COUP D’ETAT MANQUÉ À RABAT (Première partie)
« Rabat, ville verte, ville de paix. »
Rabat! Ville verte du Maroc. Cette ville, Je la connais pour y avoir séjourné à plusieurs reprises. Je me souviens même de ma première visite. Cette histoire est incroyable et inattendue. Elle remonte à fort longtemps. De l’époque où j’étais Secrétaire Général du MPCI, c’est-à-dire autour des années 2005. A vrai dire, je ne connaissais pas le Maroc. Bien sûr, mes cours de géographie et d’histoire m’en donnaient une vague connaissance comme tous les collégiens de ma génération.
J’avais entendu parler de l’amitié entre Sa Majesté le Roi Hassan II et le Président Félix Houphouët-Boigny. Deux grandes figures de l’Afrique. Il se dit qu’au moment où l’un bâtissait la Grande Mosquée de Casablanca, l’autre bâtissait la Basilique de Yamoussoukro. Ils se vouaient une amitié exceptionnelle que rien n’a jamais pu flétrir. L’un des témoins encore vivants de cette amitié se trouve être l’ambassadeur Georges Ouégnin qui fut le protocole personnel du Président feu Felix Houphouët-Boigny. D’ailleurs régulièrement lorsque Sa Majesté Mohammed VI visite la Côte d’Ivoire, il ne manque pas de se rendre au domicile privé de M. Georges Ouégnin.
Mais cette partie nord de l’Afrique m’était encore inconnue. A une exception toutefois : quand j’étais étudiant, je fis un voyage en Algérie, en 1997. Tenez, KKB pourra certainement en dire plus, puisque nous effectuâmes le voyage ensemble et dans le même programme universitaire. Lors de notre séjour, nous découvrîmes la shorba un plat bien algérien dont nous nous gavâmes. C’était une sorte d’initiation à la saveur culinaire maghrébine.
Mais revenons à cette belle ville de Rabat. Cette ville verte célèbre dame Nature. Des centaines d’espaces verts animent la vie culturelle du pays d’une senteur des origines. De la Kasbah des Oudayas à la nécropole du Chellah, sans oublier la forêt d’Ibn Sina, la ceinture verte, le Jardin zoologique et le Jardin d’Essai, la ville épouse ici la vie en une belle harmonie. J’aime beaucoup la belle entente entre la mère Nature et la Culture à Rabat et je crois que cette ville devrait inspirer des projets urbains de qualité un peu partout en Afrique. C’est au contact de ce dynamisme de l’esprit marocain que j’ai appris à apprécier les milles couleurs de ce pays.
Ma première expérience de coopération véritable avec les Marocains date du début des années 2000. Alors que je dirigeais le MPCI à Bouaké et que la force d’interposition avait figé les lignes de front. Une troupe marocaine figurait au sein des forces de l’ONUCI pour faire respecter le cessez-le-feu. J’avais pour habitude de réserver le meilleur accueil à ces soldats qui étaient venus de si loin pour nous aider, nous Ivoiriens, à maintenir la paix. Et surtout à sortir de l’ombre de la Guerre fratricide absurde dont nous n’avons pas encore fini d’expier les dommages. Il se trouve qu’un jour, la division des droits de l’homme des Nations Unies voulait porter plainte contre le contingent marocain de Bouaké, ce qui risquait fort d’entacher la réputation de l’armée Marocaine.
Le chef des troupes marocaines stationnées à l’époque à Bouaké était un ami. Nous avions l’habitude de nous retrouver les soirs autour d’une tasse de thé pour faire la causette. Il me parlait de son pays si lointain. Un jour je le vis fort inquiet. Il me révéla le projet onusien concernant son régiment. Je partageai son inquiétude. Et fort justement, il y avait une faille : je ne comprenais pas que l’ONU veuille faire une telle poursuite sans quérir mon avis en ma qualité de Secrétaire Général du MPCI, moi qui gérait encore cette zone (voyez-vous, avant j’étais grand type). Alors je me pourfendis d’une déclaration publique pour défendre la réputation des Troupes Marocaines et récusai les allégations des enquêteurs des Nations Unies. Mon ami, Chef et commandant des troupes Marocaines de Bouaké (dont j’oublie le nom. Pauvre mémoire !) vint chez moi le lendemain pour me remercier de mon intervention énergique et de mon soutien. Je fus surpris car je n’avais pas mesuré la portée de mes propos.
Je demanderai à Alain LOBOGNON de chercher et la période et le nom de cet officier. Je serai bienheureux de le revoir.
Le premier réel contact avec le Maroc est celui-là. Par la suite un ami Mauritanien, Moustapha Ould Limam Chafi, me présenta un autre Marocain, Mohammed Khabbachi, patron de l’agence Maghreb Arabe Presse (MAP) du Maroc. Ce dernier vint me voir et on fit la parlote. Africain dans l’âme, il ambitionnait de contribuer au renforcement des relations et de la coopération sud-sud. Ainsi les fils du contact se nouaient avec le Maroc progressivement. Mon ami patron de presse parlait tant et si bien du Maroc qu’un jour je décidai d’y aller en vacances. Autour des années 2005 ou 2006. J’y allai tous frais pris en charge.
Je pus découvrir alors le charme du Maroc. La culture de ce pays, qui tisse merveilleusement ensemble passé et futur m’a toujours stimulé. J’aime aussi bien l’enracinement dans la tradition que la modernité des Marocains.
Bref en mars 2007, je fus donc nommé Premier Ministre. A l’époque, le Président Wade dirigeait le Sénégal. En cette même année se tint un sommet de l’OCI à Dakar. Le président Laurent Gbagbo me demanda alors de l’y représenter. Je m’y rendis avec une délégation ivoirienne dans laquelle figurait entre autres, l’actuel secrétaire général de la présidence, le Ministre Achy Patrick. Une de mes collaboratrices, Danièle Benoist, sénégalaise chargée de préparer mon séjour m’y devança. Elle eut l’idée de me loger dans une villa aménagée, les hôtels étant surbookés pour l’occasion. Je ne saurais vous dire exactement dans quel quartier. Toujours est-il que le jour de l’ouverture solennelle du sommet, la distance me joua un petit sale tour. Alors que le sommet avait débuté, je me débattais encore pour me rendre à l’hôtel Méridien et rattraper mon retard. La fortune fit qu’arrivé après les Chefs d’Etat, je voulus me faufiler discrètement pour rejoindre le siège réservé à la Côte d’Ivoire. Nous étions aux premières loges du fait que les pays étaient installés par ordre alphabétique, rangeant ainsi la Côte d’Ivoire aux premières loges.
Justement, c’est en glissant dans les rangées pour vite rejoindre ma place que je m’entendis héler: « M. Soro ! »
Je m’arrêtai tout net et me retournai. Je reconnus Taïeb Fassi-Fihri, alors Ministre délégué Marocain aux affaires étrangères. Disons que j’avais fait sa connaissance un an plutôt en 2006. Il avait eu la bonté de me recevoir en sa résidence à Rabat pour une partie de thé marocain. Nous avions sympathisé.
Et il poursuivit : « Sa Majesté veut vous dire bonjour ».
Alors pris par surprise, je m’approchai pour saluer le Souverain chérifien qui me tint à peu près ces paroles : « M. Soro, je sais ce que vous avez fait pour l’honneur de l’armée Marocaine et désormais vous êtes l’ami du Royaume et vous êtes mon invité spécial. Je vous invite à séjourner prochainement au Maroc : vous serez le bienvenu. »
J’étais hébété parce que je ne savais pas ce que j’avais fait. Je remerciai Sa Majesté et m’en allai prestement rejoindre ma place. En passant, je vis le papa Omar Bongo Ondimba que je saluai avec affection. Une fois assis, le souvenir de l’incident avec les troupes marocaines me revint en tête et je réalisai que sûrement c’est cet acte que j’avais posé innocemment et longtemps avant qui m’avait valu autant de sollicitude de la part de Sa Majesté. Et je soupçonne le Ministre Taïeb Fassi-Fihri de l’avoir rappelé au Roi Mohammed VI. J’étais plutôt content de tant de reconnaissance et d’humilité de Sa Majesté. Il n’était pas obligé, avouons-le. Ce que je prenais pour un fait anodin était-il devenu une affaire d’Etat ? Que certains peuvent être reconnaissants ! On découvre ici qu’un bienfait n’est jamais perdu. On ne possède définitivement que ce qu’on donne sincèrement. C’est un secret divin.
Le sommet achevé et de retour à Abidjan, je reçus en effet un courrier m’invitant à faire une visite officielle au Maroc. Je m’y rendis. Je fus reçu par le Premier Ministre Driss Jettou, le Ministre Mohamed Benaïssa, Ministre des Affaires Etrangères. Le Premier Ministre marocain après le déjeuner de travail me proposa de visiter son pays. Le Maroc était alors en plein chantier. De grands projets d’infrastructures étaient en cours. Je fis le tour d’Agadir en passant par Marrakech jusqu’à Tanger où l’autoroute était en chantier. J’admirai l’incroyable développement du Maroc. Et dire que la Côte d’Ivoire avait sa première autoroute avant le Maroc ! Que de retard avions nous accusé. Depuis cette date je pris l’habitude de me rendre au Maroc régulièrement. Je parcourus ce pays à maintes occasions et à chaque fois avec la bienveillance de Sa Majesté et de certains de mes amis (que je ne citerai pas pour ne pas les livrer à la jalousie nègre). Je ne pourrais raconter ici toute la courtoisie et les bienfaits de mes amis Marocains. Je pourrais encore écrire et écrire sur mes différents séjours au Maroc. Mais faisons court et venons-en au but.
Mon dernier séjour au Maroc remonte à l’année 2017 précisément au mois de Mai. J’y étais en qualité de Vice-président du Bureau de l’APF du temps où mon ami Aubin Minaku était Président de l’APF. J’avais insisté pour que nous tenions la réunion de la conférence des Présidents d’Assemblée Nationale d’Afrique. Complice que j’étais avec mon ami Minaku, nous avions convenu de décorer Sa Majesté dans l’Ordre de la Pléiade de la Francophonie. Le Roi nous reçut en son palais de Fès. La cérémonie fut chaleureuse. Le Roi me retint pour qu’on parlât de la situation sécuritaire de la Côte d’Ivoire. C’était au lendemain de l’effroyable affaire de la cache d’armes découverte à Bouaké dans la résidence secondaire de mon protocole Koné Souleymane, suite à la mutinerie des soldats ivoiriens. C’était le début de mes pires malheurs. Je n’en dirai pas plus pour ne pas éveiller de douloureux souvenirs. J’ai vu des amis qui me louangeaient du jour au lendemain crier haro sur le baudet. Me vilipendant à souhait. J’étais devenu le paria. Mon Dieu, les êtres humains ! Ma cour était désormais désertée. J’ai mieux compris à mes dépens cette célèbre phrase anglaise que m’a heureusement rappelé le beau-père médecin émérite marocain de mon ami Abdellatif : « A Friend in need is a Friend indeed ». Beaucoup sont vos amis uniquement quand ils ont besoin de votre aide.
Depuis lors donc, je n’avais plus mis mes pieds au Maroc. De sorte que quand le Chargé de Mission de la région Afrique de l’APF, M. Fofana Bassatigui, alors que j’étais en tournée à l’intérieur de la Côte d’Ivoire, me rappelait sans cesse mon calendrier pour la 27ème Régionale Afrique, c’est avec bonheur et ravissement que je me préparais pour ce voyage. La perspective de revoir la ville verte m’enchantait. Je n’avais aucun doute sur les heureuses retrouvailles qui s’annonçaient pour moi. Vous imaginez que c’est sans hésitation que je me suis en fait rendu à Casablanca, en ce mois de Juin 2019, excité surtout de retrouver mes amis. J’ai été bien logé et dès la même nuit, mes amis organisèrent du reste un grand dîner à mon honneur, comme savent si bien le faire les Marocains.
Heureux, je rentrai donc à mon hôtel, ignorant que j’étais à quelques heures d’un véritable coup d’Etat qui se préparait depuis lors contre ma personne. Comment me douter de la forfaiture du lendemain quand j’avais fait bonne chère dans une ambiance si détendue ? Peut-être que c’est là aussi que j’ai manqué de vigilance ! Parce qu’en effet depuis mon arrivée je n’avais pas senti une présence de mes hôtes directs de la Chambre des Représentants du Maroc. Oui, bien sûr j’avais appelé le Chargé de mission Afrique pour m’assurer que tout allait bien. J’ai eu aussi les membres de l’APF : tout était OK. Mon dossier pour la séance était prêt. J’ai même donné quelques coups de fil à certains Présidents d’Assemblées Nationales présents. Quant au Chef du Parlement Marocain M. Habib El Malki, on l’annonçait à Abuja et il devrait être de retour dans le courant de la journée. Tout était parfait selon toute apparence. Justement quand tout semble parfait chers amis, là aussi se trouve le hic. Ne dit-on pas que le diable se trouve dans les détails?
En effet je me souviens que lors de mes précédentes visites au Maroc et au cours de mes nombreuses lectures, j’avais été frappé par l’histoire de l’extraordinaire du coup d’Etat qui avait été orchestré contre sa Majesté Hassan II, père de l’actuel Roi Mohammed VI en 1972 curieusement année de ma naissance. En effet, un jour avant ce fatidique 16 août 1972 dans cette même ville de Rabat, comme pour moi ce 13 juin 2019, tout avait été ordinairement parfait la veille du coup d’Etat. J’imagine que quand il entrait dans l’espace aérien marocain, le roi n’avait pas conscience du danger qui le guettait. Pourtant, l’irréparable arriva. Le fameux coup d’Etat dit des aviateurs, première tentative de coup d’Etat air-air de l’Histoire, avait vu des pilotes de guerre des Forces Armées Royales du Maroc tenter d’abattre l’avion du Roi Hassan II alors qu’il rentrait de France vers Rabat. Le 16 août 1972, une guerre-éclair commencée dans le ciel du Maroc se poursuivit ainsi à l’aéroport de Rabat et au Palais-Royal de Rabat, avant la reprise en main inespérée de la situation par le roi Hassan II. Toutes proportions gardées bien sûr, c’est ce même scénario-surprise qui m’attendait à Rabat le 13 juin 2019 : un coup d’Etat tenté dans la plus haute instance parlementaire internationale du monde francophone…dans le ciel, l’espace aérien de la Francophonie, dirais-je pour encore mieux filer la métaphore…
La suite ? Je vous la conterai dans le prochain épisode, Chers lectrices et lecteurs. A très vite donc.
Votre, de tout cœur depuis Rabat au Maroc
Guillaume Soro
Source : Facebook, 24 juin 2019
Tags : Côte d’Ivoire, Maroc, Guiullaume Soro, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, ONU, viol,