Algérie, ils ont cru à un soulèvement populaire et ce ne fut que fumé de narguilé

Bouteflika s’estompe

La nouvelle est tombée le lundi 11 mars dernier, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika renonce à un cinquième mandat. Il l’affirme dans un communiqué remis à la presse : « Il n’y aura pas de cinquième mandat et il n’en a jamais été question pour moi, mon état de santé et mon âge ne m’assignant comme ultime devoir envers le peuple algérien que la contribution à l’assise des fondations d’une nouvelle République en tant que cadre du nouveau système algérien que nous appelons de tous nos vœux.

Cette nouvelle République et ce nouveau système seront entre les mains des nouvelles générations… ». Le président algérien reporte sine die l’élection présidentielle prévue pour le 18 avril et il appelle une Conférence : « La Conférence nationale inclusive et indépendante sera une enceinte dotée de tous les pouvoirs nécessaires à la discussion, l’élaboration et l’adoption de tous types de réformes devant constituer le socle du nouveau système que porte le lancement du processus de transformation de notre État-nation… », bref, la clique dont Bouteflika est le pantin, invite les autres cliques à se mesurer pour la rédaction d’une nouvelle constitution. (1)

La veille, le général Gaïd Salah, chef d’état-major des armées, déclarait : « L’armée est la colonne vertébrale de l’Algérie et elle est garante de la stabilité et de la sécurité de la patrie. L’armée « partage » avec le peuple algérien « les mêmes valeurs et principes ». Se rejoignent (…) entre le peuple et son armée (…) tous les fondements d’une vision unique du futur de l’Algérie. » (2)

Il faut comprendre que ce n’est pas tant un constat que dresse le général en chef, mais une menace qu’il adresse aux partis politiques de l’opposition à ne pas se servir de l’agiotage populiste pour ébranler l’État et ses institutions. Le général veut ainsi leur rappeler que dans la rédaction de la nouvelle constitution, ils ne devront pas dépasser le seuil des « réformes » tolérables dans le cadre du système capitaliste qui permet de remettre en cause le gouvernement et ses représentants, mais jamais les institutions et leurs fonctions. Sinon, l’une de ces institutions – l’armée colonne vertébrale – se chargera de rappeler la source de tout pouvoir étatique – qui ne réside pas dans la constitution, mais dans la force et la violence de l’armée comme les Algériens s’en souviennent de l’époque de la guerre civile sanglante (1991– 2002).

L’esquive de Bouteflika

Par cette esquive de Bouteflika, dont on se demande si elle n’était pas planifiée, la guerre des clans opposant différentes factions du grand capital algérien et leurs larbins politiciens entre dans une nouvelle phase critique. (3) Par ce renvoi à une Assemblée constituante pour la rédaction d’une nouvelle constitution, le clan dominant renvoi les autres camps à leurs intrigues. La joute est ouverte entre toutes les factions du vieux FLN, et même ouverte à la pléthore des partis d’opposition « démocratiques » bourgeois. Évidemment, nul clan ne peut repousser ce défi réformiste même si chaque clique comprend que le clan au pouvoir – maître de l’appareil d’État depuis des décennies – jouit d’une longueur d’avance dans l’art d’intriguer… Du « Déjà vu » en Tunisie et en Égypte.

Le bénéfice qu’amène cette proposition est de contenir la guerre fratricide sur le front juridique, bureaucratique, électoraliste, et de désamorcer la grogne populiste que la petite-bourgeoisie fomente espérant troquer son influence sur la populace contre quelques avantages pécuniaires. L’oligarchie, en contrôle de l’appareil d’État, dont l’armée est un pilier, sait bien que de trop laisser la rue s’agiter ne peut que mener à la radicalisation des revendications. Déjà, après trois semaines d’agiotage les slogans ont évolué de : « NON au 5e mandat », à « À bas le régime », puis : « À bas le système » … que cache cette formule ? Serait-ce « À bas le système capitaliste » ?

L’intellectuel Omar Aktouf présente son interprétation de cette revendication : « Les Algériens réclament l’éradication du « système » d’établissement et de reconduction du pouvoir, autant politique qu’économique, « système » qui sévit depuis l’Indépendance. C’est la mise hors d’état de nuire de ce que j’ai personnellement dénommé « système Algérie » en entier qui est demandée. Le peuple manifeste haut et fort son désir de voir cesser cette mainmise continue sur les richesses et les destinées du pays ; il n’en peut plus des jeux de « chaises musicales » de transmission à tour de rôle du pouvoir entre « clans ». » (5) Mais n’est-ce pas le lot de tous les pays démocratiques bourgeois où sévissent les mascarades électorales ? (6)

Le prolétariat algérien ?

Depuis l’amorce de ce mouvement populiste, où la rue n’a eu qu’un rôle de faire valoir et de « chair-à-manifester », le prolétariat algérien est resté sur ses gardes, car il n’a aucun avantage à attendre, ni de cette fronde contre le clan hégémonique, ni du renoncement de Bouteflika, le président zombie, pas plus que de son remplacement via une mascarade électorale convenue. Somme toute, cet agiotage petit-bourgeois pour le partage des prébendes, allocations, postes, et sinécures de l’administration gouvernementale est à cent lieues des difficultés quotidiennes qui confrontent le prolétariat algérien, difficultés qui sont davantage de l’ordre – comme pour les gilets jaunes français et belges – des bas salaires, des taxes et la hausse des prix, de l’emploi, du logement, des transports et de la santé publique qu’à propos de la prestance du chef de l’État.

Encore une fois, dans cette affaire électorale algérienne, comme dans l’affaire du « Printemps arabe », comme dans le mouvement des Gilets jaunes, comme dans tant d’autres mouvements populistes, la petite-bourgeoisie aura démontré son incapacité à diriger un mouvement pour le renversement du pouvoir établi. C’est la leçon que le prolétariat international doit tirer de cette expérience comme des autres qui l’ont précédée depuis la Seconde Guerre mondiale. Tant que le prolétariat en tant que classe sociale, ne se décidera pas à prendre l’insurrection en main, nous assisterons à ces flambées de fumée de narguilé. (7)

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