Par Btisam Akarkach
La mort d’un poissonnier, Mouhcine Fikri, a provoqué une rébellion populaire dans le nord du Maroc. Depuis six mois, les Marocains descendent dans la rue pour manifester contre la politique de leur gouvernement. MO* s’est entretenu avec un des leaders du mouvement populaire du Rif, Nasser Zafzafi.
Les manifestations du Rif ne laissent pas les Marocains d’Europe indifférents. À la suite des contestations sociales, plusieurs comités ont vu le jour en Europe (en Belgique, Norvège, Pays-Bas, Espagne, France et Allemagne) pour soutenir le mouvement populaire de la région du Rif.
Ce 8 avril 2017 avait lieu le premier rassemblement européen de ces comités. Ils reconnaissent n’en être qu’à leurs débuts, mais déclarent se consacrer entièrement aux préparatifs nécessaires pour soutenir la région du Rif dans différentes matières. Ces comités européens seront d’une importance capitale pour la cause rifaine, cela ne fait pas le moindre doute. En effet, 30 % des Rifains ont émigré en Europe.
MO* s’est entretenu avec l’un des leaders du mouvement populaire du Rif, Nasser Zafzafi.
Diverses vidéos des protestations du Rif circulent sur les réseaux sociaux. La plupart sont des enregistrements de vos discours. Pouvez-vous brièvement nous dire qui vous êtes et quel est votre rôle dans cette révolte populaire ?
Nasser Zafzafi : Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour cette interview nécessaire. Si je dis nécessaire, c’est parce que l’État marocain emploie ses journalistes pour contrer ces manifestations pacifiques. Pour la réprimer, l’État assombrit et manipule la réalité. Il a une phobie du journalisme objectif et entrave la diffusion d’informations honnêtes.
‘L’État marocain a une phobie du journalisme objectif et entrave la diffusion d’informations honnêtes’
Je m’appelle Nasser Zafzafi et je suis, comme les autres personnes qui défilent dans la rue, un simple citoyen. Comme eux, je subis la même humiliation et la même injustice persistantes dont cet État se rend coupable jour après jour. L’État et sa politique ont entraîné la mort de notre camarade Mouhcine Fikri. L’État marocain poursuit une politique de répression économique, sociale et culturelle des Rifains. Aujourd’hui, nous répétons : c’en est assez !
Je suis donc, en bref, un Rifain de la province d’Al-Hoceima et je ne suis pas d’accord avec cette tyrannie qui perpétue cette dynamique de la violence.
Vous parlez de revendiquer des droits. De quoi s’agit-il, concrètement ?
Nasser Zafzafi : Il s’agit de droits qui reviennent à la population du Rif. D’exigences d’ordre économique, politique et culturel prévues par la loi, à savoir la création d’emplois, d’hôpitaux équipés en état de fonctionnement, d’une université où les gens puissent étudier.
De plus, la région du Rif est considérée comme une zone militarisée depuis l’indépendance du Maroc, proclamée en 1956. À tout moment, l’armée a son mot à dire dans la région. On peut la comparer à une zone de guerre où l’armée peut se déployer dès que le roi le souhaite. Et seul le roi peut abroger cette loi. C’est pourquoi nous exigeons explicitement la levée de la militarisation du Rif. Nous avons compilé toutes nos exigences dans un dossier qui a été remis à l’État.
Zone militarisée
En octobre, les manifestations avaient pour motif la mort de Mouhcine Fikri. L’attention semble aujourd’hui dirigée contre la militarisation du Rif. Est-ce que les manifestations populaires d’aujourd’hui ont changé d’objectif?
Nasser Zafzafi : Leur objectif n’a certainement pas changé, mais n’oublions surtout pas la cause de la mort de Mouhcine Fikri. La politique menée dans le Rif est à l’origine de son destin tragique. Cette stratégie n’est pas comparable à celle poursuivie à Rabat, Fez, Casablanca …
Cette affaire a débuté fin octobre dans le port de pêche d’Al-Hoceima. Mouhcine Fikri y a été arrêté avec son chargement d’espadons au sortir du port. Effectivement, la pêche à l’espadon est interdite au Maroc en cette saison, mais les autorités corrompues ferment pourtant les yeux à Al-Hoceima et dans les autres ports marocains. Il existe un marché pour cette espèce de poissons.
‘Nous exigeons la fin de la corruption. Nous exigeons de l’emploi, une université, des hôpitaux équipés …’
Vous devez par ailleurs savoir que Mouhcine n’avait pas pêché ces poissons, mais qu’il les avait achetés dans le port, sous les yeux attentifs des autorités locales ! Puisqu’il refusa de leur payer un pot-de-vin, ils ont voulu l’humilier et détruire sa marchandise dans un camion à ordures, pour faire étalage de leur position de force. Le jeune homme et ses amis ont alors sauté dans la benne pour protester. L’agent cria ‘Broie cet idiot’. La benne fut mise en marche et Mouhcine le paya de sa vie.
Avec nos manifestations, c’est le système que nous dénonçons. Ceux qui refusent de verser dans la corruption se voient éliminés d’une manière ou d’une autre. De plus, les autorités peuvent très facilement brider le mouvement, quand vous savez qu’elles n’ont aucunement l’intention de légaliser quoi que ce soit dans la région. Dans le cas de Mouhcine Fikri, le motif était l’interdiction de pêcher l’espadon à cette période. La question que nous devons nous poser, c’est pourquoi Mouhcine a-t-il eu la possibilité d’acheter ce poisson malgré l’interdiction ? Et pourquoi cet espadon est-il disponible librement à Tanger, Fez et autres villes du Maroc, à cette même période ?
Pour éviter d’autres victimes, nous avons rédigé des revendications concrètes. Nous exigeons la fin de cette politique de corruption. Nous exigeons des emplois, une université, des hôpitaux équipés … Ce sont ces revendications simples qui réunissent les Rifains aujourd’hui.
La mort de Mouhcine a été la goutte qui a fait déborder le vase, qui a mobilisé la population à descendre dans la rue pour manifester contre les politiques qui sont non seulement corrompus et agressifs, mais qui délaissent aussi systématiquement la région et la forcent à l’isolement.
Pression de l’État
Ces revendications sont-elles entendues ? Avez-vous pu dialoguer avec les autorités ?
Nasser Zafzafi : Cela fait près de six mois que nous manifestons. Près de six mois que nous faisons pression sur les autorités pour qu’elles réagissent. Nous n’avons reçu aucune réaction à notre dossier. L’État ne veut pas d’un dialogue. Il craint les révoltes sociales parce que les manifestants n’ont pas d’ambition politique. Il nie leur existence dans l’espoir que les actions de protestation s’essoufflent.
L’État et ses lobbyistes veulent rendre la région invivable, nous forcer à émigrer. Les autorités n’ont jamais porté cette province dans leur cœur. Et encore moins depuis l’indépendance du Maroc. Notre province est démocratique, elle ne tolère ni corruption, ni injustice. Voilà pourquoi l’État déploie ces forces incroyables pour réprimer la province d’Al-Hoceima.
Quelle proposition constructive de l’État attendez-vous, au juste ? Qu’est-ce que les autorités marocaines pourraient offrir ?
‘Le Maroc aime se présenter comme un pays démocratique en plein essor, comme un pays qui connaît une nouvelle ère démocratique et qui a laissé la sombre ère d’Hassan derrière lui. Voici le visage hypocrite que le Maroc présente au monde extérieur.’
Nasser Zafzafi : Un dialogue, pour commencer. Puisque les protestations sociales et les manifestations ne sont pas bien vues au Maroc, il ne faut pas compter trop vite sur la collaboration de l’État. Cette révolte populaire inquiète les autorités élitistes parce qu’elle expose de nombreux points douloureux. La génération qui se soulève aujourd’hui ne connaît pas la peur. Elle fait ressortir la véritable nature du Maroc. Le Maroc aime se présenter comme un pays démocratique en plein essor, comme un pays qui connaît une nouvelle ère démocratique et qui a laissé la sombre ère d’Hassan derrière lui. Voici le visage hypocrite que le Maroc présente au monde extérieur.
Cette révolte populaire prouve que le Maroc n’est qu’un théâtre de marionnettes. Aux autorités, nous clamons haut et fort : assez de cette animosité envers la population marocaine. Assez de ces humiliations et de cette hypocrisie. Il est désormais urgent d’entamer le dialogue avec la population marocaine, ses revendications doivent être concrétisées. Et la politique extravagante que l’État mène dans le but d’étouffer encore plus les habitants de la région du Rif doit cesser immédiatement ! Cette province ne supportera pas encore plus de marginalisation et de destruction.
Mouvement populaire
La province d’Al-Hoceima a-t-elle aussi un comité qui dirige cette révolte ?
Nasser Zafzafi : Non. C’est justement là la force de la révolte. Chaque personne qui sort de chez elle le fait en tant qu’individu. Aucune organisation ne guide ou ne motive les citoyens. C’est la situation misérable des Rifains qui les pousse à sortir en nombre dans la rue.
‘Nous formulons nos exigences lors de manifestations et de rassemblements publics. Maintenant, c’est au tour des autorités de venir nous parler.’
Nous sommes un mouvement populaire, tout le monde est bienvenu. Aucune idéologie ne prévaut sur une autre. C’est notre discours. Nous formulons nos exigences lors de manifestations et de rassemblements publics. Maintenant, c’est au tour des autorités de venir nous parler. Mais la seule forme de communication de l’État, c’est la violence qu’il nous adresse.
Dans divers États européens, des comités de suivi et de soutien des protestations populaires du Rif ont vu le jour. Quel rôle la diaspora peut-elle jouer ?
Nasser Zafzafi : Avant toute chose, les émigrés marocains doivent se demander pourquoi ils vivent à cet endroit précis. L’Europe avait besoin de main d’œuvre, certes, mais il ne faut pas oublier l’histoire qui a précédé cette migration.
C’est pourquoi nous nous adressons en premier lieu aux Marocains de la première génération. À ceux qui, jeunes hommes, sont partis dans les années soixante et septante pour “un travail temporaire”. Ceux qui sont partis plus tard pour l’Europe avec, par exemple, un visa étudiant ou de rassemblement familial font évidemment aussi partie du mouvement. Ils suivent les événements de notre pays. Ils ont créé les comités. Mais les Marocains de l’ancienne génération doivent prendre leurs responsabilités et se défaire de leurs angoisses. Ils doivent raconter à leurs enfants, à leurs petits-enfants la souffrance des années Hassan, qui était responsable de la faim et de l’angoisse qu’ils ressentaient. C’est cette pression qui les incita à émigrer.
Notre mouvement populaire ne les renie pas. Pendant les vacances d’été, nos compatriotes émigrés viennent ici, leur ticket pour le Maroc leur coûte souvent plus cher que pour un autre pays.
Quand ils arrivent en voiture ou en bus aux ports, ils sont traités de manière inhumaine, comme dans les aéroports.
Quand ils veulent régler leur affaires ici, comme les héritages ou autre, aucune institution ne les oriente. Au contraire : au Maroc, les autorités exigent des pots-de-vin pour tout. Pour l’État, l’unique intérêt qu’ils représentent, c’est l’argent qu’ils apportent dans leurs valises ou envoient au Rif. Argent que l’État s’empresse de rafler. Sérieusement, est-ce là le suivi que le Maroc propose à des sujets qui lui rapportent des milliards ?
Faire du bruit
Nasser Zafzafi : Nous demandons également aux Marocains de la diaspora de se mobiliser dans les pays où ils résident. De se montrer pendant les manifestations. Non seulement pour eux-mêmes, mais aussi par solidarité avec les Rifains au Maroc. En tant qu’activistes pour les droits de l’homme, nous leur demandons de dénoncer l’injustice. Ici, ils ont de la famille, des proches dans le besoin qu’ils soutiennent et qu’ils font même émigrer en Europe. Pourquoi ? Si l’État prenait ses responsabilités dans le Rif et lui permettait de se développer, il libérerait sa diaspora d’un grand poids financier.
Ceux des plus jeunes générations de la diaspora envisagent différemment la protestation. Ils s’organisent avec les jeunes d’ici qui descendent dans la rue, ils se motivent les uns les autres pour participer aux manifestations sociales pendant les vacances d’été.
Dans certaines mosquées d’Europe, on entend dire que nous faisons du bruit pour perturber la tranquillité de la région. Nous savons que certains imams en Europe travaillent pour les services de renseignement marocains. Ils récitent ce que le gouvernement marocain leur dicte. Ils ne sont pas démocratiquement élus par les musulmans européens. Ils ne connaissent même pas la société européenne. Nos compatriotes doivent oser s’opposer à ces pratiques. Chez nous, les protestations sociales sont pacifiques.
Qu’avez-vous prévu pour les Rifains européens qui seront encore une fois nombreux à revenir, cet été ?
Nasser Zafzafi : Du thé, des biscuits et un accueil chaleureux (rires). Nous allons bientôt convoquer des réunions et des rassemblements dédiés à l’organisation de l’été. Nous proposerons un programme à nos compatriotes de la diaspora. Nous voulons que d’une part, ils puissent comprendre ce qu’il se passe dans notre région, mais d’autre part aussi leur offrir une plateforme où ventiler leurs propres revendications. Nous devons travailler ensemble.
Concrètement, que peuvent faire les Marocains d’Occident pour renforcer davantage encore les protestations dans la région ?
Nasser Zafzafi : Les journalistes d’origine marocaine ou rifaine peuvent commencer par suivre la situation de la région et la rapporter objectivement. Il s’agit là de droits de l’homme, pas de chauvinisme. Au Maroc, les journalistes sont censurés. Sous pression, ils doivent publier des mensonges sur la révolte. Le rôle des journalistes européens est donc crucial pour notre cause marocaine.
Comme vous l’avez mentionné, plusieurs comités ont été créés en Europe à la suite de cette révolte. Des rassemblements ont lieu en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark, en Norvège … Ralliez-vous. Nous partageons une même cause. L’Europe n’est plus ce qu’elle était. Sa prospérité n’est plus ce qu’elle était. Ces protestations donnent aux Marocains d’Europe la liberté de se sentir chez eux dans leur pays d’origine.
Solidarité éphémère
Peu après le décès de Mouhcine Fikri, beaucoup de marches de solidarité ont été organisées dans tout le Maroc. Peu à peu, les protestations se limitèrent au Rif. Comment l’expliquez-vous ?
Nasser Zafzafi : Les Marocains ont manifesté leur solidarité avec Mouhcine Fikri. Ils ont exprimé leur mécontentement envers l’État marocain. L’État a vite réagi en affirmant que nous étions partisans du séparatisme, que l’Algérie nous a instrumentalisés dans le cadre du Front Polisario, que nous voulons faire du Maroc une seconde Syrie. C’est absurde ! Au contraire, nous voulons plus de démocratie, nous voulons la possibilité de vivre et de travailler comme en Norvège et au Danemark, où le peuple est libre de ses mouvements. Au moyen de leur politique étouffante et corrompue, les autorités veulent faire de notre pays une Syrie. Cette politique est responsable du taux de suicide élevé du Maroc, bien qu’il refuse fermement de le reconnaître.
‘Mais les personnes sont constamment intimidées et menacées de mort, elles n’osent donc plus se rebeller.’
Et bien sûr, l’ensemble du Maroc a des problèmes. Mais les personnes sont constamment intimidées et menacées de mort, elles n’osent donc plus se rebeller. Il y a deux mois, un homme a succombé à des coups de matraques à Kenitra, parce qu’il revendiquait ses droits dans un bureau de police. Autre exemple à l’intérieur du pays : celui d’une femme qui vendait du pain dans la rue et perdu elle aussi la vie pour avoir invoqué ses droits.
Les gens ont peur et ne sont par conséquent pas unis. Ils descendent quand même dans la rue, mais la cohérence leur fait défaut. Dans la région du Rif, la cohérence est bien présente. De plus, nous partons de notre propre réalité, nous avons des demandes spécifiques à notre région.
L’humiliation et la corruption posent en fait un problème dans l’ensemble du pays ?
Nasser Zafzafi : Évidemment. Mais bien que l’humiliation et la corruption soient devenues la norme, cela ne veut pas dire que nous devons les accepter. Ni chez nous, ni ailleurs. Nous, les Rifains, nous ne nous mettons pas à genoux. Nous sommes des citoyens démocratiques et libres qui connaissent bien leurs droits et ne tolèrent aucune humiliation.
Quel est le rôle exact de l’armée ?
Nasser Zafzafi : L’armée marocaine s’entraîne spécialement pour son travail dans cette région-ci, dans le Rif. Les soldats sont sélectionnés en-dehors du Rif et se font d’abord endoctriner. Une fois leurs esprits bien échauffés, ces forces de l’ordre sont envoyées dans la région, où elles s’en donnent à cœur joie. Les soldats énoncent des propos racistes, tapent dans tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin, volent dans les magasins, humilient les simples citoyens … Nous connaissons bien cette stratégie, au Maroc.
‘Au Maroc, provocation et manipulation sont monnaie courante’
Malgré tout, nous les traitons avec respect. Nous épargnons leurs voitures, leurs maison, leurs bureaux lors de nos manifestations. Pourquoi ce respect n’est-il pas réciproque ? Parce que c’est leur protocole : nous provoquer, c’est leur tâche. Au Maroc, provocation et manipulation sont monnaie courante. Une dictature réserve ce même traitement à ses sujets. Elle ne soigne que sa petite élite tandis que le peuple n’a qu’à se soumettre. Ce pays est construit sur ce mécanisme.
La différence avec le mouvement du 20 février
D’après vous, en quoi la révolte actuelle diffère-t-elle du Mouvement du 20 février ?
Nasser Zafzafi : Le Mouvement du 20 février touchait l’ensemble du Maroc. La différence aujourd’hui, c’est que la révolte trouve son origine dans la mort de Mouhcine Fikri. Ce qui explique pourquoi le mouvement est si enraciné dans la province. Ce mouvement social de protestation demande explicitement pourquoi la région ne reçoit pas un traitement égal au reste du Maroc.
Autre différence : le Mouvement du 20 février remettait avant tout le pouvoir de la monarchie en cause, dans la lignée du Printemps arabe. Nous ne le faisons pas, nous exigeons des fonctionnaires d’État qu’ils prennent leurs responsabilités.
En outre, ce mouvement populaire est pacifique. C’est primordial. Avant nos manifestations, nos agents de sécurité se tiennent prêts, on les reconnaît à leur gilet fluo. Il s’agit d’une initiative populaire. Ces agents assurent la sécurité des manifestants, mais aussi des services du gouvernement, des commerçants, des services de police, des voitures, des écoles … Cette différence est importante.
J’ai remarqué que ce mouvement trouve écho chez les femmes, qui y sont bien représentées. Comment cela se fait-il ? Qu’est-ce qui les motive ?
Nasser Zafzafi : Les femmes ont tout de même aussi le droit d’étudier, de travailler, de bénéficier de soins de santé … ? N’oublions pas que la majorité des personnes sans emploi sont des femmes. Souvent, les femmes sont également le moteur de la famille ; quand elles s’impliquent dans un projet, toute la famille suit. Ce mouvement populaire doit son succès à nos mères, qui sont descendues nombreuses dans la rue sans organisation ou institution. À l’occasion de la journée internationale des femmes, le 8 mars, beaucoup de femmes ont réaffirmé leur engagement dans le mouvement.
‘Ce mouvement populaire doit son succès à nos mères, qui sont descendues nombreuses dans la rue’
Les protestations ont-elles déjà apporté un changement ?
Nasser Zafzafi : Les autorités ont perdu le nord. Le mouvement de protestation continue de grandir. Elles ne s’y attendaient pas. L’État ne s’en tient pas à des informations, intimidations et menaces.
L’armée est déployée dans la région, la police est plus présente dans les rues, les autorités s’infiltrent un peu partout, et j’en passe. La région grouille. Tous ces agents ne sont pas ouverts au dialogue.
Leur objectif est d’effrayer la population.
Les gens ne se laissent pas intimider. Ils continuent de défiler dans la rue, filment les événements avec leur smartphone pour démentir les mensonges des médias de l’État. Les smartphones fournissent des preuves importantes.
Récemment, une manifestation pacifique menée par des écoliers d’Imzouren (Al-Hoceima) a été interrompue par les forces de l’ordre, qui ont eu recours à la violence. Les locaux (de la police) ont été incendiés, les policiers se sont réfugiés sur le toit. Les citoyens se sont précipités pour leur porter secours, pour éviter le drame. Ainsi travaillent les autorités : elles créent le chaos pour ensuite blâmer le mouvement de protestation.
Pas de désir de dialoguer
Désormais, le gouverneur de la région Tanger-Tétouan-Al-Hoceima, Mohamed El Yaacoubi, parcourt les rues d’Al-Hoceima pour les caméras des médias d’État, pour feindre une forme de rapprochement. Les vidéos réalisées par les citoyens démontrent qu’il n’est absolument pas ouvert au dialogue. Il évite les questions des revendications ou celles qui concernent le mouvement de protestation.
‘Ses habitants nourrissent un espoir de changement. Si nous continuons à manifester pacifiquement et si nous continuons à propager notre histoire, je suis certain que nos revendications seront entendues’
Que prévoyez-vous à long terme pour le Rif ? Comment envisagez-vous l’avenir ?
Nasser Zafzafi : Tout d’abord, nous pouvons déjà dire que cette révolte est fructueuse. Elle a réuni la région du Rif et elle est parvenue à ce qu’hommes et femmes osent revendiquer sereinement leurs droits et dénoncer l’État corrompu.
Ce mouvement populaire a réussi à éveiller pour la première fois un vif intérêt en Europe pour la situation du Maroc et du Rif. Voilà pourquoi ce mouvement, c’est aussi notre avenir. Avant la création du mouvement populaire, le suicide était fréquent chez les jeunes. Depuis l’avènement du mouvement populaire, je n’ai plus entendu parler de suicide dans la région. Ses habitants nourrissent un espoir de changement. Je vois un avenir positif pour la région, pour le reste du Maroc et pour sa diaspora. Si nous continuons à manifester pacifiquement et si nous continuons à propager notre histoire, je suis certain que nos revendications seront entendues.
Traduction : Marie Gomrée
Source : Mondiaal Niews, 25 avr 2017
Tags : Maroc, Rif, Hirak, Nasser Zefzafi,