Ils se sont exprimés hier sur la situation du pays : Lakhdar Brahimi et Ramtane Lamamra, donneurs d’espoir et lanceurs d’alerte
L’ancien diplomate algérien Lakhdar Brahimi s’est exprimé hier sur le contexte politique national actuel et s’est dit prêt à assumer des responsabilités dans le cas où il serait sollicité. Celui qui est désigné pour avoir un rôle important dans l’organisation de la conférence nationale annoncée par le chef de l’Etat a loué les « importantes décisions » prises par Abdelaziz Bouteflika d’annuler le scrutin présidentiel et d’initier un processus de préparation à la transition.
Ces mesures, a-t-il dit dans un entretien à la télévision publique, « traduisent la volonté du peuple » et constituent «une réponse aux revendications du peuple » et à sa frange juvénile en particulier, « sortie spontanément défiler après la lecture du message du Président à la Nation ». M. Brahimi a déclaré avoir discuté avec différentes personnalités de l’opposition et constaté que dans les positions et les convictions qu’il a eu à constater il existe des différences, mais qui ne sont pas profondes. « On peut les surmonter », a-t-il ajouté à condition que la confiance règne. A ce sujet, l’ancien chef diplomate a regretté « le manque de confiance » entre les différents acteurs du champ politique.
« Il faut savoir se rassurer nous-mêmes pour pouvoir avancer et œuvrer à rebâtir la confiance déjà perdue», a poursuivi M. Brahimi en faisant l’aveu que «l’Algérie est à un tournant dangereux et qu’une occasion nous est offerte pour bâtir et d’aller vers une 2e République». «J’espère qu’on ne commettra pas des erreurs, comme on l’avait fait par le passé».
Et d’avertir que même si le mouvement populaire s’est déroulé à la grande surprise du monde entier de manière calme et pacifique, «on n’est pas à l’abri de débordement ou de dérapage». Pour Lakhdar Brahimi, aux yeux de qui les revendications de la rue sont « justifiées », il y a nécessité d’aller d’abord vers la conférence nationale, pour que chaque partie expose ses idées et participe au dialogue. « On ne veut pas de dialogue des sourds. Il faut s’asseoir ensemble autour de la même table et discuter (…) car le fait de ne pas se rencontrer va ouvrir la voie à d’autres difficultés ».
« Une 2e République ne se bâtit pas du jour au lendemain, mais seulement à l’issue d’un débat inclusif et d’une réflexion profonde. » « La personnalité qui va diriger la période transitoire devra bénéficier d’un très large consensus pour pouvoir mener la transition», a-t-il encore indiqué. « Nous avons une chance qu’on devrait saisir, car un long voyage commence par un premier pas. Il faudrait surtout éviter de ne pas mettre le pays en péril car il existe des parties qui nous guettent et qui veulent nuire à l’Algérie ». En ce qui concerne les appels à la mobilisation et à de nouvelles marches pour demain vendredi, a dit Lakhdar Brahimi, « Bouteflifa a fait ce qu’il doit faire en annonçant son retrait et si le peuple va demander autre chose, il va répondre par la positive ».
Pour sa part, le vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a affirmé à la Chaîne III de la radio nationale que le Parlement « ne sera pas dissous » et que toutes les institutions continueront à fonctionner normalement jusqu’à l’élection du prochain président de la République. « Le président de la République a indiqué dans son dernier message à la Nation que les institutions actuelles continueront à fonctionner normalement jusqu’à l’élection du prochain président de la République et il n’y aura pas de vide à aucun niveau et toutes les institutions continueront à fonctionner normalement, y compris le Parlement», a-t-il indiqué.
Sur le fait que le chef de l’Etat ait décidé d’accompagner la transition, le vice-Premier ministre a déclaré que «Bouteflika n’a pas reporté la présidentielle pour rester au pouvoir et que c’est au nom de la permanence de l’état, de la légitimité que le Président tient du suffrage populaire, de la nécessité de prévenir tout risque de difficulté qui viendrait compliquer cette phase de préparation et de conduite des réformes, que tout naturellement, le Président a indiqué que toutes les institutions de la République continueront à fonctionner normalement, y compris l’institution présidentielle jusqu’à ce que le peuple algérien ait choisi librement son successeur», a-t-il argué.
« Nous ne ferons pas d’erreurs »
Sur la question relative à la légitimité des initiatives prises par le chef de l’Etat, M. Lamamra a estimé qu’« il ne faut pas concevoir le droit comme un obstacle ». Le vice-Premier ministre fait le parallèle avec la décision du président Liamine Zeroual d’écourter son mandat en 1998, une procédure qui n’était pas prévue par la Constitution de l’époque. La stabilité passe avant tout. « Si la patrie perd, personne ne gagne », a-t-il prévenu. Invité à développer les aspects du processus à venir, Ramtane Lamamra s’est montré plus à l’aise, mais sans fixer d’échéance. Il a annoncé que la proposition du Président, qui « n’est pas une feuille de route, mais un plan de travail», «pourra être enrichie».
« Il y aura des consultations, mais le fait est que les sept éléments constitutifs de la proposition constituent un paquet, il est donc difficile pour l’équilibre de la démarche de prendre un élément au détriment des autres. (…) En tant que gouvernement, on a le devoir de dialoguer. Il appartient aux uns et aux autres de formuler des propositions », a-t-il encore dit. « La conférence doit s’efforcer de terminer ses travaux avant la fin 2019, mais elle pourrait terminer avant. Plus tôt elle se forme, mieux ce sera », a-t-il poursuivi, n’excluant pas un refus de l’opposition d’accepter la nouvelle feuille de route, mais il se montre optimiste. « Le pire n’est jamais sûr, nous sommes optimistes, il faut faire le maximum pour ce grand contrat social que nous sommes en train de renouveler ».
A propos de la nouvelle équipe exécutive, le vice-Premier ministre a émis le souhait que soient intégrés des ministres issus de l’opposition : « Il est souhaitable d’avoir des ministres de l’opposition et de la société civile dans le nouveau gouvernement. Il n’y a pas encore de tractations, mais des invités, des appels à manifestation d’intérêt. Si des éléments de l’opposition ou de la société civile veulent y participer, ils sont les bienvenus. On sait qu’il sera plus facile à l’opposition d’intégrer le gouvernement après avoir participé à la conférence. Maintenant, il lui est peut-être difficile de le faire, mais elle y est cordialement invitée. Un certain nombre de ministres vont partir, mais ça ne veut pas dire qu’ils ont failli. Ce sera une rotation pour permettre à la société de voir de nouveaux visages ».
Vis-à-vis de la contestation populaire, il a tenu des propos rassurants. « Les manifestants sont parfaitement respectables, nous sommes admiratifs devant cette capacité d’organisation et cette maîtrise extraordinaire. La principale réalisation de Bouteflika, c’est cette « jeunesse, c’est un capital précieux pour la nation algérienne », dit-il, avant d’assurer que le scénario syrien ne se rééditera pas en Algérie. « Il faut être responsables mais il ne faut pas s’inquiéter. Nous sommes l’Algérie, nous avons notre histoire, notre peuple. La Syrie et la Libye ont fait des erreurs que nous ne faisons pas, que nous ne ferons pas ».n
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