheur du Pouvoir !
Les partis qui proposent des solutions de sortie de crise mettent des préalables pour aller au dialogue parmi lesquels «l’instauration d’un climat d’apaisement qui passe, entre autres, par la libération des détenus d’opinion. Jusqu’à l’heure, il n’y a même pas un début de concrétisation de cet important préalable. A votre avis, cet état de fait est-il de nature à décourager même ceux qui croient au dialogue et qui veulent y aller ?
Tout cela est classique : à chaque fois qu’il y a crise politique il y a un problème de confiance qui se pose pour l’opposition à l’égard du Pouvoir. Et Dieu sait combien cette confiance nous fait défaut ! Dans l’état présent des choses, les forces politiques et sociales ont besoin de préalables pour tester la bonne foi du Pouvoir et espérer aller de l’avant avec lui.
Parmi ces préalables qui reviennent souvent, il y a, effectivement, ceux relatifs à l’installation d’un climat d’apaisement et la libération des prisonniers politiques. Mais pas seulement, puisqu’il s’agit aussi d’ouvrir le champ politique et de ne pas arrêter les citoyens pour leurs opinions. Mais pour le moment, les tenants du pouvoir semblent faire la sourde oreille ; ce qui est de nature à ne pas favoriser un climat de dialogue que tout le monde semble appeler de ses vœux.
Parmi les autres préalables, les deux blocs des partis de l’opposition, que ce soit les «Forces de l’alternative démocratique» ou les «Forces du changement» mettent en avant le départ du gouvernement Bedoui ainsi que le départ de tous les symboles du système décrié. Dans le cas où les choses restent telles qu’elles sont, cela pourrait-il entraver l’option du dialogue ?
Après trois mois d’intérim, les choses restent en l’état. Le Pouvoir continue à parler de dialogue avec les mêmes termes, sans tenir compte du problème de confiance qui se pose entre lui et les forces politiques et sociales du pays.
Pour l’opposition, il faut se refuser à un jeu perdu d’avance puisqu’il se fait avec des forces qui refusent qu’il y ait des règles à ce jeu ! Aussi, le remplacement du gouvernement Bédoui par un autre composé de personnalités consensuelles devrait constituer un préalable non négociable.
Mais, ceci dit, les deux blocs de l’opposition demeurent, pour le moment, défaillants puisqu’ils n’arrivent toujours pas à s’entendre sur une plateforme commune dont ils peuvent se prévaloir devant un pouvoir et lui faire comprendre que ce n’est plus possible de continuer comme à l’accoutumée.
Lors de la dernière rencontre du Chef de l’Etat avec son Premier ministre, il a été procédé à «l’examen des mesures que l’Etat envisage de prendre en vue d’accompagner le processus de dialogue inclusif (…)», selon un communiqué de la présidence de la République. L’Etat ne semble pas prêt pour le dialogue puisqu’il «envisage» de prendre des mesures «en vue de…», ce qui veut dire que rien de concret n’a été fait. Est-ce normal que l’Etat qui prône le dialogue n’ait pas encore pris des mesures concrètes alors que les partis semblent plus actifs ?
En l’occurrence, je préfère parler plutôt de Pouvoir que d’Etat. L’échange dont on nous a fait part entre un « Chef d’Etat » – dont l’intérim est arrivé à terme – et un Premier ministre fortement contesté a été, comme d’habitude, dans le plus pur style de la langue de bois.
La rencontre démontre l’obstination du Pouvoir, lequel veut, apparemment, un dialogue sans préalable, c’est-à-dire non régi par des règles mutuellement acceptées, parce qu’il tient à en être le seul maître. Qui plus est, il donne l’impression qu’il navigue à vue soit parce qu’il est à court d’idées et acculé soit parce qu’il mise sur le pourrissement de la situation afin d’imposer, pour survivre, une sortie de crise à sa manière.
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