La pensée politique de Jean-Jacques Rousseau

Bouchaib Eddoukali

Problématique :  » Quels sont les problèmes qui ont poussé les hommes à renoncer à leur indépendance naturelle pour se soumettre à une communauté commune, politique? « 

Jean-Jacques Rousseau est né le 28 juin 1712 à Genève, le second fils d’Isaac Rousseau et Suzanne Bernard. Dix jours après, sa mère meurt d’une fièvre puerpérale. Il est baptisé et élevé dans la religion calviniste. Isaac Rousseau, à la suite d’une rixe, a quitté la Genève et son fils est mis en pension à Bossey en 1722. Entre les années 1725 et 1728, Jean-Jacques avait un apprentissage chez un maître graveur de Genève, cependant, en 1728 en trouvant les portes de la ville fermées, il est allé à Annecy. Pendant la même année il a rencontré la grande maîtresse de sa vie, Madame de Warens (qui jouait le rôle de sa mère) et il a abjuré et adopté la religion catholique. Rousseau est resté chez sa maîtresse jusqu’à 1736, quand il est parti pour Paris. Au début de l’année 1745 il a commencé sa liaison avec Thérèse Le Vasseur, sa gouvernante. Thérèse avait eu 5 enfants de Rousseau, et il les avait tous déposés aux Enfants-Trouvés. En 1754, Rousseau est reçu à Genève et il est réintégré dans l’église calviniste. En même temps, il a recouvert sa qualité de citoyen genevois et commencé à écrire plusieurs de ses œuvres bien connus. Entre l’année 1750 et 1757, il a écrit le Discours, le Second Discours, la Nouvelle Heloïse, l’Emile, le Contrat Social et la Lettre à d’Alembert. En juin 1762, la police a confisqué l’Emile qui vient d’être en vent. Pendant toute l’année l’Emile et le Contrat Social étaient condamnés en France et à Genève. Rousseau a renoncé sa nationalité genevoise en 1763. Entre 1763 et 1768, il est obligé de fuir partout et, enfin, il s’est marié avec Thérèse Le Vasseur. Jusqu’à sa mort, Rousseau rédigeait les Confessions, les Dialogues et les Rêveries. Le 28 juillet 1778, il est mort à Ermenonville et en 1794 la Convention a transféré les restes du Jean-Jacques Rousseau au Panthéon.

De l’état de nature à la société

Le problème consiste à se demander comment les hommes ont pu passer d’un état nul de société à des rapports sociaux organisés et comment ils firent ce pas. Pour montrer l’origine radicale de la société, il faut prendre les hommes avant la société, à l’état naissant, cet état naissant c’est ce qu’on appelle : l’état de nature.

Ce qui est en commun à tous les théoriciens politiques des XVII et XVIII siècles c’est de poser le même problème : quelle est l’origine de la société, et de la résoudre par les mêmes moyens : l’état de nature et le contrat social. C’est l’état dans lequel se trouvent les hommes lorsqu’ils ne sont soumis à aucune autorité politique, c’est donc un état pré-social, pré-légal. Dans cet état, les hommes sont pleinement libres, nul n’est par nature soumis à l’autorité. Les hommes sont égaux et ce principe d’une égalité naturelle des hommes est commun à tous les penseurs de l’école du droit naturel.

On peut dire de Rousseau qu’il est le penseur naturaliste par excellence. En effet, l’idée de nature est au centre même de son œuvre. A ses yeux, l’état de nature est comme un état de dispersion. L’homme est seul, il se passe entièrement du secours de ses semblables, l’homme n’est donc pas social par nature, il n’est pas naturellement porté à s’unir avec ses semblables, en tout cas, pas durablement. Mais si l’homme primitif est asocial, il n’est pas pour autant antisocial. Bref, l’homme primitif est tout simplement indépendant, les hommes n’ont presque pas de relations entre eux, l’inégalité entre les hommes est presque nulle.

Le Discours sur l’origine des inégalités se divise en deux parties : la première partie est consacrée à la description de l’homme naturel, la seconde à l’origine de la société. Rousseau envisage l’homme naturel sous trois aspects :

L’aspect physique : l’homme naturel est un animal très bien organisé 

L’aspect métaphysique : Rousseau s’interroge sur la différence essentielle entre l’homme et l’animal, ce n’est certainement pas l’intelligence, c’est sa qualité d’agent libre et sa perfectibilité ;

L’aspect moral : l’homme naturel a avant tout les soucis de sa propre conservation, il connaît « l’amour de soi », autrement dit un égoïsme instinctif et innocent. Enfin, il connaît un sentiment qui est antérieur à la réflexion qui est une répugnance innée de voir souffrir ses semblables : la pitié.

L’homme primitif, fondamentalement bon, connaît un bonheur, sa vie est équilibrée et puisqu’il a une vie asociale, il n’aurait jamais par lui-même quitté l’état de nature. Rousseau, en disant que l’homme est naturellement bon, renverse le fondement de l’analyse politique. Pour Rousseau, c’est la société qui est mauvaise, ce n’est pas l’homme. Quelle est la cause fondamentale qui a fait passer l’homme d’un état d’indépendance a un état social ? « C’est la nature qui subitement est devenu inhospitalière : elle a poussé les hommes à s’unir pour lutter contre les dangers « . L’homme devient mauvais, égoïste au travers de la culture, c’est-à-dire lorsqu’il interagit avec les autres. C’est l’institution de la propriété qui détruit la bonté naturelle de l’homme et le pousse à vouloir se saisir du bien d’autrui par la force. Pour sortir de cet état d’anarchie, Rousseau reprend le construit de Hobbes : le grand contrat social.

L’institution de la propriété augmente en des proportions gigantesques l’inégalité mais elle permet le développement de l’agriculture et le progrès de la civilisation. Rousseau conclut son discours en disant que la société viole la Loi de la Nature et instaure la misère et l’oppression.

Dans son explication du passage de l’état de nature à la société civile, Rousseau s’oppose à la vision de Hobbes. Pour celui-ci l’homme est par nature égoïste et méchant et ne s’associe à ses semblables que par intérêt. C’est donc la peur effrénée des hommes les uns pour les autres qui les conduit à fonder la société et abdiquent leur volonté et leurs droits à travers le pacte social. La vision de Rousseau s’oppose également à celle de Locke, pour qui la sociabilité est innée à la nature humaine et la société la continuation et le renforcement des liens préexistants dans l’état de nature.

Le contrat social et la théorie démocratique

Comment la société peut-elle être organisée de façon à assurer la liberté de l’Homme ? C’est ce que le livre de Rousseau (le Contrat Social) a pour mission de révéler. Le problème politique posé par le Contrat Social est le suivant : l’Homme peut-il, dans l’état civil, retrouver sous forme de liberté politique, la liberté ou l’indépendance qu’il connaissait à l’état de nature ?

Ce grand contrat n’est juste que si tout le monde s’y soumette, à l’unanimité et de manière volontaire.  » Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale; et nous recevrons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.  » Rousseau appelle cette association  » corps politique « ,  » Cité  » ou  » République « . Incarnant la volonté générale elle est inaliénable, indivisible, infaillible et absolue.

A. Principe du Pacte social : la préservation de la liberté

La doctrine politique de Rousseau a pour idéal la liberté. Tous les prédécesseurs de Rousseau se demandaient à quelles conditions une autorité politique pourrait être instituée. Ils répondaient : par l’aliénation de la liberté naturelle. Autrement dit, l’institution du gouvernement civil se faisait donc pour eux au prix de la liberté naturelle. Chaque individu sacrifiait une partie de sa liberté naturelle pour mieux assurer sa sécurité. La grande originalité de Rousseau consiste à poser le problème ainsi : comment les Hommes peuvent-ils s’unir en un corps politique sans pour cela renoncer à leur liberté ? L’essentiel pour Rousseau, c’est de trouver « une forme d’association pour laquelle chacun s’unissant à tous n’obéissait pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant. « Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’Homme ». La liberté est un droit non aliénable et naturel à l’Homme et il est de l’essence de ce droit d’être non aliénable. La liberté ne saurait être cédée par un pacte car il n’y a rien au monde qui puisse pour un Homme compenser la perte de sa liberté. Un peuple qui aliène sa souveraineté perd sa qualité de peuple et se dissout par cet acte. De même un individu n’a pas le droit d’aliéner sa liberté, de même un peuple n’a pas le droit d’aliéner sa souveraineté. Ce sont là des droits que l’on possède sans avoir la faculté de les aliéner. Si un peuple aliène sa souveraineté, il se transforme en un troupeau d’esclave soumis au bon plaisir d’un maître, d’un despote. L’obéissance n’est légitime qu’autant qu’elle ne détruit pas la liberté individuelle. C’est la fameuse souveraineté du peuple qui constitue dans la société civile l’unique garantie de la liberté individuelle. On pourrait imaginer un peuple qui aliène sa souveraineté, mais c’est alors dit Rousseau « un peuple de fous, la folie ne fait pas droit ». L’Etat a donc pour fin, pour but essentiel, la liberté de tous les citoyens.

Comment la vie sociale pourrait-elle être organisée de sorte que règne liberté et égalité ? Comment l’Homme civil pourrait-il retrouver sous forme de liberté civile l’indépendance qu’il connaissait dans l’état de nature ? Autrement dit, comment assurer la liberté en même temps que l’égalité de tous les citoyens ? Tel est le problème dont le Contrat Social donne la solution.

  1. Le pacte social

Il faut trouver un contrat tel que la liberté soit définie par les lois de  » telle sorte que, chacun obéissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant « . Ce contrat qui permet ce passage de la liberté naturelle à la liberté conventionnelle, comporte certaines clauses qui définissent des droits et des devoirs pour l’adhérant au contrat. La clause essentielle repose sur le fait que chaque adhérent au pacte social doit s’aliéner totalement. Cela permet une condition égale pour tous mais aussi une supériorité absolue des droits du corps social public face aux droits des individus. Le pacte social suppose que  » chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquiert le même droit qu’on lui cède sur soi, on garde l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour se conserver « . Ainsi, l’obligation pour le citoyen de s’aliéner complètement représente une condition fondamentale du fonctionnement du pacte social. Elle permet aux individus de tirer avantage de cette aliénation et de gagner plus qu’ils ne perdent. En effet, la vie en société leur permet de mieux se conserver et d’unir leurs forces avec celles des autres pour agir de concert.

  1. La volonté générale et la Souveraineté

L’acte d’association produit un corps moral et collectif qui prend le nom de république ou de corps politique, ce corps politique est appelé Etat lorsqu’il est passif, souverain lorsqu’il est actif, puissance lorsqu’on le compare à ses semblables et enfin les associés prennent collectivement le nom de peuple et s’appellent :

-citoyens en tant qu’ils participent à l’autorité souveraine ;

-sujets en tant qu’ils sont soumis aux lois de l’Etat.

Par suite du contrat, chaque volonté individuelle est absorbée dans la volonté collective, autrement dit, les intérêts particuliers (égoïste) s’effacent devant l’intérêt général. Le contrat social est un pacte que les particuliers ont conclu entre eux et qui comporte pour tous les associés l’obligation de soumettre la volonté particulière qu’ils ont en tant qu’homme à la volonté générale qu’ils ont en tant que citoyens. C’est en ce sens que la souveraineté est caractérisée par l’indivisibilité : la souveraineté est issue de la volonté du Peuple entier, et non d’une partie du Peuple (elle serait sinon une volonté particulière. Mais cette volonté générale n’est pourtant pas la volonté de tous ; elle ne représente pas un simple compromis entre des volontés et des intérêts particuliers. Elle vise l’intérêt général et le bien commun.

Par le Contrat social, les pouvoirs des individus sont transmis à la communauté. Celle-ci est dirigée par l’intérêt général. Elle représente un pouvoir  » souverain, inaliénable, indivisible, absolu, sacré, infaillible « . Le contrat fonde donc un corps commun, avec une volonté commune dans laquelle chaque citoyen a un droit de participation égale. L’ensemble formé par ces hommes est la Cité ou encore la République.

  1. Les caractères de la Souveraineté
  2. a) l’inaliénabilité

Impossibilité pour la souveraineté de faire l’objet d’une délégation Abandonner sa volonté à un autre revient à perdre sa liberté et donc à nier l’objet du pacte social. Rousseau rejette le régime représentatif :  » s’il n’est pas impossible qu’une volonté particulière s’accorde sur quelque point avec la volonté générale, il est impossible au moins que cet accord soit durable et constant ; car la volonté particulière tend par sa nature aux préférences et la volonté générale à l’égalité « .

  1. b) l’indivisibilité

La volonté du souverain est générale ou n’existe pas, elle ne peut pas être que la volonté d’une partie du peuple. La séparation des pouvoirs est une absurdité selon lui consistant à démembrer le corps social pour ensuite rassembler les pièces  » on ne sait comment « . Pour Rousseau, il peut y avoir plusieurs émanations du pouvoir souverain unique, mais celles-ci en dépendent étroitement. Rousseau établira à ce sujet une dépendance étroite de l’exécutif à l’égard du législateur.

  1. c) l’infaillibilité

Le souverain n’est infaillible que dans la formulation de la volonté générale qui correspond au bien commun et non pas à l’amalgame des diverses volontés particulières. La volonté générale ne regarde qu’à l’intérêt commun, ce n’est pas l’amalgame des diverses volontés particulières. Mais, si la volonté générale est toujours  » droite et tend toujours à l’utilité publique « , le peuple peut être trompé. Rousseau est hostile aux partis, ces  » brigues  » susceptibles d’entraver par l’expression de leurs volontés propres la recherche de la volonté générale. Une fois débarrassés des partis, la volonté générale se formera à partir des consciences individuelles, naturellement tendues vers la recherche du bien commun. Il y aura sans doute des divergences individuelles, mais la somme de ces différences sera nulle et la loi traduira la volonté générale.

  1. La loi

La loi est l’alpha et l’oméga du système de Rousseau. C’est grâce à elle que les hommes échappent à l’arbitraire et qu’ils ne sont soumis à aucun maître puisqu’en s’y conformant, ils n’obéissent qu’à eux-mêmes. Le contrat social est le fondement juridique de la loi, il instaure l’égalité et la liberté des citoyens :

– L’égalité : La loi protège chaque associé contre l’arbitraire (égoïsme des volontés particulières). Chaque associé doit renoncer à mettre autrui sous sa dépendance. Les associés reçoivent donc par le contrat social, l’assurance qu’ils seront protégés contre les empiétements individuels d’autrui et cela « de toute la force publique ». Imaginons qu’un individu refuse d’être raisonnable en acceptant le contrat social. « Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps: ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on le forcera d’être libre. Car telle est la condition qui, donnant chaque citoyen à la patrie le garanti de toute dépendance personnelle ». L’égalité reste aussi entière qu’à l’état de nature mais sous une forme nouvelle. Dans l’état de nature, l’égalité venait de ce que chacun formait une unité absolue. A présent, dans l’état civil, l’unité vient de ce que « chacun se donnant également, la condition est égale pour tous ». Cette égalité est structurellement comparable à l’état de paix dans l’état de nature.

La liberté : Chaque associé est libre parce qu’il s’est engagé de son propre aveu à obéir aux lois dont il est l’auteur. « La liberté est l’obéissance à la loi que l’on s’est prescrite ». La loi part de tous et s’applique à tous. Ce sont les mêmes hommes qui sont à la fois souverains (c’est eux-mêmes qui font la loi) et soumis aux lois (ils sont sujets). Il n’y a pour Rousseau aucun milieu entre la violence (la tyrannie) et le droit (la démocratie). Nous nous trouvons devant un dilemme, devant une alternative: ou bien les individus obéissent aux lois par contrainte en vertu d’un acte de violence perpétré par les plus forts sur les plus faibles, et alors ces individus ne sont pas obligés à obéir à la loi, ou bien leur obéissance à la loi est née d’un engagement librement consenti par chacun d’eux, et alors leur obéissance à la loi repose sur une obligation légitime.

  1. Les formes de gouvernement

Rousseau place le législateur comme inventeur de la loi. Le gouvernement exécute. Ce dernier est placé entre les sujets et le souverain. Il est chargé de l’exécution des lois et du maintien de la liberté.  » J’appelle gouvernement, ou suprême administration, l’exercice légitime de la puissance exécutive, et Prince ou Magistrat l’homme ou le corps chargé de cette administration « .

La puissance exécutrice consiste à prendre des actes particuliers, et par conséquent ne peut pas relever du souverain. Elle est le ministre du souverain. Le gouvernement revêt trois formes différentes selon le nombre de ceux qui le composent :

ou bien le souverain confie le gouvernement à tout le peuple ou à la plus grande partie de celui-ci ;

ou bien le gouvernement est réuni dans les mains d’un petit nombre ;

ou bien il est remis aux mains d’un magistrat unique : le monarque.

Examinant les mérites propres à chaque gouvernement, il estime la démocratie bonne seulement pour un peuple de dieux. Elle exige un cadre spatial étroit dans lequel le peuple est aisé à rassembler. Si la monarchie présente l’avantage de l’unité de commandement, ses inconvénients l’emportent car elle est le type de gouvernement dans lequel la volonté particulière domine le plus aisément la volonté générale. L’aristocratie serait le meilleur gouvernement puisqu’il est dans l’ordre des choses que les plus sages dirigent la multitude.

Indépendamment des qualités et des défauts des diverses formes de gouvernement, Rousseau considère que pèse sur toutes un vice inhérent et inévitable : la tendance à dégénérer et à conspirer contre le souverain.

  1. Le devenir de la liberté au sein de la société
  2. La liberté civile

Le citoyen par la soumission aux lois retrouve sous forme de libertés politiques l’indépendance naturelle. Une des idées fondamentales de toute la théorie politique de Rousseau est la suivante : l’homme doit, une fois qu’il vit en société, reconquérir par le bon usage de la raison, les biens dont il jouissait à l’état de nature. La liberté est reconquise à travers la soumission aux lois.

  1. La liberté morale

Par surcroît, l’homme en vivant en société connaît la justice, la moralité et la vertu. Ce sont des biens que l’homme naturel ignore, ce ne sont pas des dons de la nature, mais l’homme doit s’efforcer de les acquérir. Pour Rousseau, il ne fait aucun doute que le bonheur soit plus grand dans l’état de nature. Si l’homme peut et doit se féliciter de vivre en société, c’est que la vie sociale peut l’élever à la vertu. Comme l’écrivait Kant « moralité et vertu sont des biens précieux que le bonheur lui-même », l’homme sauvage les ignore, l’homme sauvage ne les connaît pas. C’est seulement en se soumettant à des lois que l’homme peut les mériter. « La morale est une science qui enseigne non pas la façon dont nous devons devenir heureux mais la façon dont nous devons devenir dignes de ce bonheur. « 

  1. La religion civile

Le Contrat social s’achève sur un chapitre essentiel et souvent négligé, celui consacré à la religion civile. Rousseau y défend des idées voisines de celles de Machiavel et de Hobbes. Selon lui, la cité ne saurait admettre une religion indépendante du pouvoir, et de ce point de vue, le christianisme apparaît incompatible avec une cité bien ordonnée. Le christianisme ne prêche que servitude et dépendance. Son esprit est trop favorable à la tyrannie pour qu’elle n’en profite pas toujours. Les vrais chrétiens sont faits pour être esclaves. Alors quelle religion ? Le souverain doit fixer les articles d’une religion civile. Chacun doit respecter les dieux de la cité (c’est-à-dire les articles de la religion civile) qu’il les approuve ou non au fond de lui-même. Celui qui ne s’y plie pas peut être banni, non comme impie mais comme insociable.

  1. La postérité de Rousseau

Rousseau est peut-être, avec Marx, le penseur politique qui a déchaîné le plus de passions et de jugements contradictoires. Certainement parce que l’un et l’autre ont été considérés sinon comme responsables de révolutions, du moins comme leurs inspirateurs. Ainsi, on devrait Staline à Marx, et Robespierre serait le rejeton inéluctable du Contrat social. Loin d’être un libéral, Rousseau allait être considéré comme le fourrier de la démocratie totalitaire. Proudhon l’accuse d’avoir rendu respectable l’ancienne tyrannie de droit divin en la faisant dériver du peuple. Dans cette optique, la pensée de Rousseau est assimilée au jacobinisme.

Rousseau peut-il être considéré comme un libéral ou comme un précurseur de la démocratie totalitaire ? Chez certains auteurs du 19ème siècle, Rousseau est effectivement un père intellectuel du totalitarisme. Il est une sorte de père spirituel des jacobins. Robespierre lit et admire Rousseau. Benjamin Constant va dire que Rousseau rend respectable la tyrannie de droit divin. Mais l’apologie de la dictature de Rousseau par certains est fausse ! L’objet du contrat social est de créer un espace où l’homme peut possède la liberté : choix de Rousseau en faveur de la liberté. Dans la mesure où la communauté peut avoir l’envie de diminuer la propriété, elle doit le faire d’une manière générale, pour tous. La liberté de restreindre la propriété est possible si elle est juste et générale.

Sieyès dira que Rousseau est un philosophe aussi parfait de sentiment que faible de vue. Bonaparte dira que Rousseau est un fou, qu’il  » nous  » a mené là où  » nous  » sommes.

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