Ce vendredi, acte 7 d’une véritable révolution menée par les Algériens, la rue n’est pas sortie fêter son premier week-end sans Abdelaziz Bouteflika. Elle réclame à présent le départ de tout le système, des symboles, surtout, des années de «pillage» et de mauvaise gestion ayant conduit le pays à la crise.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Pour ce, un véritable tribunal populaire s’est mis en place dans les rues du centre-ville envahi très tôt par les manifestants. La place Audin et la rue Didouche-Mourad vibraient en effet dès les premières heures de la matinée sous l’effet d’une sorte de frénésie, d’impatience de «démarrer» la grande protestation hebdomadaire. Et tous se sont, comme de coutume, préparé en adaptant les messages à transmettre en fonction des dernières évolutions.
De ces messages, on en déduit que la démission du président de la République n’est pas le seul facteur ayant conduit à l’incroyable mobilisation observée hier, mais que le sentiment de «réconfort», d’avoir obtenu gain de cause, d’avoir franchi le premier écueil (le plus symbolique surtout) a entraîné une foule encore dense qu’auparavant. Il faut dire que la capitale a enregistré une très grande affluence de citoyens venant d’autres wilayas du pays et que même si l’arrivée de ces derniers a été retardée par les barrages dressés autour d’Alger, tous, ou presque, ont pu finalement rejoindre les lieux de rassemblement.
Ici, beaucoup ont la fierté d’annoncer le nom de la ville d’où ils arrivent : «Je viens de Chlef, c’est mon septième déplacement depuis le 22 février dernier», lance un jeune. A lui seul, il résume l’état d’esprit qui règne actuellement au sein de la population.
«Depuis que les gens sortent réclamer leurs droits, nous n’avons plus enregistré un seul harraga là-bas, les candidats à l’aventure en mer viennent à Alger chaque vendredi.
On n’ira pas dans les prisons espagnoles ou italiennes, maintenant c’est à eux de se retrouver derrière les barreaux.» Trois hommes venus spécialement de Grande-Bretagne pour soutenir le mouvement boivent littéralement les paroles de ce jeune. Ils sont sous le coup de l’émotion.
«On est tellement fiers, comment rater un tel événement», dit l’un d’eux. Ils observent les images qui défilent sous leurs yeux en lâchant des commentaires : «C’est hollywoodien», crie l’un d’entre eux en voyant une immense foule amassée autour des portraits des symboles appelés à «dégager». Les noms dont le départ est réclamé sont très nombreux. Bedoui, Belaïz et Bensalah sont caricaturés en bagnards portant de lourdes chaînes. Abdelkader Bensalah est très visé : «Tu ne seras jamais président même pour une heure, rentre chez toi maintenant», scandent les manifestants. Bedoui également : «Fais tes bagages et emmène ta troupe avec toi.»
Le nouveau gouvernement est aussi complètement rejeté. Il faut dire que la ministre de la Culture focalise particulièrement la colère des manifestants. Son départ est exigé, comme tous les autres.
Tous réclament également justice. Des photos grand format de Ali Haddad, Chakib Khelil, Ouyahia sont brandies. L’arrestation de l’ex-patron du FCE et sa mise sous mandat de dépôt a donné lieu à une nouvelle chanson populaire : «Ils ont pris Haddad, guettez les suivants», «On vous l’a dit, nous n’arrêterons pas jusqu’à ce qu’ils partent tous». Des slogans de fraternité avec l’ANP sont très présents. Les messages sont pleins de finesse : «Emmène-les tous en prison, mais le pouvoir c’est nous.»
L’après-midi tire à sa fin. Une dame d’un certain âge est applaudie car elle balaye symboliquement sous une immense pancarte où est inscrit en gras : «Tous, c’est tous.»
A. C.
Le Soir d’Algérie, 6 avr 2019
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