Maroc : « Mohamed VI a confiné sa mère pour avoir eu un amant » (Hicham Bouchti)

UN ESPION MAROCAIN PARLE DE LA «GUERRE SALLE» CONTRE LES ISLAMISTES

RABAT.- « Quand ils n’ont pas un nom de guerre, les agents secrets marocains se font appeler entre eux-mêmes Haj ou Cherif. () Les cireurs de chaussures qui portent une malle bleue travaillent pour nous et le Maroc construit la plus grande académie militaire d’Afrique à Guercif [sud du pays] « .

Celui qui verse ces informations prétend avoir travaillé dans un service d’espionnage du royaume alaouite. « Je n’étais pas un James Bond, mais j’ai fait et vu des choses moralement inacceptables. » Pour qu’il n’y ait aucun doute sur son identité ou son travail précédent, il accepte de révéler son nom et son nom de famille et de se les laisser photographier.

Son nom est Hicham Bouchti, il était secrétaire à l’éEat-Major des Forces Auxiliaires, une force paramilitaire avec des commandements militaires qui dépendent du Ministère de l’Intérieur. Homme confiant de ses supérieurs, Bouchti avait accès à de nombreuses informations réservées: mouvements de troupes, points de dépôts d’armes et déplacements du roi Mohamed VI.

Bien que, de toute évidence, cela ne soit pas prévu dans son règlement, l’une des tâches principales de ces forces est la surveillance discrète des militaires. Une des tâches de Bouchti était précisément la collecte et le traitement des rapports des bureaux provinciales.

Un jour, l’un de ses chefs lui a murmuré dans un couloir que Mohamed VI avait subi une « tentative d’assassinat » à Ifrane, une station de ski très convoitée. « J’avais des doutes, mais quand il m’a remis la copie du mandat de quatre mois d’arrêstation à l’Académie de police de Kenitra pour l’un des gardes du corps du roi, j’ai su que quelque chose s’était passé. »

La note faisait état de la punition du garde du corps, un certain Jaidi, « pour négligence grave ». Un autre jour, Bouchti a découvert un document confidentiel selon lequel Latifa, veuve de Hassan II et mère du monarque actuel, aurait été confinée sous la survrillance de la DGED (Direction générale des études et de la documentation, services secrets extérieurs) dans la résidence royale de Skhirate. Le souverain y punissait ainsi sa mère parce qu’elle poursuivait une relation sentimentale avec l’ancien garde du corps de son père Mohamed Mediouri.

En 2001, ses supérieurs hiérarchiques prêtent Bouchti au Deuxième Bureau (un des services de renseignement de l’armée), qui l’envoie à Oujda, sa ville natale. Sa mission: surveiller et rendre compte des mouvements fondamentalistes de ce bastion de l’islamisme radical. Le jeune espion réalisera rapidement que son travail n’est pas uniquement un travail de renseignement: une semaine après son arrivée à Oujda, une manifestation de solidarité islamiste massive avec le peuple palestinien organisée par la puissante association Al Adl Wal Ihsan (Justice et Bienfaisance) d’Abdesalam Yasín, a été violemment réprimé par les forces de l’ordre. Une équipe de la police secrète a attaqué une mosquée et malmené les fidèles et, humiliation suprême, a arraché les voiles des femmes. La nuit, un autre groupe d’agents a pris en assaut plusieurs maisons et emmené des prisonniers dans un lieu inconnu les dirigeants locaux de l’association islamiste.

« Nous les avons conduit, les yeux bandés, dans un centre de détention secret appelé Mehalla », explique Bouchti montrant sur une carte de la ville d’Oujda l’emplacement exact de cette prison clandestine. Là, il assure avoir vu comment plusieurs collègues se jettaient à coups de pied sur un homme barbu et comment d’autres enfonçaient la tête d’un jeune homme dans un urinoir. Mais ce qui l’a dérangé le plus, c’est quand il voit ses collègues déshabiller une femme devant son mari. « Ils ont commencé à toucher ses parties intimes et ont menacé de la violer collectivement jusqu’à ce que le mari commence à hurler comme un fou. »

Une nuit, Bouchti a directement dirigé un enlèvement. A la tête de deux agents, il a capturé un dirigeant islamiste en pleine rue. « Nous avons attendu jusqu’à ce qu’il quitte la mosquée Hamza, nous l’avons poussé dans une Renault 18, et l’avons remis, les yeux bandés, à un groupe d’agents de la DGST (police politique) qui sont venus le chercher. »

Après sa mission à Oujda, l’espion est retourné à Rabat pour d’autres missions. La première l’a amené à infiltrer le groupe salafiste de Hassan Kettani, un jeune cheikh condamné, plus tard, à 20 ans de prison à la suite des attentats de Casablanca (2003). Hicham a informé ses chefs qu’une milice islamiste s’entraînait dans un camp situé dans la vaste forêt de Mamora, près de Rabat, dans le but de rejoindre un autre groupe salafiste, Abdeluahed Rafiki, alias Abou Hafs, que la justice a condamnée à 30 ans dans le même procès que Kettani.

La vie d’espion de Hicham Bouchti aurait continue dans ces sentiers si ses chefs ne l’avaient pas accusé d’avoir falsifié des documents administratifs et envoyé devant le tribunal militaire qui l’a condamné à deux ans de prison ferme.

L’ancien agent l’explique ainsi: « Ils voulaient me faire taire car ma position à l’Etat-Major m’avait permis de découvrir que mes supérieurs partageaient les avantages économiques résultant d’opérations commerciales fictives, de détournements, de falsification de données et de trafic de drogue. »

Après sa libération, Hicham fut exilé à Oujda et, après avoir écrit des montagnes de lettres de protestation au roi, opta pour l’exil. Une nuit, il est arrivé à Melilla et de là, il s’est rendu dans un centre d’accueil à Alcobendas (Madrid) où il attend la réponse des autorités espagnoles pour sa demande d’asile politique.

Ali Lmrabet

El Mundo, 3 fév 2006

Tags : Maroc, Hicham Bouchti, Forces Auxiliaires, Deuxième Bureau, espionnage, islamisme,

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