Gabon: Le double décès du président Léon Mba

Voici ce que le Gabonais, Jean-Baptiste Essonghé fonctionnaire français et collaborateur du Général de Gaulle et de Foccart à l’Élysée, a écrit dans ses mémoires :

« Pour la petite histoire, c’est moi qui centralisais toutes les notes des affaires africaines en provenance d’Afrique. Je connaissais comment les gabonais se comportaient avec les autres et ce que la France voulait du Gabon.

(…)

En mai 1965, j’ai rencontré mon ami le président Léon MBA dans sa chambre à l’hôpital Claude Bernard, nous nous sommes enlacés en pleurs comme des enfants, j’ai senti là des vibrations d’amour. Il a réitéré son souhait de me voir à Libreville occuper les fonctions de Ministre de l’Intérieur.

En novembre 1966, un médecin qui faisait partie des lieux de fraternité que moi, m’appela fraternellement pour m’annoncer la mort du Président Léon MBA depuis plus de 24 heures, et, je me précipitai sur les lieux indiqués, et trouvai : Madame Gorgne, Albert Bernard BONGO, Georges RAWIRI et Jacques Foccart. Nous nous regardons tous en chien de faïence un moment. Nous décidons tous ensemble de suivre les instructions du Général de Gaulle.

Nous organisions toutes les manoeuvres politiques du Gabon depuis l’Élysée, c’est le 28 novembre 1967 que nous annoncions la mort du Président Léon MBA.

Mes collègues toubab m’appelaient familièrement « le nègre de l’Élysée ». Qui deviendra plus tard mon nom de code fût. « NEGRO ».

Le témoignage qui suit, de monsieur Jean Nyaré Nkoghe, époux d’Agnès Mba fille ainée du président Léon Mba, confirme les manipulations et pratiques au sommet de l’État français et gabonais qui entourent jusqu’aujourd’hui la date réelle du décès du premier Président de la République gabonaise :

« Jusqu’à ce jour, le flou et l’opacité entourent la mort de mon défunt beau-père. Au mois de février 1967, ma belle-mère Pauline Mba inquiète de ne pas avoir les nouvelles de son mari malade à Paris, invite à la maison le Vice-président Albert Bernard Bongo. Ce dernier accepte d’envoyer une ou deux personnes de la famille à Paris. Quelques jours après, mon épouse et moi recevions les billets et la réservation de deux jours d’hôtel à Paris, avec la précision qu’une personne de l’Ambassade sera à notre arrivée. Le premier jour de notre séjour, l’Ambassadeur Rawiri qui doit nous accompagner à l’hôpital nous fait dire qu’il est indisponible et qu’il viendra nous chercher le soir. Effectivement il nous a balade cette nuit-là dans
Paris en promettant à la fin que nous irons voir le grand Patron demain. Le lendemain, il est venu nous chercher et ça a été le même scénario. Finalement nous sommes rentrés à Libreville, énervés, sans voir le malade.
Bis repetita ! La deuxième fois, entre août et septembre 1967, ma belle-mère de plus en plus inquiète nous renvoie à ses frais voir son mari à Paris, sans informer les autorités gabonaises. Mais elle nous demande qu’à notre arrivée à Paris d’aller voir discrètement, de sa part, leur ami le médecin chef, Professeur Vic-Dupont directeur général de l’hôpital Claude Bernard qui suit les hospitalisations de son époux. Arrivés à Paris, impossible de rencontrer le Professeur qui nous fait une fois encore balader, rendez-vous après rendez-vous. Et nous rentrons, mon épouse et moi à Libreville sans voir le Président.

Je me souviens également que le docteur Benjamin Ngoubou qui a été nommé ministre du travail et des affaires Sociales tout au début de l’année 1967, avait été dépêché officiellement à Paris par le Vice-Président Albert Bongo pour s’enquérir de l’État de santé de mon beau-père. Il a fait en ma présence le compte rendu de sa mission en ces termes à ma belle-mère Pauline Mba : « Maman Pauline, il reste un petit, un petit, un petit point seulement du cancer au poumon du Président, visible sur les films radiologiques. Bientôt c’est bon, il va sortir ».

Pour revenir à votre question et aux mémoires de Jean Baptiste Essonghé que j’ai connu comme quelqu’un de très rigoureux, à ma connaissance, aucun membre de la famille, ni les parents proches, ni les intimes, ni ses enfants scolarisés à cette époque en France, ni même son épouse, n’a vu le président Léon Mba, mon beau-père, entre novembre 1966 et le 28 novembre 1967, date de l’annonce de son décès à l’hôpital Claude Bernard de Paris.

Dans le même esprit, concernant le voyage sans retour en France du président Léon Mba, vous avez ci-après, le témoignage de monsieur Jacques Adiahénot, jeune journaliste de la radio-télévision gabonaise à l’époque, qui a accompagné le président lors de ce voyage :

« J’ai reçu l’ordre de mission d’accompagner le président de la République à Paris le 18 août 1966 pour couvrir ses activités présidentielles. Arrivé à Paris, je me suis fait déposer à l’hôtel par le personnel de l’Ambassade du Gabon.

Deux jours à peine, à ma grande surprise, l’Ambassadeur a envoyé un de ses collaborateurs pour me demander de payer ma chambre et de rentrer immédiatement au Gabon.

Face à cet ordre de monsieur l’Ambassadeur, n’ayant pas reçu des frais de mission au départ de Libreville, je quittai l’hôtel sans payer en laissant tout mon matériel de reportage dans la chambre. Quelque jours après mon arrivé à Libreville, je suis convoqué par le ministre de l’information Albert Bernard Bongo qui me tend une lettre de licenciement au motif que j’ai abandonné la matériel de travail à Paris. J’ai expliqué au ministre pourquoi j’ai abandonné le matériel et il a déchiré la lettre de sanction ».

Qu’est-il arrivé au président de la République deux jours après son arrivée à Paris au point où ses activités ont été annulées ?

Des témoignages ci-dessus, il ressort clairement que le premier Président du Gabon Léon Mba est mort un jour de novembre 1966 (quelques jours avant le 12 novembre), date du retour de Paris du vice-président du Gouvernement Albert Bernard Bongo, et que les Hautes Autorités de l’Élysée ont annoncé sa mort aux citoyens français, gabonais, francophones d’Afrique, et du monde entier le 28 novembre 1967, c’est-à-dire un an après.
Peut-on conclure qu’en francophonie (Côte d’Ivoire, Gabon…), un président de la République peut avoir plusieurs dates de décès : la date réelle et la date officielle.

*Edmond Okemvele Nkogho*

*Déficit démocratique et mal développement en francophonie : Quand nos dirigeants ne peuvent plus*

L’Harmattan, 2019, PP 69-71

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