Trois mois, presque jour pour jour, après l’émergence sur la scène nationale d’un mouvement populaire inédit en Algérie, la situation générale du pays, demeure exceptionnellement sereine, avec une «inflation salutaire» de débats citoyens. Les craintes d’une dérive violente ou d’un passage en force des autorités sur les questions que pose la société se sont dissipées, laissant place à un échange assez intense, faut-il l’admettre, entre les acteurs qui font l’actualité de l’heure. Mais cette intensité qui retient l’intérêt de toute la communauté nationale, où la chose politique s’impose, de fait, comme la priorité des priorités, est à ce jour stérile d’une feuille de route digne de ce nom.
Cette stérilité dans la formulation d’une solution véritablement consensuelle, n’est certainement pas le fait de l’ANP, comme le crient certains leaders politiques qui se font relayer dans les manifestations. Et pour cause, l’attitude de l’institution militaire tient compte d’abord d’un constat de terrain, à savoir que le pays est actuellement dirigé par un président intérimaire. Il y a là des signes de fragilité, dont il faut s’occuper de manière urgente. L’armée n’a pas en face d’elle un interlocuteur représentatif de la scène politique à défaut d’être celui du Hirak. Et combien même cela serait-il possible, l’ANP a pris la résolution de n’avoir comme vis-à-vis que les institutions légales de la République. Dans le cas de figure de l’Algérie de l’après 2 avril, c’est la présidence de l’Etat.
En restant sur sa position quant à l’organisation d’une élection présidentielle, sans passer par une période de transition, l’institution militaire est donc dans son rôle, telle que préconisée par la Constitution. Son refus d’ouvrir un débat direct avec la classe politique, relève du même principe constitutionnel. Que l’on soit d’accord ou pas avec la posture de l’état-major de l’ANP, il faut impérativement en prendre connaissance et le respecter. C’est à partir de là qu’il sera possible d’entrevoir une sortie à la crise que traverse le pays. Ce n’est pas en se posant comme donneur d’ordre à une institution de l’Etat, dont les missions sont clairement formulées dans la Constitution.
Cela, pour dire que l’infertilité du débat qui prévaut actuellement avec cette impression de «dialogue de sourds», c’est précisément parce que les politiques semblent considérer que l’armée est à leur service. Qu’ils sachent donc qu’elle ne l’est pas. Elle est au service de toute la collectivité nationale, quelle que soit son obédience et ses positions vis-à-vis de la crise. Que les politiques descendent un peu de leur piédestal qu’ils écoutent réellement ce que dit l’armée. Le dialogue n’en sera que plus intéressant.
Par Nabil G
Source : Ouest Tribune, 22 mai 2019
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