par Bruxelles: M’hammedi Bouzina Med
D’une seule marche populaire, l’Algérie a effacé les préjugés qui faisaient d’elle un pays rigide, irréformable, marqué par l’intolérance et la violence politique. Après l’étonnement, les Européens manifestent encore plus leur admiration à ce que beaucoup appellent déjà la « révolution tranquille » qui se joue en Algérie. C’est que des clichés et préjugés ont donné longtemps l’image d’un pays coincé entre le poids de traditions vieillottes, d’intolérance religieuse et de nationalisme chauvin qui se mêlent dans une sorte de syncrétisme indéchiffrable qui condamne à l’échec toute perspective pour le pays de s’arrimer à la modernité, la démocratie, la citoyenneté même. C’est que l’histoire récente du pays, notamment la terrible décennie noire ont identifié l’Algérie à un peuple rigide, dompté par les interdits et la violence politique est devenu, définitivement, un peuple incapable de se secouer, de se réveiller et d’embrasser le reste du monde «civilisé», de conquérir sa liberté. Les préjugés ont la peau dure.
Du coup, voir ces milliers de femmes aux avant-postes des marches, dans les villes algériennes, cheveux au vent, scandant des slogans hostiles au système et son pouvoir politique, paraît aux yeux de nos amis européens comme des scènes de fiction, voire même de vision fantastique. Autant dire qu’ils s’attendaient à voir les islamistes encadrant les marches à la place de ces belles et jeunes rebelles. Etonnant, inattendu, prometteur.
Les Algériennes et Algériens ont effacé d’une seule marche, le cliché qui leur colle à la peau et au visage de pays figé, irréformable, condamné à la stagnation et au sous-développement. Mais au-delà de se rassemblement général des Algériens, femmes et hommes, en jeans et en hidjab, dans la danse et dans le chant qui surprend d’abord les Algériens eux-mêmes et le monde ensuite, s’ajoute cette incroyable discipline, ordre et pacifisme malgré les peurs et menaces longtemps distillées par un pouvoir diabolique, méprisant le sens civique et la conscience citoyenne du peuple « d’en bas ».
Faire le ménage après le passage des marcheurs dans les rues est une « invention algérienne ». Elle soulève l’admiration du reste du monde. Puis, encore cette vigilance à toute tentative de dérapage qui s’est soldée par la chasse aux casseurs et leur arrestation pour les remettre aux forces de police est, encore, une autre invention certifiée de ce peuple si longtemps considéré comme nerveux, indiscipliné, violent.
Désormais les Algériens ont leur marque déposée: les manifs en musique et youyous, avec le sourire et la bienveillance, dans l’allégresse et l’espoir de lendemains qui chantent. Cette leçon de civisme et de haute conscience des enjeux politiques de l’heure s’inscrit dans la durée. Rien ne pourra arrêter ce vaste et magnifique mouvement vers une société plus juste, plus digne, plus libre.
Seul le pouvoir et son système archaïque et oppresseur ne voient pas ce besoin de changement et de liberté du peuple. Convaincu de son « invincibilité », crotté dans son archaïsme d’un autre âge, déconnecté du réel et des bouleversements du reste du monde, le pouvoir algérien n’abandonnera pas, facilement, face au réveil du peuple. Il a gouverné depuis plus d’un demi-siècle par la triche, la ruse, la menace, la peur, le clientélisme, le vol et la prébende… il ne comprend plus les notions élémentaires de droit, de justice, de démocratie et de désir de liberté des gens. Il s’accrochera jusqu’à son dernier soupir, tentera de renverser la situation à son profit, rusera, mentira pour sauver sa peau et ses indus-privilèges et s’en fout des conséquences catastrophiques éventuelles de son entêtement et de son inconscience.
Le pouvoir n’a pas la vaillance et la dignité d’un guerrier qui se bat pour une juste cause. Il est rusé et lâche et ne partira qu’après avoir tenté de se venger de ce peuple qui le divorce aujourd’hui. Heureusement pour le pays et le peuple, la logique de l’Histoire est de son côté. Nul pouvoir usurpateur et violent n’a duré plus que la vie d’une nation et d’un peuple.
Le temps travaille pour une nouvelle Algérie engagée sur la voie de sa libération et son émancipation. Le pouvoir et son système sont déjà vaincus. Il faudra le temps qu’il faudra, mais ce pouvoir partira.
De Paris à Bruxelles, de Montréal à San-Francisco, de Tunis à Londres… partout l’Algérie est observée, suivie, admirée enfin et désormais respectée pour son immense envie de rejoindre la marche du siècle du monde libre.
L’Algérie ne décevra pas ses enfants d’abord, ensuite le reste du monde qui la regarde.
Le Quotidien d’Oran, 11 mars 2019
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