Tchad : Il y a 40 ans, marsouins et bigors repoussaient une imposante colonne rebelle pro-libyenne à Abéché

Ayant obtenu son indépendance le 11 août 1960, le Tchad a très vite confronté à une guerre civile motivée par des considérations ethnico-religieuse, le centre et le nord du pays, à majorité musulmane, ne reconnaissant pas l’autorité du président François Tombalbaye, issu de l’ethnie Sara, animiste-chrétienne et implantée dans le sud. Des mouvements rebelles virent ainsi le jour et se fédérerent, sous l’autorité d’Abba Siddick, au sein du Front de libération nationale [FROLINAT], avec le soutien de la Libye et du Soudan.

Devant la dégradation de la situation, ses jeunes forces armées, avec seulement 1.800 soldats et 2.500 gardes nomades, étant dépassées, N’Djamena demanda l’assistance de Paris. Ce qui donna lieu, entre 1969 et 1972, à l’opération « Limousin » [ou « Bison »].

Cette dernière, commandée par le général Cortadellas, mobilisa 2.000 militaires français, appuyés par des hélicoptères Sikorksy H-34. L’objectif était alors de mettre un coup d’arrêt à la progression rebelle et de restructurer l’armée tchadienne. Grâce à cette intervention, la situation s’améliora rapidement, les principaux postes installés dans le nord du Tchad ayant été reconquis au bout de quelques mois. Toutefois, le FROLINAT ne fut pas réduit. Le 11 octobre 1970, une embuscade tendue entre Faya et Bardaï fit ainsi 11 tués et 25 blessés dans les rangs français. Soit les pertes subies les plus importantes depuis la fin de la guerre d’Algérie.

Toutefois, en 1972, il fut considéré que le FROLINAT, même s’il n’était pas totalement éradiqué, ne constituait plus une menace pour le pouvoir tchadien. L’opération Limousin fut donc terminée, avec 39 soldats français tombés au champ d’honneur.

Pour autant, le coup d’État à la faveur duquel le général Félix Malloum [un « sudiste »] prit le pouvoir à N’Djamena, relança l’organisation rebelle, plus que jamais soutenue par la Libye du colonel Khadafi. À nouveau, la situation se dégrada rapidement.

En février 1978, plusieurs localités [Faya-Largeau, Ounianga, Fada et Koro-Toro] tombèrent sous le contrôle du FROLINAT, composé désormais de forces militaires organisées et très bien équipées [missiles sol-air, mortiers de 120 mm, canons de 75 et de 106 mm sans recul, lance-roquettes RPG-7, etc]. Et N’Djamena sollicita une nouvelle fois l’aide de la France, l’armée tchadienne ayant perdu 2.000 hommes.

Dans un premier temps, des éléments du 2e Régiment Étranger de Parachutistes [REP] et de la 9e Division d’Infanterie de Marine [DIMa] furent envoyés au Tchad dans le cadre de l’opération Citronnelle, avec la mission de porter assistance aux forces tchadiennes, toujours aussi faibles. Mais au vu de la situation sur le terrain motiva dans la foulée le déclenchement d’une autre opération française, qui, appelée Tacaud, mobilisa 2.000 soldats, des hélicoptères, un avion Atlantic de la Marine nationale et des chasseurs-bombardiers Jaguar de l’armée de l’Air.

En avril, sur la route menant à N’Djamena, une colonne du FROLINAT, armée de missiles sol-air SA-7, parvint à s’emparer de de Salal, au bout de dix jours de combat et malgré l’implication des forces françaises, qui se replièrent finalement vers Moussoro. Mais ses pertes l’empêchèrent de continuer sa progression.

Plus à l’est, une autre colonne rebelle prit le contrôle de la localité d’Ati [centre du Tchad]. Mais la réaction des marsouins du 3e Régiment d’infanterie de Marine [RIMa], renforcés par un peloton du 1er Régiment Étranger de Cavalerie [REC] et appuyés par les Jaguar fut déterminante. La colonne du FROLINAT dut battre en retraite, laissant derrière elle 80 tués et plusieurs véhicules détruits.

Sur fond d’intrigues politiques et de revirements d’alliance à N’Djamena, les combats se durcirent [un Jaguar fut abattu dans la région de Djedaa]. Mais les troupes françaises surent y répondre en remportant plusieurs succès significatifs contre le FROLINAT, de plus en plus divisé. Ainsi, la composante Gorane dirigée par Hissène Habré se rapprocha du régime dirigé par le général Malloum, avant de rompre avec lui en 1979 et d’affronter, dans le même temps, la faction « Toubou » de Goukouni Weddeye.

Une autre faction arabe et pro-libyenne, le Conseil démocratique révolutionnaire d’Ahmat Acyl, ne s’en laissa pas compter. Le 5 mars 1979, près d’un millier de ses combattants, lourdement armés [SA-7, mortiers de 82 mm, canons anti-aériens, mitrailleuses .50, etc] s’élancèrent vers Abéché, la deuxième ville tchadienne et chef-lieu de la région du Ouaddaï, au centre-est du pays. Face à eux, sous le commandement du colonel Hamel, un escadron du Régiment d’Infanterie Chars de Marine sous les ordres du capitaine Dominique Delort, et des éléments du 3e RIMa ainsi que des bigors du 11e Régiment d’Artillerie de Marine [RAMa].

L’objectif d’Ahmat Acyl était de s’emparer de la ville [et surtout de son aéroport afin d’en faire une tête de pont pour faciliter l’approvisionnement libyen] tout en causant le maximum de pertes parmi les militaires français pour choquer l’opinion internationale.

Dans l’ouvrage « Engagés pour la France : 40 ans d’OPEX« , le général Delort raconte :

Nous sommes le 5 mars 1979, à Abéché, position clé de l’est du Tchad. Il est 12h30. Les 160 marsouins de l’escadron ont passé comme toujours une matinée bien remplie. Brutalement, une, puis deux fortes explosions. Non, ce n’est pas un dépôt qui saute en centre-ville! Une attaque, mais de qui? Une troisième, un obus à 50 mètres. Le capitaine commande ‘à vos postes, ouvrez les réseaux radio, prêt à démarrer’. Déjà, le colonel Hamel [soleil] et l’artilleur [rouge] sont sur les ondes.

La ville est attaquée, la batterie est prise à partie, l’aéroport où se trouve l’escadron reçoit des obus. ‘Bleu de Soleil, faites le point!’ Il n’en faut pas plus pour que Delort [bleu] ordonne à Descamps, son fidèle chef de peloton, de s’engager en reconnaissance le long de la piste, jusqu’au contact. Devant la colline de la léproserie tchadienne étincellent les feux multiples des rebelles. Les canons et les mitrailleuses de Descamps sont en action. Il fait très chaud, les AML [automitrailleuse légère de Panhard, ndlr] tirent les explosions se mêlent à celles des [canons de] 105 des artilleurs.

– ‘Bleu, les coups passent juste au-dessus de moi!

– Reçu 10, mais au moins deux mètres au-dessus, appuyez au nord et contre-attaquez plein ouest sur cinq kilomètres! »

Les hélicoptères arrivent et tirent leurs SS11 à tête antipersonnel qui se transforment en boules de feu. Il doit être près de 14 heures. Tout indique que la vivacité et la violence de notre réaction ont interdit aux troupes d’Acyl de lancer l’assaut…

Durant les combats, le RICM perdit l’un des siens le caporal-chef Guy Parent, la tourelle de son AML ayant été transpercée par une roquette alors qu’elle allait dégager 6 marsouins « fixés » par l’ennemi.

Mais les militaires français, largement inférieurs en nombre, infligèrent des pertes considérables aux hommes d’Ahmat Acyl. Ces derniers laissèrent sur le terrain plus de 350 tués et plus de 800 armes individuelles et collectives, allant du fusil d’assaut aux missiles SA-7, en pasant par les lance-roquettes RPG-7, les mitrailleuses.

Par la suite, en août 1979,et après les accords de Lagos et la formation d’un gouvernement national de transition [GUNT] présidé par Goukouni Oueddei, la France décida de redéployer ses troupes à N’Djamena, où il fut mis en place une force d’interposition neutre, les troupes d’Hissène Habré n’ayant pas rendu les armes. Puis, en avril 1980, estimant les buts militaires atteints [accord politique, évacuation de plus d’un millier de civils, progression stoppée des pro-Libyens vers le sud], Paris mit un terme à l’opération Tacaud.

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