Maroc-Sahara Occidental : La mise à nu du palais royal

Hocine Adryen

Le texte définitif du projet d’autonomie marocain a été élaboré à Paris, plus précisément à Matignon, le siège du gouvernement français.

Cette révélation a été faite par l’auteur du livre « La république de sa Majesté », Omar Brousky, journaliste et professeur marocain de droit constitutionnel à l’université de Settat (Casablanca), paru aux éditions Nouveau Monde en septembre 2017 en France.

Le livre dévoile les connivences entre la monarchie marocaine et une partie de l’élite politique, économique et médiatique française. Omar Brouksy rappelle que la France est le premier partenaire économique du Maroc, qui compte 700 à 800 sociétés ou filiales de sociétés françaises, ce qui représente plus de 80 000 emplois. Des sociétés qui bénéficient d’importants avantages fiscaux et autres. Il ajoute qu’aujourd’hui 38 000 élèves marocains sont inscrits à la mission française, la plus importante dans le monde-bien après le Canada, par exemple- et il existe une vingtaine d’instituts français. C’est pour cela que, mentionne-t-on, l’Etat français « se l’écrase » à chaque fois qu’il est question du Maroc. De la marche verte à l’affaire du Sahara occidental, le journaliste et professeur de droit constitutionnel à l’université de Settat (Casablanca) propose une enquête sur l’influence de ces nombreuses personnalités du monde politique et culturel français, incarnation d’une certaine idée de l’idylle franco-marocaine, entretenue par des hommes et des femmes de l’ombre recrutés pour « protéger » l’image de la monarchie.

La marche verte

C’est pendant la présidence de Giscard d’Estaing que l’idée de la marche verte a germé. Alexandre de Marenches, nommé auparavant à la tête du SDECE par Pompidou, était l’un des interlocuteurs privilégié de Hassan II. En 1975, le Polisario se réunit à Alger. Au menu de cette rencontre : les modalités d’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui pouvant aboutir à la naissance d’un Etat sahraoui. Marenches presse alors Hassan II d’agir. Ils imaginent ensemble la Marche verte qui sera lancée le 6 novembre 1975 : plus d 350 000 Marocains transportés dans des camions franchiront la frontière espagnole et « marcheront » sur ce qui sera considéré par la propagande marocaine comme les « provinces du sud récupérées ». Mais huit jours plus tard, un accord est signé discrètement par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie : il établit les conditions du retrait espagnol du Sahara occidental et la partition du territoire entre le Maroc et la Mauritanie. Derrière les rideaux, la France observe d’un œil vigilant ce processus politico-diplomatique, qui donnera naissance plus tard au conflit du Sahara occidental.

Le soutien diplomatique

« C’est dans les bureaux des conseillers de Dominique de Villepin, à Matignon, que le texte définitif du projet d’autonomie du Sahara occidental a été arrêté, juste avant le départ de Jacques Chirac. Le royaume avait besoin d’un soutien initial de Paris, un ressort, une déclaration officielle forte de la France pour un départ en fanfare du projet », confie à l’auteur un journaliste français accrédité à l’Elysée.

Le soutien militaire

Après le putsch en Mauritanie en 1978 contre le président Mokhtar Ould Daddah, la Mauritanie se désengage du sud du Sahara occidental au profit du Maroc. Ce dernier hérite de plus de 270 000 km2 à sécuriser avec des moyens matériels militaires limités. Là aussi, le soutien militaire de la France vient sauver son ami et allié en lui fournissant des avions de guerre, 24 Mirages.

Les richesses du sous-sol de Dakhla

Dakhla et la région de Boukraâ sont les plus connues aujourd’hui. Dakhla pour la pêche (les eaux y sont très poissonneuses), mais aussi pour son agriculture où près d’un millier d’hectares sont consacrés à la culture sous serre, avec une production annuelle de 116 000 tonnes aux mains de militaires marocains ou des notables sahraouis qui ont vendu leur âme et trahi la cause. Le gros de la production est destiné à l’exportation en Europe via des entreprises d’import-export, pour la plupart françaises et espagnoles. La région de Boukraâ regorge de phosphates (8% des exportations marocaines). Signé discrètement en 2012 entre le Maroc et l’UE, l’accord commercial sur les produits agricoles, qui englobe les produits maritimes, profite aussi aux notables sahraouis dont le rapport avec l’Etat marocain est purement clientéliste : l’allégeance de ces « seigneurs du désert » à la position du royaume est monnayée chaque jour à coup de privilèges et de faveurs. Tous les présidents français jusqu’à Emmanuel Macron ont fermé les yeux sur le problème de la gestion des richesses du Sahara occidental.

L’intervention militaire française au Sahara occidental

Prétextant la mort de deux coopérants français et l’enlèvement de huit autres par l’armée sahraouie en 1977, le président Valéry Giscard d’Estaing envoie 4 Mirages survoler ces territoires afin de prendre en photo les bases de l’armée sahraouie. L’opération militaire est déclenchée en décembre de la même année : Les colonnes de l’Armée sahraouie sont d’abord repérées par les avions Breguet Atlantic. Ensuite, depuis Dakar au Sénégal où ils étaient stationnés, les avions de chasse Jaguar décollent le 12 décembre pour frapper les colonnes de l’Armée sahraouie. L’opération appelée « Lamantin » a duré six jours seulement, du 12 au 18 décembre.

Paradis fiscal

Près de 5 000 entreprises marocaines sont domiciliées dans les territoires occupés pour échapper à l’impôt. Parmi les groupes étrangers qui n’hésitent pas à investir, les entreprises françaises occupent une place de choix. En 2011, le Maroc a accordé au groupe pétrolier Total une autorisation de reconnaissance pétrolière sur la zone maritime d’Anzarane, vaste de quelque 100 000 km2. De 2011 à 2015, le groupe français a mené d’importantes études géologiques et géophysiques. L’autorisation n’a pas été renouvelée en 2015 à la suite des réserves émises par l’ONU.

Le lobbying marocain

Le Maroc consacre depuis 2011 un budget considérable au lobbying pour le dossier du Sahara occidental, vis à vis surtout des médias français et également auprès de certains think-tanks. Mais ce sont surtout les journalistes, essentiellement français qui sont grassement payés par le Makhzen pour déformer, voire manipuler l’opinion internationale sur le Sahara occidental et cacher les misères du Maroc. Les documents révélés par Chris Coleman mettent en cause les journalistes Richard Miniter et Joseph Braud qui, dans leurs « analyses », essayaient de transmettre à l’opinion publique américaine que le Front Polisario avait des connexions avec le « terrorisme djihadiste ». Selon Chris Coleman, les deux « analystes » ont été recrutés par Ahmed Charai pour travailler avec la DGED, les services secrets extérieurs du Makhzen. Richard Miniter est un journaliste qui, à chaque fois qu’il traite une question sur l’Afrique du Nord, il le fait en calomniant le peuple sahraoui et l’Algérie et toujours en faisant des louanges au Makhzen (il l’a fait, à titre d’exemple, au New York Times).
Dans cette documentation, il est à constater que cela coïncide, comme par hasard, avec le fait que Miniter a reçu des milliers de dollars en espèces (60 000 dollars, selon un document) ainsi que des invitations à faire des voyages de luxe au Maroc. Joseph Braud, pour sa part, a également publié des articles diffamatoires à l’encontre du peuple sahraoui et a également reçu de l’argent du « contact » des services du Makhzen. Selon les documents révélés par Chris Coleman, il a aussi élaboré pour les services marocains des rapports sur les journalistes américains favorables à la cause sahraouie et la méthode de les neutraliser.

La documentation révélée par Chris Coleman découvre également la connexion avec le Makhzen du professeur Henri Louis Védie et du journaliste Vincent Hervouet. Henri-Louis Védie est un professeur d’économie étroitement lié à une organisation qui porte le nom cynique de Association de Promotion des Libertés Fondamentales, créée un peu avant le procès injuste des dirigeants du camp de protestation de Gdeim Izik dans le but de rédiger un étonnant rapport selon lequel ce jugement était « équitable ». Une publication française avait dévoilé, à l’époque, son financement par le Makhzen. Les révélations de Chris Coleman »nous dévoilent que les services de Makhzen ont compté sur Védie pour écrire un livre sur l’économie marocaine (il va de soi qu’il fait des éloges au Makhzen) en échange, bien sûr, d’argent. Vincent Hervouët, quant à lui, est un rédacteur la chaîne de télévision française LC1.

Selon ces documents, ce journaliste rapportait au « journaliste » marocain Ahmed Charai, sur les efforts déployés pour que dans sa chaîne de télévision soient transmis des pseudo-informations qui s’en prenait à l’Algérie ou en diffusant des calomnies sur de prétendus liens du Front Polisario avec le « terrorisme ». Tout cela en demandant des « faveurs » pour passer des vacances au Maroc. Chris Coleman affirme que le « recruteur » et « contact » de ces individus qui travaillent pour le lobby pro-marocain est Ahmed Charai. Ce dernier ne devrait pas être un inconnu de l’opinion publique espagnole.

En effet, le magazine Epoca (tel que rapporté par El Semanal Digital, dans son édition du 11 Septembre 2008), a écrit que le nom de Ahmed Charai « peut vous être complètement inconnu, mais si on vous dit qu’il est le directeur du site L’Observateur.ma, qui a signalé, il y a une semaine, l’ancien président José María Aznar comme étant le père de l’enfant de la ministre de la Justice française, Rachida Dati, vous allez comprendre ».

La même publication nous rapporte que, comme par hasard, parmi les collaborateurs de ce média qui ont calomnié José María Aznar López, se trouve … Vincent Hervouet ! Chris Coleman fournit plusieurs documents qui prouvent que Charai a été arrêté le 14 septembre 2011 par les autorités de l’immigration américaines à l’aéroport international de Dulles, en provenance de Paris. La raison ? Dans sa déclaration douanière, il a dit qu’il n’avait pas plus de 10.000 dollars en argent liquide … il a dit qu’il en avait 4 000 sur lui. Mais en réalité, il en portait cinq fois plus. Et, curieusement, dans des enveloppes. Concrètement, selon la décision du tribunal qui l’a condamné, il avait sur lui 15 000 dollars dans trois enveloppes (de 15 000, 3 000 et 2 000 dollars). Selon Chris Coleman, cet argent était destiné au paiement des lobbyistes pro-marocains. Ce qui est plus intéressant vient après. En effet, après avoir avoué sa culpabilité devant le juge, il a pu poursuivre ses activités de lobbying aux Etats-Unis, garanti par John J. Hamre, président du SCRS (Centre d’études stratégiques et internationales), selon un document fourni par Chris Coleman. Inutile de dire que cette entité, le CSES (dont est membre l’éminent Henry Kissinger, architecte en chef de la livraison du Sahara espagnol au Maroc) offre une couverture aux personnes et publie des « analyses » qui dénigrent systématiquement le peuple sahraoui.

Il est un autre aspect encore plus stupéfiant dans les documents divulgués par Chris Coleman : on y apprend qu’une poignée de journalistes français, de L’Express, du Point, de Libé et de LCI, pigent depuis des années pour un site de presse, L’Observateur du Maroc, dont le rédacteur en chef, Mohammed Charai, ne cesse de réclamer des subsides à deux hauts dirigeants du renseignement marocain, afin de rétribuer ces précieux collaborateurs, en échange d’articles favorables aux thèses marocaines dans -encore- l’affaire du Sahara occidental.

Source : Le Jeune Indépendant, 18 janvier 2018

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