Les messages politiques fondamentaux exprimés ce vendredi par la rue s’adressaient en substance à un seul homme : Gaïd Salah. Par la force des événements, le chef d’état-major focalise l’attention de tout un peuple à la recherche d’une rupture réelle.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Gaïd Salah n’est ni adulé, ni acclamé, ni foncièrement rejeté ou décrié. Son nom ne figure ni parmi la liste des personnes appelées à être «jugées» pour avoir conduit le pays à l’impasse ni parmi ceux des héros dont les portraits sont portés par les manifestants. Dans les quatre coins du territoire national, les Algériens observent, attendent, et savent surtout ce qu’ils veulent.
Unis autour d’un mot d’ordre principal «dégagez tous», ils n’ont pas laissé l’impatience des jeunes entraver un processus dans lequel le chef d’état-major a été amené à jouer le rôle central. Il affirme avoir su capter les messages de fraternité lancés par des millions de citoyens à l’ANP lorsque ces derniers sont descendus dans les rues réclamer l’annulation du cinquième mandat, la démission immédiate de Abdelaziz Bouteflika, et désigner les responsables du «pillage du pays».
Alors que la tension atteignait son paroxysme, en raison de la résistance du président de la République et de sa détermination à conduire l’étape de transition à venir, Gaïd Salah entre en jeu de manière inattendue et se propose de répondre aux aspirations populaires en appliquant l’article 102. La première annonce qu’il en fait n’engendre pas de liesse au sein des foules. Les avis sont partagés : «ANP et peuple sont frères» et «Article 102, mais sans eux», scandent les manifestants le vendredi qui suit le premier discours fait à partir de Ouargla. Un grand scepticisme règne.
Les Algériens sont surtout conscients qu’arracher Bouteflika de son siège présidentiel et chasser son clan n’est pas chose facile. Au cours des deux vendredis suivants, ils exigent «l’application de l’article 102, 7 et 8». La «souveraineté populaire» est un élément central, indiscutable. Le mouvement qui s’est mis en place le 22 février dernier s’est fixé le «changement» radical, fondamental comme objectif et entend mener la transition selon les règles qu’il s’est fixées.
Dans le contexte actuel, sa soudaine arrivée sur la scène politique a poussé plusieurs acteurs politiques figurant dans l’opposition à émettre de sérieuses réserves essentiellement basées sur la crainte de voir le processus en cours se transformer en scénario à l’égyptienne. Comme tous, ils attendent aujourd’hui d’être fixés, puis, en quelque sorte, rassurés sur les intentions de Gaïd Salah.
Chaque fait, ou terme prononcé est analysé, décortiqué. Pour l’heure, celui-ci répond par des engagements, qui se veulent aussi être des assurances, basés sur le strict respect des textes et laisse entendre que le scénario à l’égyptienne ne fait pas partie de ses intentions. Mais Gaïd Salah n’attire pas que des critiques. Au sein des sphères ayant gravité de longues années autour du clan présidentiel, des voix s’élèvent déjà pour chanter la gloire du nouvel homme du moment. Se laissera-t-il griser par les anciens soutiens de Bouteflika ?
Dans ses engagements, le chef d’état-major affirme être entré en scène en réponse aux aspirations des Algériens. Sachant que l’application de l’article 102 n’en est qu’à sa première étape, il lui faudra, de ce fait, aller encore plus loin dans sa démarche.
Vendredi, les manifestants ont rejeté par avance l’arrivée de Bensalah à la tête de l’État pour une période déterminée. Ils n’ont laissé aucune chance non plus à Belaïz, Bedoui et tous les membres du nouveau gouvernement car étant impossibles à associer à une véritable transition. Mais une transition menée par le chef d’état-major est-elle aussi possible ? Jusqu’où ira la réponse de Gaïd Salah à la rue ?
A. C.
Le Soir d’Algérie, 7 avr 2019
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