Selon le journal suisse Le Courrier, qui s’est entretenu avec des avocats tunisiens, la Tunisie est critiquée pour le « manque de volonté » qu’elle affiche pour récupérer les fonds bloqués par Berne à partir de 2011. Un « manque de volonté » en partie mis en avant par la lenteur administrative de la gestion de ce type de dossiers.
Pas de volonté de récupérer les biens mal acquis de Ben Ali ?
« S’il y avait eu une réelle volonté de récupérer les biens mal acquis de Ben Ali , en un à deux ans, c’était plié. La lenteur administrative et les manœuvres dilatoires sont patentes dans ce dossier », regrette Salim Ben Hamidane, cité par le quotidien suisse Le Courrier. Huit ans après le gel des avoirs en Suisse de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali, l’avocat et homme politique tunisien désespère de voir les fonds mal acquis retourner en Tunisie.
Après la fuite de l’ex-président en janvier 2011, M. Ben Hamidane a été nommé ministre des Domaines de l’Etat et des affaires foncières, en charge du dossier de la confiscation des biens mal acquis. Pendant le gouvernement de la troïka, de 2011 à 2014, l’Etat tunisien « a tenté de récupérer » ces biens mal acquis, sans réel succès », rappelle Le Courrier. Dans le même temps, la Tunisie avait rapatrié 28 millions de dollars du Liban en 2013. « Nous avions fini par convoquer le cabinet mandaté par l’Etat », se souvient Salim Ben Hamidane. « Il prétendait qu’il y avait beaucoup de tracasseries à cause du secret bancaire. »
Seuls quatre millions ont été rendus
Lundi dernier, le président tunisien Béji Caïd Essebsi s’est exprimé en marge du Conseil des droits de l’homme à Genève. « Il y a un certain retard dans l’accomplissement des conditions juridiques », avait-il regretté. En effet, seuls quatre des soixante millions de francs gelés en janvier 2011 par Berne ont été récupérés par la Tunisie, rappelle encore le journal suisse.
« Alors, la Suisse traîne-t-elle les pieds ? Ce n’est pas le genre de la maison. Elle a réglé les autres dossiers de fonds gelés, restituant à leurs pays d’origine près de deux milliards de dollars américains de fonds d’origine illicite », explique Le Courrier, citant le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Restent maintenant les avoirs tunisiens (60 millions de francs au départ) et ukrainiens (70 millions) en cours de blocage.
La Suisse a dû prolonger en décembre dernier d’une année supplémentaire le gel des fonds Ben Ali car elle attend de Tunis des « décisions de justice établissant l’origine illicite des fonds pour que la Suisse puisse procéder à des restitutions d’avoirs », explique pour sa part Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du DFAE. « Cela peut cependant prendre plusieurs années jusqu’à ce que de telles décisions soient rendues. »
Et la loi tunisienne promulguée en 2011 pour récupérer tous les avoirs illicites et bien mal acquis de Ben Ali et de sa famille en Tunisie « ne suffit pas aux autorités helvétiques . « La Suisse, mais aussi les autres pays concernés en Europe, comme la France, veulent un verdict contre Ben Ali et sa famille pour pouvoir rendre l’argent », souligne ainsi Raphaël Kergueno, chargé de mission à Transparency International Europe, à Bruxelles. « Le problème, c’est qu’il est difficile pour Tunis de rendre des jugements contre ces personnes, car la plupart d’entre elles ont fui le pays en 2011… Jusqu’à ce jour, aucune condamnation n’a été publiée sur aucun site officiel » gouvernemental, dit-il, insistant sur le fait que « le gouvernement tunisien ne fait pas le nécessaire pour récupérer ses avoirs ».
Cependant, pour Youssef Belgacem, chargé de projets à l’ONG tunisienne I Watch, il faut aussi rappeler que « les enquêtes visant à identifier les avoirs et les comptes bancaires des personnalités corrompues sont très chères, très compliquées à faire et prennent beaucoup de temps ».
Plus de professionnalisme et de collaboration de la part de Tunis
Le journal suisse explique que d’autres observateurs mettent la lenteur de la procédure administrative sur le dos de « l’ancien régime », celui-ci ayant été « restauré avec l’élection du président Essebsi fin 2014 ». « Ceux qui sont au gouvernement ont tendance à protéger l’ancienne garde », assure ainsi au magazine suisse Ridha Ajmi, avocat d’origine tunisienne, basé à Fribourg, qui avait le premier en Suisse déposé une dénonciation pénale et une requête auprès du Ministère public de la Confédération pour la restitution des avoirs. « L’intérêt public de récupérer cet argent est placé au second plan. Il faut plus de professionnalisme et de collaboration de la part de la Tunisie avec les autorités judiciaires et administratives suisses pour régler enfin ce dossier », estime l’avocat.
N.B.