Bien qu’il soit aujourd’hui presque totalement oublié, il fut pourtant une époque où, au Maroc, on ne prononçait pas le nom du général Dlimi sans prendre auparavant d’infinies précautions, de crainte évidemment d’être entendu par des oreilles indiscrètes. Le passage de cet officier à la tête des services de sécurité du pays, entre 1972 et 1983, a effectivement coïncidé avec la phase la plus répressive de ce que l’on a appelé les « années de plomb ». Mais c’est aussi pour cette raison que l’étude de sa vie et de sa carrière revêt un si grand intérêt pour quiconque s’intéresse à cette période cruciale de l’histoire du Maroc contemporain.
1. Les origines
Ahmad ibn al-Hassan ad-Dalimi (Ahmed Dlimi) est né le 16 juillet 1931 à Sidi Kacem, près de Meknès, au Maroc. Il est issu de la tribu nomade des Oulad Dalim, fraction de la tribu des Banu Hassan, elle-même issue des Banu Maktil. La tribu des Oulad Dalim, lointainement originaire du Yémen, s’est installée au Sahara au 12ème siècle. Les Oulad Dalim ont souvent servi comme soldats dans l’armée des sultans marocains dans le cadre du système de recrutement tribal appelé Guich. En échange, les souverains leur ont octroyé des terres, ce qui leur a permis de se sédentariser dans le nord du pays. Et c’est ainsi qu’un certain nombre d’entre eux se sont implantés dans la plaine du Gharb et notamment à Sidi Kacem.
Bien qu’issu d’un milieu modeste, le jeune Ahmed va pouvoir profiter des bonnes relations que son père, Lahcène Dlimi, entretient avec l’armée française, où il s’est fait engagé comme traducteur. Ces liens vont notamment permettre à l’adolescent d’intégrer le prestigieux lycée Moulay Youssef de Rabat, véritable pépinière de l’élite marocaine. En 1951, le jeune homme décide de suivre la voie paternelle et de se lancer à son tour dans la carrière des armes. En 1953, au terme de deux années de formation à l’Académie militaire Dar el-Beïda de Meknès, il sort major de sa promotion. Aux camarades qui le côtoient, il renvoie l’image d’un garçon solitaire, très travailleur et surtout extrêmement ambitieux. A l’issue de ce séjour à Meknès, il est sélectionné avec quelques autres élèves pour aller terminer ses classes à l’école d’application de Saint-Maixent en France. Encore une fois, il en sort avec les honneurs et termine à la première place. De taille élevée, d’une grande prestance, il s’exprime dans un français excellent et ses supérieurs lui prédisent tous une belle carrière. Il est vrai que cette époque troublée est pleine d’opportunités pour ceux qui savent les saisir.
C’est vers la fin des années 1930, c’est-à-dire après la fin des dernières résistances tribales et confrériques, que le mouvement nationaliste marocain a commencé à s’organiser politiquement. D’abord circonscrit à quelques milieux urbains et élitistes, il va acquérir une nouvelle ampleur dans la foulée du fameux discours prononcé par le sultan Mohammed V à Tanger le 10 avril 1947, discours l’occasion duquel le souverain va officiellement prendre fait et cause pour l’indépendance de son pays. Au cours des sept années qui vont suivre, les Français, qui avaient installé leur protectorat sur le Maroc en 1912, vont devoir lutter pied à pied pour tenter de conserver leur autorité malgré les grèves et les manifestations qui vont se succéder à un rythme de plus en plus soutenu. Mais la répression coloniale ne fait qu’attiser la situation et, à partir de décembre 1952, des groupes de résistance armés commencent à faire leur apparition, faisant peu à peu basculer le Maroc dans véritable un climat de guerre civile. Le 20 août 1953, le sultan est finalement déposé puis exilé à Madagascar par le pouvoir colonial.
La cinglante défaite militaire subie par les armées françaises à Dien Bien Phu en mai 1954, puis le déclenchement d’une insurrection généralisée en Algérie le 1er novembre 1954, vont finalement hâter la sortie de crise. Des négociations s’engagent bientôt à Aix-les-Bains entre les représentants de Paris et ceux du camp nationaliste. Le 16 novembre 1955, le sultan est finalement autorisé à rentrer au Maroc et, le 2 mars 1956, après quarante quatre années de protectorat français, le sultanat retrouve finalement sa pleine et entière souveraineté.
Aux termes d’accords négociés de façon très âpre, les bases militaires françaises installées au Maroc finiront par être toutes fermées en 1960 tandis que les bases américaines seront démantelées à leur tour en 1963. Le Maroc tiendra pourtant à conserver de bonnes relations avec l’Occident, ce qui l’isolera d’ailleurs quelque peu de ses voisins à un moment où la quasi-totalité du monde arabe basculait dans le camp pro-soviétique.
2. L’ascension d’un ambitieux
Dirigées par le jeune prince Hassan (le futur Hassan II, 1929-1999), les Forces Armées Royales (FAR) vont officiellement prendre le relais de l’armée coloniale le 13 mai 1956. A charge pour elles désormais d’assurer l’ordre et la sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. Cette jeune institution manquant alors cruellement de cadres, les carrières y sont extrêmement rapides. Le 28 février 1957, Ahmed Dlimi est ainsi officiellement versé dans les FAR avec le grade de lieutenant.
Le jeune Etat marocain ne va pas tarder à devoir tester l’efficacité de ses nouvelles forces armées. Dès le mois de janvier 1957, une insurrection éclate en effet dans la région désertique du Tafilalet. Le gouverneur local, Addi Ou Bihi, refuse d’obéir aux ordres venus d’un gouvernement dont il conteste la politique centralisatrice et autoritaire. Sous les ordres du général Kettani, les soldats des FAR vont rapidement parvenir à mâter le rebelle, qui sera destitué et interné à Kénitra.
A peine quelques mois plus tard, en octobre 1957, le Maroc se retrouve cette fois-ci engagé dans une courte guerre contre l’Espagne, à laquelle il dispute l’arrière-pays de Tarfaya et surtout l’enclave de Sidi Ifni, située à l’extrême sud du pays. Les forces marocaines, placées sous le commandement du caïd Ben Hammou, seront principalement constituée de contingents tribaux mais des soldats des FAR seront également présents. Mise en difficulté par les offensives chérifiennes, l’Espagne décide de faire appel à la France, qui accepte de venir à sa rescousse. C’est ainsi qu’est déclenchée l’opération Ecouvillon-Ouragan, qui parviendra effectivement à repousser les Marocains. La paix sera finalement signée le 2 avril 1958 grâce à un compromis : l’Espagne accepte de se retirer de Tarfaya mais obtient de pouvoir conserver Sidi Ifni (jusqu’en 1969).
C’est à l’occasion de cet affrontement que Dlimi va faire la connaissance de Mohammed Oufkir (1920-1972), un personnage qui va beaucoup compter dans la suite de sa carrière. Issu d’une famille de notables du Tafilalet, Oufkir avait rejoint l’armée française en 1939. Vétéran des campagnes d’Italie (1944) et d’Indochine (1947-1949), il a travaillé pour le compte de la résidence générale à partir de 1950, avant de se voir nommé en tant qu’aide de camp du sultan Mohammed V en 1955. S’étant lié avec le prince héritier, il va rapidement devenir l’un de ses principaux conseillers. Oufkir, qui sait parfaitement juger de la valeur des hommes, a tout de suite su apprécié les qualités du jeune Dlimi.
En octobre 1958, une nouvelle crise éclate, cette fois-ci dans le Rif central, où des rebelles se sont réunis sous la conduite du cheikh Abdessalam Haddou Améziane. Dépêché sur place, Moulay Hassan va diriger personnellement la répression avec l’aide d’Oufkir. Les combats sont durs mais les derniers insurgés doivent finalement se rendre en janvier 1959. Une dernière insurrection tribale, cette fois-ci dans le Moyen Atlas, va subir le même sort en février 1960.
Mais ce qui sera de loin le plus grave conflit de l’époque éclate en octobre 1963, lorsque le Maroc et l’Algérie s’opposent par les armes. Le royaume chérifien assure en effet détenir des droits historiques sur une partie du territoire de l’ancienne colonie française d’Algérie, en particulier sur les régions de Tindouf et de Colomb-Béchar, droits qu’il reconnaît certes avoir mis en sommeil pendant la période coloniale, mais qu’il entend bien faire valoir à présent que l’Algérie est devenue un pays souverain.
A plusieurs reprises, au cours de l’été 1962, des colonnes marocaines vont donc mener des raids de reconnaissance dans la région ce qui va provoquer à chaque fois des accrochages avec l’Armée Nationale Populaire. Le 2 octobre 1963, le président algérien Bella décide d’envoyer des troupes pour réoccuper les villages de Tinjoub, Ich et Hassi Beida, où des troupes marocaines se sont installées quelques jours plus tôt. Le 14 octobre, sous le commandement du général Driss Bel Omar el-Alami, l’armée marocaine entre massivement en Algérie, provoquant le début de ce que l’on appellera la « guerre des sables » (harb ar-rimal). Mise en difficulté, l’armée algérienne obtient alors l’appui de contingents cubains et égyptiens. Lees combats cessent finalement dès le 5 novembre 1963, grâce à la médiation conjointe du Mali et de l’Éthiopie. La paix, signée le 20 février 1964, imposera le retour au statu quo ante et la création d’une zone démilitarisée (le règlement définitif du conflit et la fixation du tracé frontalier n’interviendront qu’en mai 1989).
3. L’homme du roi
Ahmed Dlimi, issu d’un milieu modeste, sait pertinemment qu’il devra disposer de solides relais s’il veut pouvoir intégrer un jour les cercles dirigeants de l’armée et de l’Etat. L’appui d’Oufkir n’est pas suffisant. Car dans cette société encore très traditionnelle qu’est le Maroc post-colonial, les relations familiales jouent toujours un rôle déterminant. Chacun sait en effet que quelques grandes lignées (Kettani, Alaoui, Tazi, Bendjelloun, Benslimane, etc.), soutiens de longue date de la monarchie, contrôlent la quasi totalité des postes clés de l’administration et de l’économie.
Dès lors, le jeune officier va donc faire tout ce qui lui est possible afin de pouvoir épouser la fille de Messaoud Chiguer, l’ancien ministre de l’Intérieur. Il y parviendra effectivement mais ce mariage ne durera finalement que quelques mois. Prenant prétexte que sa femme n’avait pas mené une vie convenable avant ses noces, le lieutenant Dlimi ne tardera pas en effet à la répudier. Dans la foulée, il en profitera pour se remarier avec Zahra Bousselham, fille du chef des services secrets et belle-sœur d’Abdessalam Sefriou, le futur commandant de la Garde royale. Mais le père de l’épouse bafouée compte bien ne pas en rester là. Il va donc se plaindre auprès du roi Mohammed V qui, furieux, décide de renvoyer Dlimi en garnison à Fès.
Tandis que se déroulent ces conflits familiaux, les services de sécurité marocains connaissent eux-aussi une profonde réorganisation. Le 1er juillet 1960, le roi Mohammed V fait licencier les 300 derniers fonctionnaires français de la Sûreté Nationale et, quelques jours plus tard, il nomme le lieutenant-colonel Mohammed Oufkir à la tête de la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN), en remplacement de Mohammed Laghzaoui, qui était en poste depuis 1958.
Dans l’ombre de son père cependant, le prince Hassan a déjà commencé à constituer son propre appareil sécuritaire, qu’il a fait rattacher directement à son cabinet personnel, d’où son nom de « Cab ». Un Cab-1 a ainsi été mis en place dès le mois de janvier 1958 en tant que service de renseignement afin de surveiller les menées subversives de la gauche. Le Cab-7 sera constitué quant à lui en juillet 1958 avec pour mission de conduire directement les enquêtes et les interrogatoires.
Monté sur le trône après la mort précoce de son père, survenue le 3 mars 1961, le nouveau souverain décide rapidement d’imposer ses propres hommes à la tête des services de sécurité. En janvier 1962, il met donc un terme à la disgrâce de Dlimi et, après lui avoir fait effectuer un court stage de formation au bureau des renseignements militaires, il nomme celui-ci à la tête du Cab-1.
Le nouveau roi se présente à ses interlocuteurs comme l’avocat de la modernisation et de la démocratisation de son pays. On le dit effectivement plein de charme, très intelligent et bon orateur, mais ceux qui le connaissent bien savent qu’il possède aussi un personnalité retorse et qu’il est très sourcilleux quant au respect de son pouvoir personnel. Il va le démontrer quelques mois plus tard, en faisant à la fois approuver par référendum la première constitution du royaume (décembre 1962), puis en manipulant habilement les élections législatives de mai 1963 pour obtenir une assemblée législative entièrement à sa dévotion. Son objectif est alors double, il cherche d’abord se débarrasser de l’Istiklal, le vieux parti nationaliste, qui voudrait pouvoir maintenir la monarchie sous sa tutelle, mais il veut aussi et surtout affaiblir l’Union Nationale des Forces Populaires du Maroc (UNFP). Née en 1959 d’une scission de l’Istiklal, l’UNFP a adopté dès sa création une ligne résolument progressiste et de tendance nettement socialiste. Portée par le charisme de son fondateur et principal dirigeant, Mehdi Ben Barka, elle réclame l’instauration d’une monarchie constitutionnelle, la mise en œuvre d’une grande réforme agraire et souhaite que le Maroc puisse rapidement rejoindre le « camp anti-impérialiste ». Autrement dit, elle représente un danger mortel pour le Trône. En quelques semaines, le ministre de l’Intérieur Ahmed Guedira (1922-1995) crée donc un nouveau parti, le FDIC, afin de rassembler tous les partisans de la politique royale. A force de trucages plus ou moins grossiers, le FIDC va effectivement remporter le scrutin du 17 mai 1963. Mais comme il n’a pas obtenu pour autant la majorité, le pouvoir se montre très insatisfait. Alors en juin 1963, prétextant avoir déjoué une tentative de coup d’État, le roi Hassan II entreprend finalement de liquider toute forme d’opposition à son autorité.
A l’occasion de ce coup d’Etat royal de juin 1963, la police va procéder à l’arrestation de près de 5 000 opposants, dont celle de 21 députés de l’UNFP. Dix mois plus tard, 11 de ces responsables seront condamnés à mort complot et haute trahison. Dlimi participe de très près à cette épuration. Le 13 juin 1963, à la tête d’une centaine de gendarmes, il mène personnellement la capture de l’un des principaux chefs de l’opposition au roi, Moumen Diouri. Le militant sera immédiatement transféré à Dar el-Mokri, tristement surnommé le « Palais de la torture », dont il ne sortira que huit ans plus tard. Le 7 août 1964, Ahmed Agouliz, l’un des condamnés à mort par contumace du procès de mars précédent, est cerné dans un immeuble de Casablanca et préfère se suicider plutôt que de tomber aux mains des policiers.
Mais, contrairement aux prévisions du pouvoir, cette répression ne va pas mettre fin aux tensions. Au contraire, elle ne va faire que les amplifier, notamment dans les milieux estudiantins et syndicaux. Nommé au grade de général en septembre 1963 avant d’être porté à la tête du ministère de l’Intérieur le 20 août 1964, Oufkir est fermement décidé à vaincre cette contestation. En mars 1965, lorsque de graves émeutes étudiantes se produisent à Casablanca sur fond de crise économique et de blocage politique, il envoie les chars et les hélicoptères pour mener la répression. Il y aura des centaines de morts, peut-être près d’un millier. La proclamation de l’état d’urgence le 7 juin 1965, transforme de fait le Maroc en un véritable Etat policier.
L’objectif ultime des forces de sécurité marocaines demeure cependant l’élimination de Mehdi Ben Barka. Ancien professeur de mathématiques des princes de la famille royale, vétéran du combat pour l’indépendance, ex-président de l’Assemblée consultative et chef de l’UNFP, Ben Barka a du quitter le Maroc le 23 juin 1963, quelques mois après été victime d’un accident de la route qu’il soupçonnait avoir été réalité une tentative d’assassinat habilement maquillée (15 novembre 1962). Désormais en exil, il a noué des contact avec tout ce que le Tiers-Monde compte alors de leaders progressistes et révolutionnaires : Fidel Castro, Che Guevara, Ahmed Ben Bella, Amilcar Cabral, Malcolm X, etc. En octobre 1963, au début de la « guerre des sables », il n’a pas hésité à prendre fait et cause pour l’Algérie, ce qui lui a valu une condamnation à mort pour haute trahison.
Depuis longtemps, Hassan II considère Ben Barka comme le point de cristallisation de la contestation. A l’occasion d’une réunion organisée le 25 mars 1965, il charge donc Dlimi et Oufkir de monter une opération audacieuse sous le nom de code Bouya Bashir (« le père de Bashir »). Il s’agira pour les deux hommes de parvenir à rencontrer Ben Barka afin de le convaincre de revenir au Maroc, où il devra faire acte d’allégeance à la monarchie en échange d’une amnistie et d’un portefeuille ministériel. Si jamais il refuse toutefois, Oufkir et Dlimi ont reçu pour consigne de l’éliminer.
Le 25 avril 1965 le cousin du roi et son ambassadeur en France, le prince Moulay ‘Ali, parvient à nouer un premier contact avec Ben Barka, qu’il ira même rencontrer personnellement à Francfort en Allemagne. L’opposant accepte d’envisager son retour, à condition toutefois que son amnistie et celles des autres militants soit inscrite dans la loi. Quelques mois plus tard, tandis que l’opposant est de passage à Paris, il est mis en confiance par deux français, Georges Figon et Philippe Bernier, qui affirment vouloir l’impliquer dans un projet de film anticolonialiste intitulé « Basta ! ». Séduit par cette idée, Ben Barka accepte d’honorer le rendez-vous que lui ont fixé ses interlocuteurs. Mais alors qu’il vient à leur rencontre sur le trottoir du boulevard Saint-Germain dans l’après-midi du vendredi 29 octobre 1965, il est soudainement embarqué par deux policiers français de la Brigade mondaine qui le font monter à bord de leur véhicule après lui avoir présenté leurs cartes officielles. Transféré dans une villa isolée de Fontenay-le-Vicomte, il y reçoit la visite d’Oufkir, d’Ahmed Dlimi et de Larbi Chtouki, venus tout spécialement du Maroc pour terminer le travail initié par leurs complices. Le militant ayant probablement refusé les propositions qui lui étaient faites, il sera finalement abattu et son corps sans doute détruit à l’acide. L’opération s’achèvera donc sur une forme de succès pour le duo Oufkir-Dlimi, qui aura su débarrasser la couronne marocaine de son plus sérieux contradicteur.
Mais c’était sans compter sur l’insistance des nombreux amis français de Mehdi Ben Barka, qui vont rapidement alerter des journalistes de l’Express. En pleine campagne présidentielle, l’opposition de gauche saute sur l’occasion pour tenter d’affaiblir le général de Gaulle, accusé d’être à la tête d’un régime de barbouzes sans foi ni loi. Le 10 janvier 1966, Georges Figon fait des confidences à l’hedomadaire et, dans un célèbre article intitulé « J’ai vu tuer Ben Barka », il met directement en cause Oufkir et Dlimi. Le 17 janvier 1966, l’infortuné Figon est retrouvé mort dans son appartement, ce qui va donner à l’affaire des proportions énormes. La justice ordonne immédiatement l’ouverture d’une enquête, et dès le 19 janvier, le patron du SDECE, les services secrets français, est mis à la retraite car on le soupçonne d’avoir été au courant de l’opération marocaine sans avoir cru bon d’en avertir les autorités gouvernementales. Le lendemain, des mandats d’amener sont officiellement lancés contre Oufkir et Dlimi. Le 22 février 1966, De Gaulle est finalement contraint de s’exprimer publiquement sur l’affaire Ben Barka qui va empoisonner les relations franco-marocaines durant plusieurs années. Le procès de Dlimi s’ouvre par contumace le 5 septembre 1966 devant la Cour d’Assise de la Seine, mais, en octobre 1966 l’officier marocain gagne la France et, dans un véritable coup d’éclat, se constitue prisonnier afin de « laver son honneur et celui de son pays ». Acquitté faute de preuve le 5 juin 1967, il retourne alors au Maroc où il est accueilli en héros et rapidement promu au grade de colonel.
Devenu le nouveau directeur de cabinet d’Hassan II, Dlimi se retrouve plus que jamais placé au cœur du pouvoir marocain. Aussi discret qu’efficace, il est très apprécié de Sa Majesté. Comme souvent en pareil cas, sa famille profite également de son ascension. Son père, Hadj Lahcène, devient ainsi le président du club de football local tandis que son frère Mohammed parvient à occuper le poste de secrétaire général de la province de Kénitra. A vrai dire, c’est toute la ville de Sidi Kacem qui va profiter de l’ascension de l’enfant chéri du pays car les investissements et les projets vont s’y multiplier.
En 1970, Dlimi devient directeur de la Sureté Nationale. Moins d’un an plus tard, le 10 juillet 1971, va produire la fameuse tentative de putsch de Skhirat. Alors que le souverain a réuni près d’un millier d’invités dans son palais de Skhirat, au sud de Rabat, pour fêter à leurs côtés son 42e anniversaire, une cohorte de mutins fait soudainement irruption parmi les convives. Ils sont dirigés par le général Mohammed Medbouh et par son complice, le capitaine M’Hamed Ababou, directeur de l’école des sous-officiers. Une fusillade éclate. Intense, elle va provoquer un massacre atroce qui fera plus de 100 morts (dont l’ancien Premier-ministre, Ahmed Bahnini) et 150 blessés. Présent aux côtés du roi, Oufkir et Dlimi font preuve d’un extraordinaire sang-froid. Ils organisent la mise à l’abri du chef de l’Etat et appellent des renforts. Finalement, la tentative échoue et la répression sera féroce. Une dizaine de félons ont déja été abattus pendant les évènements. La traque de leurs complices va se poursuivre durant plusieurs mois. Lors du procès, ils seront près d’un millier d’accusés à comparaître devant les juges. Une dizaine d’entre eux (dont 4 généraux) seront passés par les armes.
Le roi peut se montrer satisfait de Dlimi et ce dernier ne tarde d’ailleurs pas à prendre du galon. Il est ainsi confirmé à la tête de la Sureté Nationale mais se voit débarrassé au passage de la tutelle pesante d’Oufkir, qui se trouve pour sa part promu à la tête du ministère de la Défense. Le bras de fer entre les deux hommes, jusque-là plutôt feutré, va devenir de plus en plus acerbe.
4. Au sommet du pouvoir
Le 16 août 1972, le Boeing 727 qui ramène le souverain marocain d’Europe est pris en chasse au-dessus de Tétouan par plusieurs avions F-5 venus de la base de Kénitra. Ils visent l’appareil et le mitraillent avec des balles perforantes. Treize passagers trouvent la mort et près de cinquante autres sont blessés. Trois des quatre réacteurs sont mis hors d’usage. Dans l’avion, c’est la panique. Le roi ordonne alors au pilote de diffuser un communiqué annonçant à la tour de contrôle qu’il est gravement blessé. Les avions s’éloignent aussitôt. Le Boeing 727, piloté avec maestria, réussit finalement à se poser. Les F-5 passent alors à basse altitude et reviennent ensuite pour mitrailler le palais dont le souverain vient juste d’être évacué.
Dlimi (qui était lui-aussi dans l’appareil), prend alors les choses en mains. Son enquête est rapide et pointe la responsabilité du général Oufkir, qui se trouvait dans la tour de contrôle d’où il commandait sans aucun doute l’action des putschistes. Dans la soirée, après avoir été convoqué au Palais de Skhirat, Mohammed Oufkir est abattu de plusieurs balles dans les jardins royaux1. Le lieutenant-colonel Amekrane, qui dirigeait les putschistes, sera quant à lui fusillé le 13 janvier 1973. Afin que tous ses complices puissent recevoir un sort à la hauteur de leur trahison « sacrilège », Dlimi fait construire la prison secrète de Tazmamart, dont il va confier la direction à l’un des ses protégés, le lieutenant El-Caïd. Cette institution abritera en tout cinquante huit détenus, dont la moitié mourra de mauvais traitements. La femme d’Oufkir, Malika, et ses six enfants, seront arrêtés en décembre 1972 et resteront internés dans le sud du pays jusqu’en mars 1991.
Ayant hérité des dossiers d’Oufkir, Dlimi crée en 1973 la Direction Générale de l’Etude et de la Documentation (DGED) afin de pouvoir centraliser entre ses mains l’ensemble de l’appareil sécuritaire sous la tutelle directe du roi. La répression, qui se fait de plus en plus dure, visera en particulier les militants de l’UNFP2, dirigée depuis la mort de Ben Barka par l’ancien président du Conseil, Abdallah Ibrahim, et par un ex-diplomate, Abderahim Bouabid. Tous les moyens seront bons pour détruire ce groupe, même les plus contestables : espionnage, harcèlement, intimidation, torture, procès truqués, etc. En janvier 1973, l’un des principaux leaders de l’USFP, l’avocat Mohammed El-Yazghi, sera même blessé dans l’explosion d’un colis piégé.
Le pouvoir s’attaque aussi à l’extrême-gauche, très puissante dans les universités, et notamment aux membres du groupe Ilal Amam (« En avant ! ») d’Abraham Sarfaty et Abdelatif Laabi. Arrêté une première fois en 1972, puis à nouveau en 1974, Sarfaty restera finalement détenu dans les prisons marocaines jusqu’en septembre 1991. Les militants du Parti Communiste Marocain (PCM), à commencer par ses chefs, Ali Yata et Simon Lévy, vont subir un sort comparable.
Dlimi affronte également les islamistes, dont la montée en puissance devient manifeste dès le début des années 1970. Deux groupes émergent alors. D’une part l’Association de la Jeunesse islamique (Djami’a as-shabiba al-islamiyya), fondée en 1972 par Abdelkrim Moutii, qui prône l’application de la shari’ah, y compris par la violence. L’autre groupe est celui présidé par le guide confrérique Abdessalam Yassine. Ce dernier met surtout l’accent sur l’importance de la justice sociale et évoque peu la politique stricto sensu mais, contrairement aux autres maîtres soufis, il n’hésite pas émettre des conditions avant d’accepter de reconnaître au roi son statut de « commandeur des croyants ». La répression ne se fait pas attendre. Tandis que Moutii doit s’exiler en Belgique, Yassin sera quant à lui interné dans un hôpital psychiatrique sur l’injonction du pouvoir de 1973 à 1979.
Au besoin, Dlimi n’hésitera pas à utiliser les islamistes pour mieux lutter contre la gauche. Ainsi, l’assassinat le 18 décembre 1975 à Casablanca de l’un des principaux leaders de l’USFP, Omar Benjelloun, par un membre de l’Association de la Jeunesse islamique, sera-t-il vu par beaucoup d’observateurs comme le résultat d’une habile manipulation de la DGED.
Dlimi fait aussi de son mieux pour diviser cette opposition et y il parviendra en grande partie en 1982, lorsque l’un des anciens partisans de Moutii, Abdelilah Benkirane, acceptera de se rallier au trône et de renoncer publiquement à l’extrémisme et à la violence. Il emmènera avec lui plusieurs dissidents et fondera avec eux la Communauté islamique (Al-Djama’a al-islamiyya). Pour essayer de réguler le problème plus en amont, le pouvoir met aussi en place en janvier 1980 un Haut Conseil des Oulémas, qui sera chargé de définir l’orthodoxie et l’orthopraxie officielles, tout en veillant à la stricte conformité des prônes avec l’idéologie monarchique.
De facto, de 1972 à 1983, Dlimi va donc agir comme le véritable n°2 du régime marocain. Conseiller spécial du roi pour toutes les questions de sécurité, il est aussi son principal confident en matière politique. Ministre de l’Intérieur depuis la mort d’Oufkir, il dirige la gendarmerie royale par l’intermédiaire de son adjoint, le général Hosni Benslimane. Directeur des aides de camp du roi et proche du prince Abd Allah, il est devenu un intime de la famille royale. Supérieur hiérarchique de Mohammed Mediouri, chef depuis 1971 du « Département de la Protection royale » (DPR), Dlimi a ainsi un œil sur tout ce qui se déroule au Palais. Interlocuteur privilégié des services de contre-espionnage étrangers, il surveille de près les activités des Marocains de l’étranger grâce aux nombreux réseaux d’agents qu’il entretient au sein des services consulaires.
Dans le peuple, si l’on prononce certes son nom avec crainte, on répand aussi de nombreuses rumeurs à son sujet. On le dit bon vivant, amateur de bonne chère et de belles femmes. On raconte que, dans ses villas, il anime des soirées arrosées où se succèdent danseuses et chanteuses et où la cocaïne n’est jamais absente. On l’accuse aussi de s’enrichir considérablement. Il est certes difficile de faire ici la part entre la vérité et la calomnie, mais ce qui est certain c’est qu’une grande partie de l’élite marocaine vit alors dans un luxe très ostentatoire et qu’elle jouit de mœurs qui sont bien loin des normes en vigueur dans le reste de la société.
Le 1er septembre 1976, à l’initiative de son partenaire et ami, Alexandre de Marenche, le directeur du SDECE, service de renseignement extérieur français, le général Dlimi participe à la création du « Safari Club ». En raison du traumatisme provoqué par la fin de la guerre au Vietnam et le scandale du Watergate, la CIA s’est en effet retrouvée mise sous tutelle par le Congrès. Depuis lors, la diplomatie américaine semble en crise et incapable de contrer efficacement l’expansionnisme soviétique. En 1974 et 1975, le Mozambique, l’Angola et l’Ethiopie vont basculer coup sur coup dans le camp de Moscou. Les services secrets français, saoudiens, égyptiens, iraniens et marocains décident donc de s’unir et de créer une commission spéciale. Installée au Caire, elle sera chargée de centraliser leur travail afin de s’opposer à l’avancée russe. C’est dans la même optique que sera fondé en 1981 le « Midi Club », une structure d’échange d’informations organisée cette fois ci par les services de renseignement marocains, français, espagnols, italiens, tunisiens et palestiniens, afin de lutter contre les organisations terroristes liées à Moscou, en particulier le FPLP-COSE de « Carlos » et le « Fatah-CR » d’Abu Nidal.
Les services marocains entretiennent par ailleurs des contacts suivis avec leurs homologues israéliens. Cette relation, tout à fait exceptionnelle pour un pays musulman, remonte en réalité au début du règne de Hassan II qui, contrairement à son père, avait décidé d’autoriser l’émigration des juifs marocains vers Israël (émigration qui sera d’ailleurs directement prise en charge par le Mossad à la faveur de l’opération Yakhin menée de 1961 à 1964). Après la mort d’Oufkir, Ahmed Dlimi va reprendre à son tour le dossier très sensible des relations israélo-marocaines, si sensible d’ailleurs que tous les contacts entre les deux pays resteront clandestins. Cela n’empêchera pourtant pas Dlimi de rencontrer à de nombreuses reprises le ministre de la Défense israélien, le célèbre Moshe Dayan, héros de la Guerre des Six Jours.
Mais les services marocains de Dlimi ne se contentent pas d’échanger des informations avec leurs homologues Occidentaux. A plusieurs reprises, ils vont aussi mobiliser leurs propres troupes pour mettre en échec la « subversion communiste » qui menace l’Afrique subsaharienne3. En janvier 1977, Ahmed Dlimi joue ainsi un rôle clé dans la tentative de renversement orchestrée contre le régime marxiste de Matthieu Kérékou au Bénin. Les participants de cette opération, baptisée « Crevette », seront ainsi entraînés sur la base de Benguerir près de Marrakech sous la direction de l’agent français Bob Denard. A peine débarqués au Bénin, les mercenaires devront toutefois se replier devant la réaction des forces de sécurité locales.
Si cette tentative s’est donc soldée par un échec retentissant, d’autres opérations, toujours pilotées par les services de Dlimi, fonctionneront mieux, comme celle qui permettra de renverser en août 1979 le président pro-communiste de Guinée-Équatoriale, Macias Nguema. A la fin des années 1970, des conseillers militaires marocains sont également envoyés un peu partout dans le continent noir pour servir aux côtés des Français et des Américains, qu’il s’agisse d’appuyer l’UNITA de Jonas Savimbi, le Tchad d’Hissène Habré ou le Zaïre de Mobutu. En 1977 puis en 1978, lorsque les troupes françaises vont investir la ville minière de Kolwezi pour la reprendre à des rebelles communistes, elles seront accompagnés sur leurs talons par des soldats marocains.
En contact permanent avec les milieux diplomatiques et militaires occidentaux, Dlimi négocie personnellement les grands contrats d’armement passés par l’armée chérifienne. Diplomate habile, il participe en compagnie du roi aux grands sommets internationaux de la Ligue Arabe comme à ceux des Nations Unies. En avril 1974, il accompagne très officiellement le jeune prince Mohammed (futur Mohammed VI) lors des funérailles du président français Georges Pompidou. Au début du septennat de François Mitterrand, Dlimi sera régulièrement reçu par son conseiller occulte, François de Grossouvre, avec lequel il ira souvent chasser dans les marais de Sologne.
Il nous parait utile de citer ici l’épisode narré dans ses mémoires par Pierre Marion, alors directeur général du SDECE, car il met en scène le personnage de Dlimi dans une situation cocasse et à vrai dire assez symbolique de son statut, alors proche et en même temps subalterne :
« Au Maghreb, nous sommes en contact étroit avec les Marocains et les Tunisiens. Chez les premiers, mes interlocuteurs sont le roi lui-même et le général Dlimi, chef des services secrets, qui j’ai rencontrés dès septembre 1981. Mes rapports avec Hassan II sont faciles et sympathiques ; je le vois pratiquement un mois sur deux. Nous échangeons des renseignements et des analyses sur la situation en Afrique du Nord, notamment en Algérie. En Afrique noire, il est proche de plusieurs chefs d’Etat et, au Proche-Orient, il suit les évènements de près […]. Une fois, en septembre 1981, il me fait demander de venir le voir en urgence. Je le rencontre dans son palais en altitude situé à Ifrane […]. Une fois la discussion terminée, il propose de me ramener lui-même à Fez. Sortant du palais, il s’installe au volant d’une Aston Martin dernier modèle et nous faisons le trajet de cent cinquante kilomètres à toute allure, accompagnés par deux hélicoptères de sécurité volant à base altitude de chaque côté de la route. Dlimi est assis à l’arrière sur un strapontin, les genoux dans la bouche […]. Nous conversation se termine dans les beaux jardins du palais de Fez […]. Je suis surpris par ce curieux régime de pouvoir personnel, mariant modernisme et archaïsme, comme l’illustrent notre course folle au volant d’une voiture occidentale et ces jardins où s’agenouillent à chaque coin d’arbre des courtisans. Moi-même suis honoré d’accolades très travaillées » (Marion, Pierre : Mémoires de l’ombre, Flammarion, 1999, p. 198-199).
5. La bataille du Sahara
A partir de 1974, Ahmed Dlimi va également prendre en main le dossier jugé ultra prioritaire du Sahara espagnol. Depuis qu’il a obtenu son indépendance, le royaume du Maroc revendique en effet la souveraineté sur ce territoire dont il se considère comme le légitime propriétaire en vertu de droits historiques qui remontent à l’époque médiévale.
En novembre 1975, afin de manifester sa volonté d’annexer cette région riche en minerais, le roi Hassan II organise une grande démonstration, la « Marche Verte », qui va réunir près de 500 000 civils « volontaires » (bien encadrés il est vrai par près de 20 000 soldats). Le 14 novembre 1975, le gouvernement espagnol co-signe finalement les accords de Madrid, qui vont partager leur ancienne possession en deux, un tiers de la zone revenant à la Mauritanie et les deux autres au Maroc. Immédiatement, et tandis que les derniers soldats espagnols quittent le pays avec armes et bagages, l’armée marocaine se met en ordre de marche et franchit la frontière, occupant Laayoune le 11 décembre puis Lagouira neuf jours plus tard. Alors que la monarchie était au plus bas, la bataille du Sahara, promue au rang de grande cause nationale, lui permet de redorer son blason auprès d’une opinion chauffée à blanc.
Mais cette occupation ne va pas sans rencontrer des résistances. Fondé en 1973 et fortement soutenu par l’Algérie, le Front Polisario, l’organisation armée de la résistance sahraouie, s’oppose en effet fortement à la politique marocaine. Au motif que les populations locales n’ont pas été consultées après les accords de Madrid, il réclame la création d’une République sahraouie indépendante. A partir de janvier 1976, cette organisation se lance dans une véritable guerre de guérilla contre les armées marocaines et mauritaniennes. Bien armés et connaissant très bien le terrain, ses militants vont se révéler de redoutables adversaires. En janvier 1979, à la surprise générale, ils parviendront même à occuper brièvement la ville de Tan-Tan. Quelques mois plus tard, leurs attaques vont contraindre la Mauritanie à se retirer de la partie du Sahara espagnol qu’elle occupait jusque-là, mais le Maroc va immédiatement intervenir pour récupérer le contrôle de la zone ainsi évacuée.
C’est dans ces conditions difficiles que Dlimi est nommé commandant de la zone militaire Sud avec le grade de général. Après quelques années d’une lutte indécise, il finit par comprendre que la défense statique n’a aucune chance d’aboutir à des résultats durables face à une guérilla toujours très mobile comme celle qu’entretient le Polisario. Il organise alors la création de trois colonnes mobiles composées de 7 000 hommes chacune. Baptisées Uhud (1979), Zellaga (1980) et Al-Arak (1981), ces trois unités vont sillonner le Sahara à la recherche des éléments ennemis tout en utilisant en appui des Mirage 3 français et des F-15 américains. L’autre arme de Dlimi sera le fameux « mur des sables », une gigantesque ligne de fortifications destinée à isoler le « Sahara utile » des attaques de la rébellion. Débutée en août 1980, l’édification de ce « mur », long de plusieurs milliers de kilomètres, va s’étaler en six étapes jusqu’en 1987. Il ne tardera pas à prouver son efficacité, forçant finalement le Polisario à signer un cessez-le-feu en septembre 1991.
En juin 1981, alors qu’éclatent les émeutes de Casablanca, provoquées par la dégradation des conditions de vie de la population dues à l’envolée du prix des denrées alimentaires, le général Dlimi est à Laayoun au Sahara. Il ne participera donc qu’indirectement aux dures opérations de répression qui feront encore une fois plus d’une centaine de morts.
6. Une fin brutale
Alors que débute l’année 1983, le général Dlimi semble parvenu au fait de sa puissance. N’est-il pas entré au conseil de régence en décembre 1981 ? Peut-être s’estime-t-il devenu invulnérable ? On dit en tout cas qu’il lui arrive même de ne plus répondre à certains coups de téléphone royaux !
Dans la soirée du mardi 25 janvier 1983, tandis qu’il sort d’une entrevue avec le roi à Marrakech, et alors qu’il regagne sa villa de Rabat, son véhicule est brutalement percuté par un camion lancé à peine vitesse. Le général Dlimi meurt sur le coup. Le choc est grand dans l’opinion publique, qui soupçonne évidemment un règlement de compte. Toujours est-il que le défunt aura droit à des funérailles officielles célébrées à la grande mosquée de Rabat en présence du prince-héritier Moulay Mohammed et de son oncle Moulay Abd Allah (traditionnellement, le roi du Maroc n’assiste pas aux funérailles).
Dans les jours qui suivent, Hassan II va organiser de main de maître la succession de Dlimi, dont les prérogatives vont être soigneusement partagées entre plusieurs responsables. Le général Hosni Benslimane (1935), commandant de la Gendarmerie royale, conservera son poste mais passera sous l’autorité directe du roi. Le général Abdelaziz Bennani (1931) deviendra pour sa part le nouveau commandant de la zone Sud avec pour mission de poursuivre la lutte contre le Polisario. Enfin, Driss Basri (1938-2007), secrétaire d’Etat au ministère de l’Intérieur depuis 1974, prendra la tête du ministère. Moins flamboyant et plus technocratique que son mentor, il saura cependant se montrer tout aussi efficace que lui. D’ailleurs, à peine six mois plus tard, il organisera sans pitié la chute du clan Dlimi dont tous les membres se retrouveront déchus de leurs fonctions officielles.
Depuis lors, c’est un voile pudique qui a recouvert l’épopée de ce sémillant général qui aura pourtant été l’homme fort du pays pendant près de onze ans.
Bibliographie :
. Arboit, Gérard : L’Affaire Ben Barka, le point de vue des services de renseignement, Note historique n°43, Centre français de recherche sur le renseignement, 2015.
. Burgat, François : L’islamisme au Maghreb, Payot, 1995.
. Leveau, Rémy : Le Fellah marocain défenseur du trône, Presses de la Cité, 1985.
. Marzouki, Ahmed : Tazmamart, cellule 10, Editions Paris-Méditerranée, 2001.
. Perrault, Gilles : Notre ami le roi, Folio, Gallimard, 1990.
. Smith, Stephen : Oufkir, un destin marocain, Pluriel, Hachette, 2002.
. Tobji, Mahdjoub : Les Officiers de Sa Majesté, les dérives des généraux marocains, Fayard, 2006.
Notes :
1 D’après les dires de sa veuve Malika, le général Oufkir aurait été abattu par Ahmed Dlimi en personne.
2 L’UNFP était née en 1959 d’une scission d’avec l’Istiklal. En 1972, une nouvelle scission, cette fois-ci en son sein, donnera naissance à l’USFP.
3 Parmi les principaux représentants des services français au Maroc on trouvait notamment Raymond Sasia. Ancien garde du corps du président de Gaulle et directeur du centre de tirs de Rabat, il fut l’un des principaux responsables de la sécurité personnelle du roi Hassan II entre 1972 et 1999.
Crédit photographique : Carte de l’Afrique du Nord datée du milieu du 19ème siècle, cartotecadigital.icc.cat, Institut Cartogràfic de Catalunya [via Wiki Commons]. Comme on peut le voir, elle attribue une large partie du Sahara au sultanat du Maroc.
Source: devirisillustribusblog
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