Dans son Istiqçaâ, l’historien Ennaçiri, écrivait :« Face à l’Europe, nous sommes comme un oiseau sans ailes sur lequel fond l’épervier. »Ils furent deux éperviers à fondre sur le Maroc en 1926, lors de l’offensive franco – espagnole dans le Rif.
Après le désastre d’Anoual, Lyautey écrit à d’Ormesson que ses craintes sur le Rif, forts anciennes, n’étaient que fort fondées :« D’un mot, écrit-il, sache que la chose est grave, c’est la caractère national qu’a pris le mouvement. Son chef Abd el krim est un Monsieur très européanisé, qui sait ce qu’il fait, tient son monde, dispose d’une vraie armée et déclare l’indépendance du Rif. »
Lyautey avait espéré jusqu’au bout qu’il pourrait ramener Abd el krim dans le giron du protectorat. Pétain lui, voulait liquider militairement le soulèvement en liaison étroite avec l’Espagne.
Lyautey a compris le ressort dont joue Abd el krim, il ne s’agit pas d’un classique chef de tribu en rébellion contre les français. Il s’agit d’un nationaliste, formé à l’école de l’occident qui s’apprête à utiliser le levier des traditions locales non plus comme un facteur d’ordre – mais comme un facteur de désordre. Il est comme le négatif de Lyautey : un prestige foudroyant se dresse contre le sien.
Un des atouts de Lyautey est l’aviation : arme encore naissante qui trouve dans l’insurrection du Rif, un terrain d’expérimentation sans égal.
« Un nombre considérable d’avions nous survolaient, et bombardaient les positions des Moujahidines par des bombes à gaz asphyxiantes qui décimaient nos rangs par leur poison. » raconte Mohamed Azerkan, l’un des principaux lieutenants d’Abd el krim.
Les bombes contenaient des produits chimiques rayonnant à effet néfaste sur leur santé et leur corps. Rive droite de l’oued Amkran. On l’appelle « Amkran », c’est-à-dire, la grande rivière qui se jette en Méditerranée. Un vieux rifain que nous y avons rencontre se souvient encore: » Il y a par ici des grottes où se réfugiaient les combattants lors des bombardements aériens espagnols.: « Lors des bombardements aériens, nous étions ici. On s’était réfugié là bas dans les grottes. Les avions nous bombardaient. Les bombes étaient petites. On ne pouvait rien faire. Et dans l’eau de l’oued, à la source de l’oued, où nous nous désaltérons, quand tu y laves tes mains ; l’eau est empoisonnée que Dieu nous préserve ! »
Le gaz de type moutarde fourni par la France, est utilisé pour la première fois par l’aviation espagnole contre les populations civiles du Rif.
Peu après le désastre d’Anoual et l’écroulement de tout le commandement militaire de Mililla, en juillet – août 1921, les voix commencèrent à s’élever dans toute l’Espagne – dans la presse, au Congrès – qui réclamaient l’utilisation de tous les moyens offensifs nécessaires, incluant les gaz toxiques, pour en finir avec le mouvement d’Abd el krim, dominer entièrement la zone par les armes et infliger aux rifains un dur châtiment. Dans un article de la correspondania militar (5 septembre 1921), le député parlementaire Crespo de Lara se lamente au sujet de la lenteur ave laquelle s’organisait l’aviation militaire et pourquoi elle n’avait pas encore commencé à employer les gaz asphyxiants. Dans la correspondance télégraphique entre, le ministre de la guerre, le Vicomte de Eza et le Haut commissaire le général Berenguer, en date du 12 août 1921, le premier manifestait qu’il était en train de s’acheter « des composants de gazes asphyxiants pour leur préparation à Melilla », et le second à les emploierait contre les rifains avec « véritable plaisir », pour ce qu’ils avaient fait. La décision de les utiliser paraît remonter à août 1921, peu après le massacre le 9 de ce mois des soldat espagnols à Jebel Aroui comme le rapporte le caïd Haddou dans une lettre à Abd el krim datée du 24 juillet 1922 :« Je t’informe qu’un bateau français a transporté 99 quintaux de gaz asphyxiant pour le compte des espagnols. »
A l’heure où le marché du mercredi d’Ajdir grouillait de monde, les obus commencèrent à tomber depuis le rocher de Nokour. Le débarquement franco – espagnol dans la baie d’Al Huceima eut lieu du 6 au 8 septembre 1926. La division française de l’amiral Hallier, avec le cuirassier Paris, a été mise à la disposition du commandement espagnol. Elle bombarde les organisations de la côte orientale de la baie, pendant que l’escadre espagnole assure la protection immédiate du débarquement.
Un vieux rifain que j’ai rencontré à Ain Zorah chez les Metalsa se souvient encore : « L’homme qui me racontait la guerre du Rif, était âgé de 80 à 90 ans. Je travaillais chez lui comme maçon. Il me racontait l’offensive franco-espagnole chez les Metalsa et dans le Rif. Ils s’étaient préparé et mis d’accord pour exécuter le plan suivant : les français viendraient de Taourirt, et les espagnols de Melilla et de Nador, pour se retrouver ici à Aïn Zorah. Une fois arrivés sur place, les espagnols s’étaient établi à Talaïnt, et les français à Aïn Âmar.
Il me disait : une fois qu’ils nous ont occupé, nous n’avons pu plus rien faire. Etaient arrivés chez nous trois gradés ; l’un était capitaine et les deux autres des commandants.
– Que désirez-vous ? Nous ont-ils demande en arabe.
– On est pour le « pardon », leur avons-nous repondu. On ne vous fera plus la guerre, ni à la France, ni à l’Espagne.
– O.K, aquiessa-t-il; tôt demain ou après demain, chaque foyer doit déposer ici ses armes. Et chaque arme doit être muni de 40 réaux.
– S’il vous plait, pour ce qui est des armes, on peut vous les remettre dés ce soir. Quant à l’argent, ce laps de temps n’y suffira pas. Il faut nous accorder un délais.
– De combien de temps avez-vous besoin ? Nous demanda–t–il.
– Accordez-nous deux mois.
– Non, nous rétorqua-t-il. Je vais vous accorder cinquante jours.
– Ils ne nous suffiront pas.
– Ecoutez, nous dit-il, il ne faut plus revenir là-dessus ! ça sera 40 jours ! Un réau pour chaque jour.
Nous avons commencé à rendre les armes, chaque arme munis de 40 réaux. Ceux qui refusaient de s’exécuter étaient torturés de cette manière : on enfonçait leur tête dans un récipient rempli d’eau salé, et on se mettait à les bastonner. »
Depuis l’occupation Francaise, le Rif est encerclé de camps militaires comme celui au sud de Taza qui etait desservi par train comme s’en souvient cet habitant du cru:
– Ce train reliait Guercif à Midelt. Les voyageurs n’étaient pas transportés dans des wagons comme aujourd’hui. Ils voyageaient sur le toit du train : les marchandises d’un côté, les gens de l’autre. Mon père, que Dieu ait son âme, travaillait au chemin de fer, ici-même. Je l’avais accompagné à Guercif. Je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. C’est vers les années quarante qu’ils avaient enlevé les rails. Plus précisément en 1938 – 1939. Je les vois enlever les rails comme si cela se passait aujourd’hui–même. Ils avaient leur quartier ici ; avec la légion française, les tirailleurs Sénégalais, les goumiers. Il y avait là de quatre à cinq compagnies. Ils étaient restés longtemps ici. Et un beau jour des années quarante, ils ont décampé d’ici, et je ne sais plus où ils sont partis.
Tout le long de la frontière qui sépare la zone française de la zone espagnole, Pétain mobilise les casernes militaires établies par la France lors de son occupation du Maroc au début du 20ème siècle.
Des renforts militaires arrivent de France et d’Algérie et prennent position aux portes du Rif ; à la kasbah de M’soun, à celle de Mérada au bord de la Moulouya d’où s’envolent les escadrilles, à Camp Berteaux, et camp Aïcha chez les Béni Zeroual. A Paris, le haut état major fait prévaloir une autre conception des choses ; la guerre totale, l’éradication d’Abd el krim. On n’est plus dans la logique du protectorat, mais celle des colons, de l’expansion impérialiste à l’ « Algérienne ».
Dans ses lettres à propos de l’offensive dans le rif en 1925, le lieutenant Joubert écrit :
« Nous sommes très près des côtes comme pour mieux les voir. Je les connais déjà ces côtes rouges arides, sauvages, des rochers à pic sur la mer très bleue, nulle habitation que la maison du gardien du phare, c’est un paysage grandiose sous le soleil, un décore pour des contes fantastiques. L’air est doux, c’est le calme et la solitude.
L’offensive a commencé le 12 avril 1925, par une souga chez les Béni Zeroual, à la zaouïa d’Amjout ; ils nous lâchèrent en partie.
Abd el krim voulait le chemin de Fès. Vous pensez quelle victoire pour lui de prendre la ville sainte, la capitale intellectuelle. C’était la reconnaissance certaine de sa puissance, puis de son autorité ; c’était notre défaite. »
Les rifains ne relâchent pas leurs efforts. Dans la nuit du 30 juin 1925, des éléments avancés coupent la voie ferrée pendant quelques heures aux environs de Sidi Abdellah. C’est seulement l’arrivée des renforts de France et d’Algérie qui permettent de rétablir la situation.
La menace sur l’Innaouen se précise dans les derniers jours d’avril, les guérilléros d’Abd el krim pénètrent chez les Branès et multiplient leurs attaques contres les postes et les auxiliaires.
Quand Abd el Krim est arrêté par Lyautey devant Ouazzane et l’Ouergha ; il essaie de rompre les lignes françaises à l’Est, de manière à atteindre Taza.
Dés le 23 juin 1925, Abd el krim entame une violente offensive à laquelle sont consacrés ses meilleures troupes. Les contingents des tribus sous domination française ne tardent pas à rallier les combattants rifains. Des Tsoul et des Branès, dont le territoire est occupé, passent du côté des combattants rifains, au début de juillet 1925.
Au début de l’attaque rifaine, en 1925, le colonel Combay ne dispose que de forces très réduites pour protéger Taza :
« A ce moment, souligne -t-il, la situation est angoissante; la communication avec l’Algérie semble sur le point d’être coupée. Kahf El Ghar a été pris par les rifains, le 19 juin 1925. Les postes de Bou Haroun et de M’sila sont encerclés et subissent de rudes assauts, le premier écrasé par le canon, tombe le 2 juillet, sans qu’on puisse lui porter secours. La dissidence gagne chez les Tsoul. On envisage un instant l’abandon de Taza, mais après un conseil de guerre tenu le 4, le général Lyautey ordonne de garder la ville à tout prix, quitte à évacuer la population civile.
Abd el krim menace Fès, dont il annonce la prise pour 1925. Le maréchal Pétain inquiet de cette poussée puissante du nationalisme, obtient le départ du maréchal Lyautey, hostile à une coopération avec l’Espagne.
Le maréchal Pétain reçoit très vite le commandement des opérations ainsi que des moyens et matériels sans précédents – l’ensemble des troupes françaises au Maroc atteindra 150 000 hommes.
Les conversations franco – espagnoles commencent le 17 juin 1925. Lors de la rencontre le 28 juillet entre Pétain et Primo de Rivera, le principe d’une riposte commune sévère est arrêté. La guerre franco – espagnole du Rif commence.
De son vivant, Abd el krim avait une prison. Ici même ! Pour celui qui refusait d’aller combattre, et d’acheter armes et munitions de ses propres deniers. S’il ne s’exécute pas ; la prison ! La bastonnade ! Cela se passait là bas dans cette maison. La maison que vous avez vu et visité. C’est là ! Lui aussi, il avait aussi un téléphone. Le téléphone le reliait d’ici à Sidi Driss. L’endroit dénommé Sidi Driss. Il parlait à ses adjoints. Mais son vrai téléphone, c’était l’homme : d’ici à Bou Dinar, de Bou Dinar à Anoual, d’Anoual à un autre endroit plus loin. Le message était porté uniquement par la voix humaine. Celui-ci rapporte sur celui- là. C’était un leader. Il avait combattu sur la voie de Dieu. Que Dieu ait son âme.
Abd el krim tentait la jonction entre le Rif et le Moyen Atlas via le couloir de Taza. Dans ses « Lettres du Maroc », le lieutenant Joubert écrit : « Vers le 23 mai 1925, nos premiers renforts arrivaient. Abd el krim avait perdu la partie. Alors, il changea d’objectif et concentra ses efforts en direction de Taza. Il essayait par là, de joindre les Béni Waraïne et les dissidents de l’Atlas. C’était un beau plan, nous étions pris entre deux mâchoires d’une tenaille et nos communications avec l’Algérie étaient coupées. Mais Taza, ne valait pas Fès. »
L’année 1926, d’après la relation de Mohamed Azrkane[1]
« Durant près de quatre ans,la résistance Rifaine aux Espagnols s’est poursuivi d’une manière acharnée de jour comme de nuit. Et c’est finalement l’intervention française en faveur des Espagnols qui a permis à ces derniers de débarquer près d’Ajdir au cap Äbed à la frontière entre les Boukkouya et les Bni Ouariyaghel. Il y avait soixante navires espagnols et Français au large d’ Ajdir, Un nombre considérable d’avions nous survolaient, et bombardaient les positions des Moujahids par des bombes à gaze asphyxiantes qui décimaient nos rangs par leur poison[2]. Tous les armes de destruction massives imaginables ont été utilisées[3]. Et malgré toute cette force de frappe, l’ennemi n’a pu débarquer dans la rade à l’Ouest du cap Âbed, que lorsque les 300 Moujahids l’ont dégarni sur ordre d’Abd-el-krim : vers 2 heures du matin, il a convoqué, le caïd Allal Lamrabti – mort quand les Espagnols ont commencé d’avancer vers Ajdir- pour lui ordonner de se diriger avec ses troupes vers les positions Gzennaya, menacées par l’avancée des Français sur le front Sud. Lorsque son ministre des affaires étrangères lui fait part de cette erreur d’appréciation concernant le système défensif Rifain, l’émir a regretté amèrement sa décision qui a facilité le débarquement des Espagnols , occupant ainsi un front de mer de huit kilomètre en face d’Ajdir. Les Rifains ont pourtant empêché les Espagnols de continuer d’avancer, et ces derniers se sont contentés de consolider les positions acquises. Au vu de ce débarquement espagnol sur la plage, et du rapprochement de l’ennemi des habitations, les Bni Ouariyaghel ont décidé de quitter les lieux avec leurs familles en direction de l’intérieur de leur tribu, laissant derrière eux leurs terres et leurs vergers, qu’ils n’avaient jamais quitté auparavant : il s’agit de mettre à l’abri du viol leur religion et leur famille, car les espagnols avaient la réputation de ne respecter ni l’une ni l’autre, une fois devenus maîtres des lieux. Ils ont surtout occupé les hauteurs qui surplombent la côte, là où vivent la plupart des Beni ouariyaghel. Du haut du mont dénommé « Salloum », de « Dhar Amghran » et du lieu dit dénommé Naqcha, ils ont commencé à tirer sur tout ce qui bouge. Les Moujahids leur ont malgré tout tenu tête durant une année entière.
C’est durant cette période qu’ont eu les pourparlers d’Oujda qui ont précédé par leur échec l’offensive finale et la capitulation d’Abd-el-krim.
Les pourparlers d’Oujda :
C’est le 18 avril 1926, à Camp Berteaux, aux confluences de l’oued Zâ et de la Moulouya, qu’eût lieu le premier contact entre les délégués rifains et les délégués français et espagnols, qui s’étaient rendus dans ce petit poste, tandis qu’une nuée de journalistes s’abattait sur Oujda.
Du côté rifain la délégation était représentée par Azerkan, Chedid et le caïd Haddou.
Le général Henri Simon, chef des pourparlers, côté français, raconte :
« Dans deux entrevues préliminaires à Camp Berteaux et à El Aïoun Sidi Mellouk, dans la première quinzaine de mars 1926, l’Espagne et la France ont posé en principe qu’en aucun cas, elles n’entreraient en relations officielles avec les rifains si ceux -ci n’admettaient pas tout d’abord : la soumission au protectorat, l’éloignement d’Abd el krim, le désarmement des tribus, et la reddition des prisonniers.
L’ultimatum expire le 1er mai. L’assentiment des rifains n’ayant pas été donné ; le 7, les troupes espagnoles et françaises reprennent leur offensive. Sur le refus d’Abd el krim, la parole est restée au canon. C’est tout. »
La discussion a été extrêmement serrée et a nécessité à plusieurs reprises, des interruptions de séance. Les délégués français et espagnols exigent , la prise en possession de gages territoriaux, l’échange des prisonniers, l’éloignement d’Abd el-krim, et le désarmement des tribus. A l’issue de ces premiers pourparlers les délégués Rifains, faisaient venir le correspondant de l’agence Havas et lui remettaient le communiqué suivant :
« à la date du 18 avril, nous nous sommes réunis avec les délégations françaises et espagnoles au Camp – Berteaux. Les conversations ont porté sur six points principaux, parmi lesquels se trouvent :
1. la remise immédiate et avant tous pourparlers officiels des prisonniers.
2. l’avance des troupes espagnols et françaises vers des positions déterminées occupées actuellement par nos troupes
Ces deux conditions ont fait l’objet de discussions laborieuses. Car si nous remettions les prisonniers et si nous acceptons l’entrée des troupes espagnoles et françaises dans une zone déterminée sans coup férir, et qu’ensuite n’intervienne pas un accord, nous serions trompés. De toute façon, nous avons sollicité un délais pour consulter l’émir Abd el-krim. »
Après les résultats négatifs du contact officiel entre les délégués Rifains et les délégués franco-espagnols, Haddou a quitté lundi 19 au matin le poste de Guercif dans l’avion mis à sa disposition par les autorités militaires françaises ; deux heures plus tard il était rendu à Tamassint, à 60 kilomètres au Sud d’Ajdir dans la plaine où sont les campements d’Abd el-krim.
Faute d’accord les négociations d’Oujda ont été interrompues le 6 mai 1926.
L’échec d’une dernière tentative de concertation avec Abd el – krim à Oujda détermine l’assaut final.
L’offensive Franco – Espagnole :
L’échec des pourparlers d’Oujda a entraîné immédiatement, l’offensive franco-espagnole : dés le 7 mai 1926 l’aviation entreprit sur tout le front des reconnaissances et des bombardements massifs sur les rassemblements et les centres importants, notamment sur le poste de commandement du Khamlichi à la Zaouia de Bou Ghileb . Dés le lendemain le 8 mai les troupes françaises et les troupes espagnoles commençaient une offensive conjuguée : les secteurs espagnols d’Alhuceima et de Melilla marchèrent en même temps que l’ensemble de la ligne française. Celles-ci avançait sur plusieurs axes simultanément : à l’ouest depuis Ouazzan et Chefchaouen afin de couper les Jbala du Rif, et plus à l’Est depuis les Mernissa et Taza en direction du Kert.
En réalité l’offensive Franco – Espagnole a commencé dés 1925 et a accompagné comme moyen de pression, les pourparlers d’Oujda, comme l’atteste la proclamation adressée d’Ajdir, le 15 août 1925,par Abdelkrim, aux peuples algériens et tunisien. On peut y lire entre autres :
« Il ne peut venir à l’esprit d’aucun être sensé que nous fassions volontiers la guerre et prenions plaisir à faire couler le sang. Au contraire, et ce qui en témoigne, ce sont les conditions de paix excessivement modérés que nous avons soumises aux puissances : conditions dont le principe essentiel était la reconnaissance de notre indépendance. Si la France et l’Espagne acceptent tant mieux pour elles ; si elles refusent, tant pis ; le sort est toujours contraire à celui qui est injuste.
Quant à la publication faite par ces deux Puissances, de leur ardent désir de conclure la paix, ce n’est qu’une tromperie et une ruse politique pour cacher leur véritable but : nous rendre responsable du prolongement des hostilités, égarer l’opinion universelle du monde musulman et berner leurs Nations qui ont été terrifiés par cette lutte où nous avons déployé nos qualités guerrières. La gratitude et la reconnaissance émue des peuples musulmans récompensent notre glorieuse conduite.
Si ces deux nations étaient sincères, pourquoi verrions nous, aujourd’hui des concentrations de troupes – en nombre toujours croissant – aux limites même de notre pays ? Quiconque veut la paix n’ajoute pas aux atrocités de la guerre l’emploi des bombes asphyxiantes jetées jour et nuit par des aéroplanes sur les routes et les villes paisibles, tuant ainsi les femmes et les enfants dans leurs demeures. Quiconque veut la paix ne manifeste pas sa haine en incendiant les récoltes et en tuant le bétail ; c’est simplement supposer que de tels procédés nous réduiront à mourir de faim et nous amèneront à faire notre soumission.
Ô musulmans, tunisiens et algériens ; ce qui nous est pénible de supporter, c’est de voir vos enfants contraints de nous combattre. Il nous est de même pénible d’être obligé, pour défendre notre indépendance, de nous trouver face à face, sur le champ de bataille, avec nos frères de race et de religion. Ce sont là des faits qui nous troublent profondément et nous remplissent de tristesse. Quatre cinquième des troupes massées sur nos frontières et portant les armes contre nous sont composés de vos fils, ô nos frères,n’est-il pas de leur devoir de se retourner contre nos ennemis associés qui nous persécutent vous et nous, et de se servir contre eux de leurs armes ? Soyons unis pour libérer ensemble notre peuple de l’humiliation et nous obtiendrons notre indépendance.
Musulmans, algériens et tunisiens, dans notre capital sont venus des députations nombreuses de Fès, Meknès, Marrakech, Tétouan et autres villes du Maroc, ainsi que de Tripolitaine, d’Egypte, de Palestine, de Syrie, de l’Irak, de Turquie et de l’Inde.. Chacun de ces pays nous a seouru matériellement et moralement ; nous les aimerons du fond du cœur…Musulmans algériens et tunisiens, le moment est venu pour tous les peuples musulmans, de briser les liens de l’esclavage, de chasser les oppresseurs et de libérer leurs territoires…Ô mes frères algériens et tunisiens, l’heure de notre délivrance du joug de la France est arrivée… »
La maison qui servait de tribunal à Abd el krim chez les Temsamane appartenait à mon père et mon oncle. Ils avaient déménagé, vers une autre maison, à l’arrivée d’ Abd el krim . Une fois tous les vingt jours ou une fois par mois, il venait des Béni Wariyaghel,pour juger les litiges en cours chez les Tamsaman .Un bombardement aérien l’ a surpris un jour en pleine séance . Abd el krim et ses compagnons durent quitter précipitamment les lieux pour se réfugier dans les grottes environnantes. Mais l’avion a pu les atteindre avant qu’ils ne s’abritent. Il y eut des morts et des blessés, Abd el krim n’a pu s’échapper que de justesse.
L’échec des pourparlers d’Oujda a entraîné immédiatement, l’offensive franco – espagnol : dés le lendemain, le 7, le général Bouchit, commandant des forces françaises marcha sur Targuiste.
La liaison étroite s’affirme sur terre comme sur mer. Mais après les premières opérations la jonction des deux fronts ne se fait pas comme prévu : du 17 septembre au 18 octobre , le maréchal Pétain demande en vain, à trois reprises, à Primo de Rivera, de réaliser la soudure sur le Kert. Dés le 7 mai 1926, l’aviation entreprit sur tout le front des reconnaissances et des bombardements massifs sur les rassemblements et les centres importants.
Selon le récit de Mohamed Azerkane : « Les espagnols débarquent près d’Ajdir au cap Âbed à la frontière entre les Béni Bouqiya et les Béni Wariyaghel. Il y avait soixante navires espagnols et français au large d’Ajdir. Et malgré toute cette force de frappe, l’ennemi n’a pu débarquer dans la rade du cap Âbed, que lorsque les 300 Moujahidînes l’ont dégarni sur ordre d’Abd el krim : vers 2 heures du matin, il a convoqué le caïd Allal Lamrabti – mort quand les espagnols ont commencé d’avancer vers Ajdir – pour lui ordonner de se diriger avec ses troupes vers les positions Gzennaya, menacées par l’avancée des français sur le front sud. »
Lors qu’Azekane lui fait part de cette erreur d’appréciation relative au système défensif rifain, l’émir a regretté amèrement cette décision qui a facilité le débarquement espagnol.
Vaincu, Abd el krim se réfugie à la zaouïa de Snada, et consent à traiter si la France s’engage à protéger sa famille et sa fortune.
Le chérif chez qui il a trouvé protection avise en grande hâte le colonel Corap de cette importante résolution, qui expédie à Snada ses deux adjoints, le lieutenant de vaisseau Robert Montagne et le capitaine Suffren.
Abd el krim est un homme d’une intelligence et d’un caractère supérieurs. Même vaincu, acculé à la catastrophe, il demeure digne et grand. Il songe aux conséquences de sa capitulation, aux tribus qu’il a abandonnée. Il appréhende la colère de l’Espagne, avec laquelle il a de si terribles comptes à régler. Il cède enfin et écrit au colonel Corap cette lettre que l’histoire enregistrera :
« J’ai reçu la lettre par laquelle, vous m’accordez l’aman. Dés maintenant, je puis vous dire que je me dirigerais vers vous.. Je sollicite la protection de le France pour moi et pour ma famille. Quant aux prisonniers, je prie qu’on les mette en liberté demain matin. Je fixerai l’heure de mon arrivée demain, avant midi ou à midi. » Mohamed Ben Abd el krim El Khattabi.
La guerre du Rif a commencé à « Dhar Ouberran » en 1921. A partir de là, le baroud des Moujahidines n’avait pas cessé. Abd el krim est resté jusqu’en 1026. Puis il est parti pour ne plus revenir.
Le 26 mai 1926, Abd el krim anxieux, saute à cheval. Il court à Kemmoun pour préparer l’exode des siens. Une automobile les portera à Taza. C’est la dernière étape. On devine à quelles lamentations, il est en butte, et quel déchirement, il doit éprouver. La partie est grave.
Le 27 mai à 2 heures du matin, sous un magnifique claire de lune, dans la nuit toute embaumée de la senteur de cistes, Abd el krim monte à cheval. Les spahis l’entourent. Le silence est absolu. Il s’en va les yeux dans le vide…
Abd el krim dira plus tard, dans une interview accordée au Caire, en 1954 :
« Notre combat a donné aux rifains une fierté, un espoir, une confiance en soi qu’aucune défaite ne pourra effacer. Aujourd’hui, en 1954, la guerre du Rif a 33 ans. J’en ai 73 ans. Mais ni elle, ni moi, j’en suis certain, n’avons épuisé notre vigueur. L’aspiration à la liberté et la détermination de notre peuple dureront au – delà de la puissance de nos oppresseurs. »
Abdelkader MANA
[1] Qadi Ahmed Skirj : Addil al warîf fi mûharabat Rif » selon les declarations de Mohamed Azerkan lors de son exile à el Jadida en 1926
[2] Les escadrilles qui participèrent à l’appui aérien au débarquement employèrent des bombes d’ypérite, gaz toxique destiné à produire des pertes chez l’arrière garde rifane sans que les troupes espagnoles en première ligne du front souffrent ses effets toxiques.
[3] Le poids de la guerre chimique sur objectifs éloigné, retoma sur l’aviation , surtout à partir de 1924. La guerre du Rf sera la première du XXè siècle dans laquelle l’aviation utilisa des gaz toxiques.
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