Algérie: L’incroyable a été fait, reste le croyable

L’homme qui se révoltait en 1999 à l’idée de n’être qu’un trois-quarts de président a supplié le peuple algérien de le laisser encore président pour un an, une petite année, un quart de mandat… S’il vous plaît !

Mais dans son dos, il tenait le sabre d’al-Hadjadj et attendait le moindre prétexte pour s’en servir sans pitié.

Le peuple algérien a vite compris que le rusé Djouha qui essayait de le berner une fois de plus, n’était autre que Djouha le fourbe qui l’avait enfumé pendant vingt ans.

Une fois dans la place, il ne l’aurait quittée qu’entre quatre planches.

Prévenant, il est sorti par millions sur l’ensemble du territoire national pour lui notifier d’une seule voix sa réponse unanime et non négociable : « Allah inoub ! », formule du dialecte algérien par laquelle on exprime un refus poli, reprise par un manifestant d’Alger.

Les forces de l’ordre ont été une fois encore à la hauteur de leur peuple, ce qui nous change de la « gestion démocratique des foules » du général Hamel quand médecins, enseignants, militants politiques, syndicalistes et tout ce qui bougeait rentraient chez eux après une manif pacifique cabossés ou ensanglantés.

C’était de la gestion barbare et sanglante. Si aucun trouble n’a éclaté là où on a manifesté par millions, Rachid Nekkaz a, à lui seul, mis en émoi l’hôpital de Genève où gît Bouteflika.

De mémoire suisse on n’a vu malade aussi encombrant que Bouteflika qu’on risque de devoir renvoyer chez lui pour les ennuis causés au personnel, aux autres malades, aux visiteurs, à la réputation des lieux et à la ville de Genève.

N’ayant jamais cru en la médecine algérienne, il pourrait alors connaître le sort du shah d’Iran qui n’a pas trouvé un pays pour l’accueillir et se soigner après sa chute, avant que Sadate ne l’accueille dans un geste d’hospitalité.

Lui qui rêvait de finir sa vie dans l’Histoire, est en train de l’achever dans les histoires comme je le lui avais prédit dans une lettre ouverte que je lui ai adressée le jour de son investiture en avril 1999, et dans un article de 2014 quand il a postulé au 4e mandat.

Mais j’étais loin d’imaginer qu’il pourrait être un jour placé sous tutelle par la justice d’un pays étranger comme l’envisage une procédure judiciaire ouverte à Genève pour établir s’il répond ou non à la définition juridique de l’« incapable ».

Qu’attend le général Gaïd Salah pour courir à Genève, comme il le faisait au Val-de-Grâce, lui porter ce « Niet ! » avant que le président en exercice de l’Algérie ne soit placé sous la responsabilité d’experts médicaux et ne devienne inapprochable sans leur aval ?

Que va-t-il arriver après la marche du 8 mars ? On connaît l’ultimatum lancé par le peuple : Bouteflika n’en a plus que jusqu’au 18 avril ! Mais le pouvoir semble tenir à l’élection, ce qui montre que contrairement à ce qu’on pouvait penser c’est le plus facile qui a été fait, pas le plus dur.

Le peuple algérien flottait dans les airs avec le sentiment d’être adulé des cieux pour avoir accompli l’incroyable. Il y a de quoi, en effet, et il le mérite amplement et de l’aveu du monde entier.

Ce qu’il a fait relève proprement de l’incroyable car inattendu et allant à contre-sens de ce qu’on pensait de lui et de ce qu’il pensait de lui-même. Comme dans un film, il s’est réveillé au dernier moment, juste avant la chute fatale dans l’abîme qu’aurait été le 5e mandat.

Cet « incroyable », c’est le nombre fabuleux de personnes qui sont sorties manifester, la synchronicité de leurs mouvements, l’unicité des mots d’ordre d’un point à l’autre du territoire national, l’adhésion générale aux idéaux démocratiques…

La force, la pérennité et la sécurité de cette révolution citoyenne résident dans sa capacité à mobiliser le peuple chaque fois que nécessaire, jusqu’à la réalisation de ses objectifs : fin de l’ère Bouteflika et du « système » tapi dans les institutions, principalement.

Mais il faut se préparer à descendre du ciel, à mettre pied sur terre pour faire face à l’ordinaire, au plus urgent, pour construire de ses mains et avec ses propres idées le « croyable ».

Le « croyable », ce sont l’avenir, l’unité nationale, le socle idéologique consensuel, les institutions démocratiques, une économie indépendante des hydrocarbures…

Il y a tellement de choses à faire qu’on en a le vertige, mais on est obligés de les faire car le temps presse : ne serait-ce que parce que nous vivons avec de la fausse monnaie (la création monétaire qui a atteint l’équivalent de 60 milliards de dollars en un an).

Il faut se préparer à quitter l’ambiance de fête pour s’engager dans une période de turbulences au bout de laquelle le pays entrera dans une nouvelle ère : celle de la Nouvelle Algérie, rajeunie et plurielle, libre et fraternelle, démocratique et sociale, comme la voulaient la Proclamation du 1er Novembre 1954 et la Plateforme de la Soummam.

Sans « açabiyate », sans exploitation par les uns ou les autres de l’islam, des valeurs de novembre, de l’amazighité ou des valeurs du 22 Février ou du 8 Mars (ça dépend de la date qui sera retenue pour marquer la nouvelle ère).

A moins d’être devenu complètement fou, le pouvoir abandonnera le 5e mandat, mais il ne renoncera pas de lui-même, facilement, aux leviers de commande (les institutions) et à sa tutelle sur l’économie (les richesses).

La première chose à laquelle il va s’atteler sera de casser la cohésion du peuple en activant les moyens, techniques et astuces pour le diviser, le séparer, le ramener aux anciennes « açabiyate » ou susciter en son sein de nouveaux clivages.

La mise en congé des universités et des cités universitaires où loge un grand nombre d’étudiants est la première ficelle usée trouvée pour éparpiller la force qu’ils représentent. Elle échouera.

Le « système » disparaîtra au fur et à mesure que le peuple qui a initié la Révolution citoyenne dégagera ses représentants (sorte de « Coordination nationale de la révolution citoyenne ») et que ceux-là s’organisent en force politique pour veiller au succès du processus de démocratisation du début à la fin.

En attendant, il faut réfléchir à toutes les diableries dont il est capable pour se maintenir, les anticiper et leur apporter la riposte qui convient.

S’il y a ce que peut faire le pouvoir, il y a aussi ce que peut faire le peuple.

Pour ma part, je continuerai à proposer des idées comme je le fais depuis un demi-siècle. J’oserai même dire les mêmes idées.

Auteur
Nour-Eddine Boukrouh

Le Matin d’Algérie, 10 mars 2019

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