Derrière sa clinquante vitrine, la ville ocre abrite encore de nombreux quartiers défavorisés où une grande population de démunis tente en vain de vivre dignement.
Par Hicham Bennani
Le Pacha. Une des plus grandes discothèques d’Afrique qui attire des visiteurs du monde entier. Entrée : 200 dirhams. Prix d’une bouteille de vodka : 1 200 dirhams. Il est 3 heures du matin. Plus de deux mille fêtards se trémoussent dans une ambiance house-électro. Danseurs et danseuses professionnels à moitié nus aguichent la foule. L’euphorie et le faste sont de mise. Parfois même à l’extrême. On se croirait en Europe.
A l’extérieur, sur l’avenue Mohammed VI, l’artère principale de Marrakech qui regroupe palaces, grands hôtels, restaurants et cafés de luxe, des enfants font la manche. Parmi eux, Aïcha quémande désespérément une petite pièce. Cette Marrakchia âgée de huit ans n’a pas le choix. Elle habite Diour El Boune, un quartier populaire en plein Marrakech. En ce 17 mars 2009, à l’aube, Aïcha rapporte un maigre butin (65 dirhams) à son père, maçon de son état. Situé à cinq kilomètres de la place Jamaâ El Fna, Diour El Boune est constitué de 13 000 habitations. Construites dans l’anarchie totale, elles sont toutes plus laides les unes que les autres. «Il suffit de donner un pot-de-vin au moqqadem de la région pour construire sa maison», dénonce un passant.
Les parias. Ici, il n’y a pas d’école, pas d’hôpital et un seul poste de police qui ne peut couvrir à lui seul toute la p1000308sécurité. Les enfants sont désœuvrés et livrés à eux-mêmes. «Pas étonnant que des mômes disparaissent de temps en temps, ils sont sans doute attirés par la richesse des étrangers», pense un habitant, en faisant référence à la pédophilie qui sévit à Marrakech. Ce dernier travaille comme porteur dans un grand hôtel juste derrière Diour El Boune. Le plus grave, c’est que ce patelin dans la ville est loin d’être le plus mal loti. Encore plus proche du centre, on trouve Douar Al Fakhara dans le quartier de Aïn Etti. Plus de 30 000 personnes y vivent dans des conditions exécrables. «Nous sommes entassés à dix dans un cinquante mètres carrés», témoigne un jeune chômeur.
Les revenus d’un foyer vont de 500 à 3 000 dirhams. Ceux qui en ont les moyens installent l’électricité, les autres vivent, le soir, à la bougie. Bâties en terre ou en pisé, les demeures ne garantissent aucun confort ni sécurité. Il y a un peu plus d’un mois, un homme de 75 p1000367ans et sa petite fille de 12 ans ont trouvé la mort à Douar Al Fakhara suite à l’effondrement du toit de leur maison après les fortes pluies de cet hiver. «Comme les ruelles sont mal conçues et non goudronnées, l’ambulance ne peut approcher certains endroits», constate un officier de police.
Dans un terrain vague parsemé d’ordures, un homme en guenilles puise l’eau d’un puits. «Venez voir où nous vivons, personne ne se soucie de nous. Jugez par vous-même, c’est la Somalie !». Il est vrai que l’allée où survit sa famille, située en face des résidences de luxe d’un certain Miloud Chaâbi, est digne des pays les plus pauvres. Pas d’eau, pas d’électricité, pas d’égoûts pour une soixantaine de personnes. Une simple bouteille de gaz et une moquette en piteux état, c’est ce que possèdent Mohamed et sa famille. «Toute la rue a étép1000373 inondée pendant les intempéries», raconte sa femme, indignée. La liste des lieux dont ne parlent jamais les circuits touristiques pourrait s’arrêter là. Malheureusement, le pire est à venir… Toujours à «Kech» (comme l’appelle les jeunes branchés), à Sidi Youssef Ben Ali, non loin du Golf Royal, le Douar Slitine qui borde la route, n’a rien à envier aux quartiers insalubres de Casablanca. Qui a dit qu’il n’y avait plus de bidonvilles à Marrakech ? Plus de 300 personnes vivent au milieu d’immondices dans des cabanes en tôle sans aucun service de base. «Toutes les maladies du monde se trouvent ici.
Le soir, dans le noir total, on a peur, parce qu’il n’y aucune sécurité et nos enfants se font régulièrement mordre par des serpents», déplore une vieille dame. «Heureusement que nous pouvons avoir de l’eau potable, mise à notre disposition par le propriétaire d’un ryad, à trois kilomètres d’ici», explique son mari. En plein cœur du douar, un homme au visage très marqué par la misère, enchevêtré dans un taudis fait de poubelles et d’objets en tout genre, hurle son désespoir : «Ils ont rasé ma maison et j’ai été obligé de m’installer ici. Ils m’ont donné 5000 dirhams de dédommagement. Je respecte tout le monde et je n’ai jamais rien fait de mal», avant de conclure, en sanglots : «Dieu, la patrie, le roi!»
Affreux, sales et méchants. Pendant que l’immobilier ne cesse de se développer à p1000380Marrakech, d’autres zones délaissées par les pouvoirs publics restent figées. C’est le cas de Mhamid, une région d’environ 20 000 habitants qui jouxte les logements flambant neuf du groupe Addoha. Au Douar Soltane, on se croirait au Moyen Age. Les badauds doivent se rendre au château d’eau pour s’approvisionner. Il n’y a aucun conduit souterrain pour évacuer les eaux usées. Les constructions en terre tombent en ruine.
«Si le sultan Moulay Hassan voyait dans quel état est devenu son palais, il se retournerait dans sa tombe», rumine un septuagénaire qui a grandi dans le douar. Autre lieu, autre paysage déplorable. Le Douar Iziki offre un décor pathétique. Toujours à 5 ou 6 kilomètres de Jamaâ Al Fna, cet endroit est connu pour abriter des garages automobiles bon marché. Plus de 2000 personnes y vivent dans l’insalubrité. De petites ruelles où le cambouis et les eaux usées se déversent en un sillon mènent à un petit local en carton où s’effectuent toutes sortes de trafics. «L’endroit est réputé pour son haschich et les filles qui habitent ici sont des prostituées», confie un gaillard enduit de graisse de voiture.
En plein cœur du douar, une mare vert-noirâtre de déchets toxiques, mélange de bitume et d’excréments, est laissée à l’abandon. Ici, le réalisateur italien Ettore Scola aurait trouvé un décor idéal pour ses films mettant en scène des pouilleux. Pourtant, nous sommes loin de la fiction. Toutes les zones évoquées font partie intégrante de Marrakech. Mais il n’existe aucun plan d’urbanisme qui leur soit associé. Chômeurs, employés dans la restauration ou dans de grands hôtels, ouvriers, prostituées, dealers et gredins y cohabitent. Le pauvre côtoie le riche.
«La situation de Marrakech représente ce que le Maroc est en train de vivre : de plus en plus de développement alors que les couches défavorisées sont laissées pour compte», constate un marchand de la place Jamaâ Al Fna. Même le centre de la ville ocre n’est pas épargné par le fossé entre les différentes classes sociales qui ne cesse de s’aggraver. Dans le mellah, ancien quartier juif de la médina, les vols, agressions et cambriolages sont monnaie courante. Comme dans toutes les villes des pays en voie de développement, Marrakech n’échappe pas à la règle des quartiers insalubres. Pourvu qu’ils ne se développent pas à la même vitesse que les investissements.
Le Journal Hebdomadaire, numéro 388, mars 2009.
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