Ignacio Cembrero, journaliste: « Le Maroc essaie d’être derrière chaque imam, chaque mosquée et chaque communauté »

Le journaliste signe le prologue des mémoires anonymes d’une de ses sources, un agent infiltré par le CNI dans les communautés musulmanes et les services secrets marocains

Fuente : El Faro de Ceuta, 2 juin 2019

Ignacio Cembrero sait qui est « l’agent Obsure », le protagoniste des mémoires anonymes que Galaxia Gutenberg vient de publier. Pour le CNI, il a infiltré d’abord les cercles d’extrême gauche, les communautés islamiques et dans les rangs des services de renseignements marocains en Espagne. Le nom du journaliste est toutefois le seul qui figure sur sa couverture. Il est l’auteur d’un prologue dans lequel il décortique le travail des services secrets du pays voisin et révèle quand et pourquoi le Maroc a interrompu sa coopération en matière de sécurité, y compris la lutte contre le terrorisme, avec l’Espagne et avec la France.

-Le véritable « agent obscur » était votre source, pas votre ami.

– Un ami est quelqu’un que vous avez visité chez lui, queluq’un dont vous connaissez la famille… Je n’ai pas été chez lui ni lui chez moi. Nous avons eu une relation basée sur des choses qui nous intéressent tous les deux comme les communautés musulmanes. J’ai beaucoup appris de ce qu’il me racontait, ssurtout dans certaines régions où il a travaillé et en particulier au tabligh, qui était sa « spécialité », une communauté minoritaire mais très active et peu disposée à s’intégrer dans la société espagnole.

-Quand l’avez-vous connu?

– Il y a douze ou treize ans.

-Un chapitre quelconque de ‘al’agent obscur’ se déroule à Ceuta?

-Je ne sais pas très bien où les épisodes ont lieu parce que l’auteur a changé les scénarios pour que ceux qui étaient ses supérieurs ne sachent pas très bien de qui s’agit-il. Je doute qu’ils ne finissent pas par le découvrir même s’il a changé de nom, de conjonctures, de scénarios, etc., malgré que les faits qu’il relate, à grands traits, ont eu lieu ainsi.

-Que dévoile-t-il?

– Il raconte, par exemple, comment procéde-t-on à l’expulsion, je dirais irrégulière, d’imams radicaux ou radicalisateurs des fidèles. Comment ils ont pressés pour qu’ils partent … Je sais que c’est ainsi en marge des expulsions officielles.

« On laisse agir avec ses nationaux et ses immigrés tant qu’il ne porte pas préjudice »

– Ceuta, est-elle un territoire fertile pour l’espionnage?

– Je pense que le Maroc et ses services tentent, de même que le ministère des Affaires islamiques, qui travaille étroitement avec ses services de renseignement, de contrôler tout ce qui bouge dans la communauté musulmane. Etant donné qu’elle est imprégnée de religiosité, la première chose à contrôler est tout ce qui tourne autour des mosquées qui, comme les imams et même certains fidèles, sont financées par le Maroc. Je ne sais pas si elle est une terre d’espions, mais il utilise ses agents pour essayer de surveiller, influencer et contrôler les communautés musulmanes dans les deux villes, ainsi que dans la Péninsule et dans d’autres régions d’Europe où se trouvent d’importants groupes marocains ou d’origine marocaine.

-Son influence et contrôle des mosquées a été officiellement reconnue.

-Le ministre Ahmed Toufiq a été sincère et a raconté qu’à Ceuta et à Melilla ils en financent la quasi-totalité. C’est une information d’EFE. J’ai été surpris par cette air de sincérité, même si nous savions tous que le Maroc essayait d’être derrière chaque imam, chaque mosquée, chaque communauté …

Y a-t-il réussi?

– A moitié. Il l’obtient plus que dans la Péninsule et la preuve en est que l’année dernière, les imams de Melilla se sont inscrits au Registre des ministres du Culte et de Justice, et ensuite ils se sont désinscrits suivant des instructions marocaines, mais aussi parce qu’ils pensaient que cela revenait à reconnaître l’autorité espagnole à Ceuta et Melilla. Le Maroc aurait aimé que lors de la crise de Tarajal, les imams se soient manifestés d’une certaine manière en faveur du Maroc et il n’y a pas réussi. Dans la Péninsule, en particulier, il a de grands adversaires, tels que la version espagnole de Justice et Charité, qui ne partage pas l’Islam que l’on tente de propager depuis le Maroc.

« Il y a 30 ans, ceux qui travaillaient pour les services secrets avaient des conversations de bistro »

-Vous citez le FEERI.

– Ils insistent toujours sur le fait qu’ils n’appartiennent pas à Justice et Charité, mais des associations ou organisations musulmanes espagnoles. Je ne dis pas qu’ils reçoivent des ordres de leurs clergé à Rabat, mais leur théologie, leur façon d’agir, se situent dans l’orbite de ce qui coïncide avec ce que l’on pratique au Maroc. Il n’existe pas seulement en Espagne, surtout à Murcie, mais également dans d’autres régions d’Europe. En outre, il y en a d’autres proches du PJD.

-Le président de la Commission islamique d’Espagne (CIE), Riay Tatary, s’est montré prudent face au rôle du Maroc dans les communautés de Ceuta et Melilla.

-La Commission essaie de nager et de ne pas se mouiller. Il y a des gens qui sont venus ici dans les années soixante ou soixante-dix, comme Tatary lui-même. Aussi des éléments promarocains et proches du PJD … En Espagne et dans les pays européens, cette question de l’Islam est très compliquée et très divisée et fragmentée, ce qui réduit considérablement le poids de leurs revendications.

-Vous êtes, vous-même, en faveur de l’apparition « d’un islam indépendant aux couleurs de l’Europe ».

-Ca serait totalement positif.

– La réalité est-elle plus confortable telle qu’elle est?

-Il y a un certain laisser-aller. Il ne s’agit pas de « laisser le Maroc contrôler », mais tant que ce qu’il fait avec ses nationaux, ses migrants en Espagne ou en Europe, ne porte pas préjudice … Je le laisse faire. C’est un peu ce qui se passe en Espagne. Je pense que les autorités espagnoles essaieront toujours d’empêcher un Marocain de diriger la CIE et non pas par xénophobie ou par racisme, mais de crainte qu’il puisse être sensible aux indications du Maroc. Ici, le travail de leurs services secrets est entravé à moins qu’il agissent dans plus de trois villes, comme ce fut le cas avec Ziani à Barcelone en 2013. On pense que leur travail ne nuit pas à l’Espagne et que, dans des domaines tels que la collaboration antiterroriste est même un élément clé même s’il l’est moins, pour l’immigration. Il peut y avoir des frictions et en France, nous en avons vu une très spectaculaire qui remonte à 2014-2015, bien que nous l’ayons découvert maintenant. Ici, Ziani, homme important des services marocains à Barcelone, a été expulsé en mai.

« Il utilise ses agents pour surveiller, influencer et contrôler les communautés musulmanes »

– Le Maroc n’obtient pas plus parce qu’il ne fonce pas plus sur l’accélérateur?

– Il obtient beaucoup. Que les imams de Melilla se retournent, que les expulsions d’agents se fassent dans la discrétion sauf pour le cas de Ziani, que contrairement à l’Allemagne ou la Belgique, aucun espion n’a jamais été jugé … La tête du commandant général de la garde civile de Ceuta a été coupée après l’incident du 7 août 2014, lorsque le yacht royal a été intercepté.

– Parfois, on a l’impression que l’on suscite des crises de colère sont un peu enfantines à l’instar de celle-là ou celle dans laquelle on attribue à Aznar la paternité d’un bébé.

– Pour eux, il n’y a pas d’infantilisme dans ces questions. Dans le premier cas, ils considéraient que le roi avait été offensé et qu’il fallait donner une réponse: en contraignant l’Espagne à s’excuser à plusieurs reprises: le ministre se déplaça pour présenter ses excuses, un rapport fut établi en assumant toutes les responsabilités et en annonçant le limogeage du commandant de la Garde civile … Par contre, avec Aznar, le type de vengeance était absolument enfantin et avec moi aussi, même si le fait d’usurper mon identité sur Facebook puisse être désagréable pour moi. Lorsqu’il s’agit du roi, non pas parce qu’ils ont insisté sur le fait qu’ils avaient informé les autorités espagnoles que le bateau royal passait en direction de Tanger. La dite communication marocaine a été cherchée et jamais trouvée.

– Avec ce livre, votre image des espions a-t-elle changé?

– Il y a 30 ans, ceux qui travaillaient pour les services secrets que j’ai connus avaient des conversations de bistro. Tout au long de ma vie, j’ai pu lire des télégrammes d’ambassades au ministère des Affaires étrangères de pays tiers et avec des régimes dictatoriaux et j’ai pu survoler ou on m’a raconté des rapports de services qui m’a semblé ont toujours semblé réussir beaucoup plus parce qu’ils font la même laissez les bons journalistes, marcher dans la rue et respirer la vraie atmosphère. Les diplomates continuent d’avoir une vision déformée de la réalité car, au fond, ils mettent pas le pied dans la rue: ils vivent dans un monde à part de beaucoup de cocktail, bureau et journaux officieux.

L’affront (presque) impardonnable

Cembrero révèle dans « L’agent obscur » que le Maroc a suspendu la collaboration antiterroriste à cause de la crise avec le yacht royal dans des eaux de Ceuta

Le Maroc a pris comme un affront presque impardonnable l’incident impliquant, en août 2014, un navire du Service maritime de la Garde civile qui avait arrêté dans les eaux territoriales de la ville autonome un yacht dans lequel Mohamed VI se dirigeait vers Tanger. Dans les jours qui ont suivi, des bateaux d’immigrants sans précédent ont afflué et les forces de sécurité du royaume alaouite n’ont apparemment pas exercé de contrainte, mais le malaise du pays voisin est allé beaucoup plus loin.

Cembrero révèle dans le prologue de « L’agent obscur » que les Espagnols ont également été « punis avec la suppression temporaire de la coopération en matière de sécurité », tout comme la France du 20 février 2014 au 31 janvier 2015, période dans laqulle « le CNI et la police nationale ont parfois servi de liaison pour apporter à Paris des informations importantes fournies par Rabat ».

« C’est ainsi que l’a rapporté le ministre marocain de l’Intérieur, Mohamed Hasad, au secrétaire d’État espagnol à la Sécurité, Francisco Martínez, peu après que la Garde civile ait arrêtée par erreur, le 7 août 2014, dans les eaux de Ceuta, le luxueux bateau de plaisance dans lequel le roi Mohammed VI naviguait en direction de Tanger « , précise le journaliste, rappelant que » plus tard, les 11 et 12 août, Rabat s’est également vengé de cette interception en relâchant le contrôle de ses côtes septentrionales. « Au cours de ces deux jours » près de 1400 ‘sans papiers » sont arrivés sur la côte andalouse.

« Fernández Díaz en personne s’est déplace à Tétouan pour s’excuser pour la troisième fois »

L’Espagne a dû presque tout faire pour pourvoir compter à nouveau avec la complicité des Marocains. « Le ministère de l’Intérieur s’est excusé pour cette gaffe de l’Institut armé. Le chef de cabinet du ministre, Javier Conde, et le lieutenant général de la Garde civile, Pablo Martínez Alonso, alors responsable du commandement des opérations, se sont immédiatement rendus à Rabat « , explique Cembrero.

Dans la capitale marocaine, ils ont remis « un rapport exhaustif faisant état d’un mea culpa et annonçant la démission du chef de la Comandancia de Ceuta, le lieutenant-colonel Andrés López », qui a été envoyé le 15 août à Séville.

Jorge Fernández Díaz, ancien ministre de l’Intérieur, s’est rendu en personne à Tétouan « pour s’excuser pour la troisième fois ». C’est seulement à ce moment-là que Hasad « a levé le châtiment ».

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