Les journalistes parlant des manifestations restent derrière les barreaux.
Le présent article est le second d’une série de deux sur la répression des médias et les “fake news” au Maroc. Il a été écrit en collaboration avec Access Now. La première partie se trouve ici.
Le mouvement contestataire Hirak a commencé à gagner du terrain après la mort de Mohsin Fekri, un vendeur de poissons dont la marchandise avait été confisquée par la police à Al Hoceima le 29 octobre 2016. Quand le jeune homme avait tenté de récupérer son poisson, il avait été happé par la benne d’un camion de ramassage d’ordures.
Les manifestations hebdomadaires de protestation contre la stagnation socio-économique et les fonctionnaires corrompus dans la région du Rif, longtemps négligée par le gouvernement central, étaient persistantes jusqu’à ce que les autorités lancent une violente répression en juin 2017, avec l’arrestation de plus de 400 activistes et manifestants.
Le mouvement déclencha aussi un retour de bâton pour les journalistes indépendants et tous ceux qui entendaient documenter la contestation et la répression qui l’a suivie. Au moins sept journalistes indépendants furent arrêtés pendant qu’ils suivaient les manifestations. Selon le Comité pour la protection des journalistes, trois sont encore derrière les barreaux pour leur couverture du Hirak.
Hamid El Mahdaoui, qui dirigeait le site d’information Badil.info avant d’être arrêté, purge une peine de trois ans d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable par la Cour d’appel de Casablanca en juin 2018 de “défaut de signalement d’un crime mettant en danger la sécurité nationale’’, en raison d’une conversation téléphonique (dont un enregistrement officiel a été obtenu par une mise sur écoute) entre lui-même et un militant antimonarchiste installé aux Pays-Bas, au cours de laquelle le militant détaillait un plan pour introduire des armes dans le pays.
El Mahdaoui avait déjà passé un an en prison après une condamnation pour “incitation” à manifester. Il a été arrêté le 20 juillet 2017 dans la ville d’Al-Hoceima où il était venu couvrir les manifestations du Hirak.
Le journaliste citoyen Mohamed El Asrihi, rédacteur en chef et directeur de Rif24.com, un site web de média citoyen local qui a fourni une couverture extensive des manifestations à Al Hoceima et dans d’autres villes, purge cinq années de prison. Le même tribunal l’a reconnu coupable en juin 2018 d’ “atteinte à la sécurité interne du Maroc par la réception de dons et de financements pour des activités et de la propagande mettant en danger l’unité et la souveraineté du Royaume du Maroc et la loyauté de ses citoyens”, ainsi que de “participation à des manifestations non autorisées”, “provocation contre l’unité du royaume”, “injures contre des agents publics”, et “usurpation de la qualité de journaliste sans détenir l’accréditation nécessaire”.
Les journalistes qui n’obtiennent pas l’accréditation — la “carte de journaliste professionnel” délivrée par le Conseil national de la presse, qui supervise le secteur d’activité — ne bénéficient pas des mêmes protections que ceux qui sont reconnus “journalistes professionnels”. Pour obtenir l’accréditation, les journalistes doivent avoir un diplôme universitaire. Le journalisme doit être leur profession première et leur principale source de revenus, et ils doivent avoir un casier judiciaire vierge. La carte doit être renouvelée chaque année. Des conditions qui excluent les journalistes citoyens qui peuvent ne pas pratiquer le journalisme comme source de revenus, ainsi que ceux qui ne sont pas diplômés ou n’ont pas fréquenté l’université.
Mais même pour les journalistes considérés comme “professionnels”, les protections juridiques sont limitées. Si en 2016, le parlement marocain a adopté un nouveau code de la presse qui éliminait des peines d’emprisonnement, les journalistes et les médias risquent toujours des amendes en cas de “diffamation” de ministres du gouvernement (article 81), de diplomates étrangers (article 82), d’institutions étatiques et agents publics (article 84). En outre, les journalistes continuent à être poursuivis et emprisonnés en application du code pénal qui contient des dispositions punissant de prison et/ou d’amendes ceux reconnus coupables de “nuire” à l’Islam, à la monarchie, ou d’incitation à des activités allant à l’encontre de l’intégrité territoriale du pays.
Tout ce dispositif rend la tâche difficile aux médias indépendants pour contrer les campagnes endémiques de désinformation, en particulier celles qui ciblent les personnes menacées à cause de leur militantisme et de leur travail d’information sur le Hirak et d’autres événements qui comptent pour le public.
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