Union du Maghreb arabe: Les pays de l’UMA entre échec, statu quo et médiocrité

par Notre Envoyée Spéciale A Hammamet (Tunisie) Ghania Oukazi

«L’exception algérienne », «la peur mauritanienne », «l’initiative marocaine », «l’expérience tunisienne» et « la crise libyenne » ont fait l’objet, pendant deux jours, d’un examen minutieux, sous les effets de deux variables, la 8ème année « des printemps arabes » et le 30ème anniversaire de « la création » de l’Union du Maghreb Arabe.

C’est le Centre des études d’Aljazeera (CEA) qui a eu l’idée de les soumettre à une réflexion académique, les 16 et 17 février derniers, dans la station balnéaire de Hammamet, à près de 80 km de la capitale tunisienne. Il l’a fait avec la collaboration du Centre des études méditerranéennes et internationales (CEMI) ainsi que l’Institut tunisien politique (ITP).

Point de situation dressé par le CEA, « une réussite relative en Tunisie, une guerre civile en Libye, et entre les deux, le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie, où les réformes fragmentaires engagées ont maintenu, telle qu’elle, la structure fondamentale du système qui, elle, a préservé une stabilité précaire menacée par des secousses périodiques ».

Premier thème, « les réformes et les enjeux politiques internes. » Le Tunisien Ahmed Idriss, directeur du CEMI, affirme que « personne ne doute que la Tunisie a franchi un pas gigantesque qui aurait pu mener à la démocratisation de ses institutions, mais la démocratie est restée inachevée en raison de la faiblesse des partis politiques et des acteurs politiques qui ne sont pas très intéressés par un changement politique radical, à même de permettre la construction d’un véritable Etat de droit (…). » Il pense qu’« une grande partie des Tunisiens ne font pas confiance aux politiques (…) qui mettent en avant leurs intérêts personnels (…). » Mohamed Maliki, enseignant universitaire marocain évoque le cas du Maroc et rappelle que « l’institution royale a mené des réformes conséquemment au mouvement de contestation populaire du 20 février 2011 (…), un Maroc qui a tenté d’allier réformistes et conservateurs mais on s’en est pas sorti, on s’est retrouvé prisonnier de visions divergentes d’une quarantaine de partis politiques (…). »

L’Algérie «en attente» par crainte des dangers

L’orateur mettra en avant « l’échec de la démocratie et de la justice sociale et l’obstacle économique qui a empêché l’aboutissement des importantes réformes.» Maliki pense que «le Maroc a peut-être besoin de plus de temps pour réussir ou alors d’une volonté politique courageuse qui applique la constitution aux fins de corriger les écarts sociaux et construire un modèle économique efficient.» Dr Mohamed Jamil Mansour de la Mauritanie recentre les situations, «la Tunisie a été la première à s’engager dans une révolution et continue de mener son expérience, le Maroc a compris les enjeux et essaie de s’adapter, l’Algérie où le poids du passé reste intact (décennie noire ndlr), est en attente par crainte des dangers, la Mauritanie n’a pas encore d’expérience démocratique au vrai sens du terme (…), une armée qui a enfanté le pouvoir mais qui devient son instrument et un mouvement populaire qui a poussé à une ouverture maîtrisée avec une opposition contenue (…), enfin la Libye qui est le plus grand perdant.» Il en conclut que «la Mauritanie, l’Algérie et la Libye ne se sont pas fixées de plafond pour relever le défi de la démocratie, par contre le Maroc l’a fait et la Tunisie l’a même élevé.»

Snouci Bsikri, le conférencier libyen, précise que « l’extermination de Kadafi n’avait pas, forcément, d’effet sur la réussite ou non de la révolution (…), le gouvernement issu du congrès a échoué, sur tous les points : politique, économique, sécuritaire et social (…) , l’une des raisons de cet échec est son exclusion des dizaines de milliers de compétences libyennes même celles élues, il y a aussi l’échec de la constitution d’une véritable armée et police au sens classique du terme, 290.000 jeunes ont été recrutés mais n’ont rien à voir avec de telles institutions, ce qui a engendré de gros problèmes, ceci, sans compter l’économie de rente qui emploie 180.000 fonctionnaires (…)» Etat des lieux selon lui, «un parlement à l’Est, un autre à l’Ouest, une partie de chacun d’eux ont signé un accord mais les oppositions persistent à l’Est et à l’Ouest, les divergences et les divisions sont énormes, les rôles d’acteurs régionaux et internationaux sont mauvais, de 2015 à ce jour, personne n’a réussi à mettre fin aux luttes fratricides. »

«La médiocrité démocratique maghrébine»

Mohamed Si Bachir, professeur à l’Ecole supérieure des Sciences politiques d’Alger a indiqué qu’en Algérie, « la situation est plus proche de l’échec.» Il explique, « l’Algérie a vécu son printemps arabe, au moment des événements du 5 octobre 88, avec leurs réserves et leurs limites…» Depuis 91, année du coup d’Etat « électoral », les élections sont considérées comme un mal absolu, et c’est l’armée qui a fixé aux élections un plafond à ne pas dépasser. »

En notant l’importance de la rente, de la corruption et des problèmes sécuritaires (…), le conférencier pense que « le régime n’a besoin ni d’alliés ni d’opposition parce qu’il détient l’argent. » Après « les émeutes de l’huile et du sucre en 2011, le pouvoir a lancé un nombre de réformes qui sont restées lettre morte, non seulement le système n’a pas changé mais a fermé toutes les portes, ce qui a empêché l’émergence d’une diversité de visions et le renouvellement des compétences. » Si Bachir pense que «le changement par les élections est bridé par un vote de ce qu’on pourrait qualifier de grands électeurs qui sont l’armée, la présidence et les hommes d’affaires. » Sa précision, « l’expérience algérienne est proche de l’échec mais n’est pas un échec parce qu’il y a possibilité de revenir à l’histoire et éveiller les consciences (…), l’espoir est permis, on attend…. »

Abdenour Benaatar, politologue algérien, enseignant à Paris 8, rebondit sur « les processus démocratiques menés par l’Algérie et le Maroc qui aboutissent plutôt à une médiocrité démocratique.» Il est convaincu que « les systèmes politiques arabes, en général, ont cette capacité de développer des anticorps pour empêcher le changement.» Louisa Ait Hamadouche, enseignante universitaire à l’Institut des Sciences olitiques d’Alger, estime que « plus l’Etat profond est resserré, plus il empêche le changement démocratique. »

L’échec d’«une justice de transition» en Tunisie

Ce qui a forcément, selon elle, des incidences négatives sur la construction de l’UMA. Elle pense, certes, qu’il existe « une résilience Maghreb.» Mais «la facture d’un non Maghreb est très lourde (…), c’est le non développement économique, le non Maghreb politique et sécuritaire, chaque pays a décidé, seul, des mesures sécuritaires à prendre, alors que les menaces sont transfrontalières (…), les 5 pays ont préféré entretenir des relations bilatérales et non inter-maghrébines, (…) »

«Les relations inter-maghrébines: capacités et obstacles», Deuxième thème examiné par les académiciens fait dire à Mounir El Kchou, chercheur tunisien en Sociologie et Politiques modernes qu’« aucun Etat n’a réussi à accorder des dividendes à son peuple, en raison d’interférences idéologiques. »

En Tunisie, « on a compté sur une justice de transition mais on a échoué (…), ceux qui organisent les élections sont issus de l’ancien régime, l’absence d’une autorité forte est flagrante, l’expérience tunisienne n’a pas réussi parce qu’elle n’a pas d’indicateur de la démocratie ni celui d’un Etat de droit, on n’a pas réussi à lutter efficacement contre la corruption,» explique-t-il.

Le chercheur libyen Ismaïl El Kfitli a relevé « l’étroitesse du concept Maghreb arabe qui englobe les espaces nord de la région et non africains, ignorant ainsi le Sud des 5 pays. » Pour lui « cette limitation géographique pose problème. » Le chercheur libyen note, aussi, que « les systèmes politiques des 5 pays ne convergent pas et ne peuvent ainsi construire une entité homogène (…), il faut provoquer des rééquilibrages au sein de nos sociétés pour pouvoir instaurer l’Etat de droit. » Il estime que « la relation maghrébine n’a jamais été bonne ni avant ni après les «printemps arabes». ». Et affirme que « ce n’est pas à la rue de fonder un projet de société ou politique régionale mais c’est à l’élite de le faire. »

Le Mauritanien Sid Amar Chikhna indique que « le Maghreb arabe vit ses pires situations de faiblesse en raison, entre autres, de l’absence de planification, de perspectives, de veille stratégique, d’absence de la démocratie, des Etats faibles et précaires (…), des sociétés divisées, des problèmes ethniques, régionalistes, clientélistes (…). » Une suprématie présidentielle entretient, selon lui, « le manque de transparence et la mauvaise gouvernance.» Un intervenant mauritanien pense que « les problèmes entre l’Algérie et le Maroc entravent, fortement, la construction du Maghreb. » Un autre du Maroc juge nécessaire de «construire une nouvelle identité pour un nouveau Maghreb, sur la base de la religion, les ethnies et les cultures.»

Une révolution «sans leaders et sans projet»

«Les relations du Maghreb arabe avec l’espace régional et les forces internationales», 3ème thème de la rencontre a été abordé par Rafik Abdesselam, enseignant universitaire marocain, qui évoquera les relations des 5 pays, chacun pour ce qui le concerne, avec l’Union européenne, l’OTAN, les 5+5 « et même un dialogue stratégique avec les Etats-Unis, mais pas de relations inter-maghrébines.» Abdenour Benaatar lâche « des Etats qui ont échoué chez eux ne peuvent réussir à construire l’UMA. » Il indique que « l’Algérie et le Maroc dénoncent l’intervention étrangère dans le Sahel mais n’ont pas le rôle politique qu’il faut pour assurer la sécurité et la stabilité dans la région. »

Mohamed Si Bachir appelle à « laisser le problème du Sahara Occidental aux instances onusiennes pour le régler. » Pour lui, « les forces politiques respectives ont aggravé le différend entre l’Algérie et le Maroc, il faut laisser les académiciens agir.»

Aziz El Haouas Takia, chercheur algérien au Centre d’Aljazeera à Doha, examine le 4ème thème en se penchant sur « les menaces transfrontalières : le terrorisme, la drogue et la migration » pour expliquer que «les situations actuelles de mal-être, dans les 5 pays, ont donné naissance à une catégorie d’exclus qui rejettent tout par la violence, veulent le gain facile, agissent en dehors des lois (…), c’est le printemps arabe mené d’une autre manière par ce qu’on pourrait appeler le ‘parti des exclus’, on fait face, alors, au terrorisme, aux commerces illicites (drogue, armes et autres » et une migration otage de ces fléaux. » Takia estime que « l’inexistence d’une coopération sécuritaire approfondit la fragilité des Etats maghrébins, ce qui renforce davantage les groupes terroristes.»

Louisa Ait Hamadouche refuse « cette connexion entre le terrorisme, la drogue et la migration » parce que dit-elle « c’est une question d’éthique et aussi parce qu’elle implique des difficultés à résoudre la problématique sécuritaire (…).» Abdenour Benaatar conforte ses propos en précisant que « ce sont peut-être des cas mais pas des généralités, parce que la lutte contre les trois fléaux oblige à recourir à des armes différentes.» Mustapha Amar Etir, chercheur libyen synthétise la complexité de la crise, dans son pays, en affirmant que «la Libye mène une révolution sans leaders et sans projet (…), je ne crois pas à la fin de cette anarchie.» Le professeur mauritanien Sid Amar Chikhna est convaincu que « la démocratie, chez nous, a besoin d’apprentissage, de culture et d’exercice pratique, il est nécessaire aux forces initiées de pouvoir de faire face aux divergences destructrices dans nos pays et à la propagande islamiste par la mauvaise interprétation des textes coraniques. »

Le Quotidien d’Oran

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