La culture algérienne endeuillée par la perte d’un grand comédien / Abdelkader Tadjer ou quand professionnalisme règne avec bonté
Le monde du cinéma et du théâtre est endeuillé, encore une fois, par la disparition d’un grand homme du septième et du quatrième art, Abdelkader Tadjer, qui a marqué la scène artistique algérienne et collaboré avec plusieurs artistes, laissant derrière lui, un riche répertoire artistique.
Il a été inhumé, dimanche passé en présence d’une grande foule, venue lui dire adieu, au cimetière de Sidi M’hamed à Alger. Suite à cette triste nouvelle, quelques personnalités du milieu artistique ont apporté leurs témoignages sur le défunt artiste.
Mohamed Yahiaoui, Directeur du Théâtre national algérien : «La scène artistique et culturelle vient de perdre un grand pilier du septième art. Abelkader Tadjer a énormément offert au théâtre, soit dans l’interprétation, la mise en scène ou la direction d’acteurs. Cet artiste hors du commun avait une vision artistique profonde, ce qui a fait de ses œuvres une réussite.
Tadjer est un exemple pour les générations à venir.». De son côté, l’homme de théâtre et metteur en scène, Omar Fetmouche, nous confie avec beaucoup d’émotion : «Abelkader Tadjer était un grand Monsieur et un grand comédien.
C’était un artiste complet. Nous l’avons vu dans plusieurs rôles, c’est quelqu’un qui a fait des choses extraordinaires pour le septième art. Il pouvait encore donner plus pour le théâtre. Il a aussi monté plusieurs pièces, soit au niveau du Théâtre national algérien ou autre. Il a travaillé avec Slimane Benaïssa, où j’ai eu l’honneur de le voir à l’œuvre dans la pièce « Babor Ghraq ». Je peux vous dire qu’il excellait dans son jeu. Hélas, c’est une bibliothèque qui vient de partir, il laisse derrière lui un grand patrimoine. C’est un grand artiste qui mérite tout notre respect.»
De la sensibilité et du talent dans les rôles de composition
Le spécialiste et critique du quatrième art algérien, Ahmed Cheniki, nous dira que « Abdelkader Tadjer est un grand homme », en révélant qu’ « il était d’une sensibilité extraordinaire. Au niveau du jeu, c’est quelqu’un qui arrivait, ce qui est qui rare dans le métier de comédien, à jouer le rôle de composition. C’est-à-dire qu’on retrouve toujours les comédiens qui reproduisent constamment les mêmes tics sur scène, avec Abdelkader, c’est quelqu’un qui s’était libéré un peu de lui-même et de ses habitudes, et chaque fois, il campait un autre personnage».
Il donne en exemple pour ses propos le rôle interprété par le comédien dans la pièce « Babor Ghraq », de Slimane Benaïssa, «quand il a remplacé à l’époque Sid-Ahmed Agoumi. Il a donné au rôle une dimension tout à fait différente de celle de Sid-Ahmed. Il y avait une autre lecture du discours de la pièce, à partir de la performance de Abdelkader, même dans sa relation avec les autres comédiens».
M. Cheniki ajoutera, également, que «Tadjer a fait du cinéma et a aussi travaillé avec beaucoup d’hommes de théâtre. Mais, il ne s’intéressait pas uniquement au théâtre, car il avait compris qu’on ne peut être un bon comédien si on ne s’intéressait pas aux autres arts.
Il a été marqué par le chaâbi et par la musique, on pouvait discuter avec lui, notamment sur le cinéma et aussi la musique, des heures et des heures, il était intarissable sur tous ces plans. Il m’avait dit qu’il devait comprendre d’abord tous les rôles et les personnages de la pièce pour comprendre son propre personnage, sinon il ne pourrait pas faire une bonne interprétation». L’intervenant abordera aussi le côté humain de Tadjer et sa grande générosité, dont tout le monde en témoigne. « Il avait un sourire qui ne le quittait pas. Je ne me souviens pas, une seule fois, ne pas avoir vu Abdelkader sourire, c’est extraordinaire !»
Un professionnel généreux au sourire éternel
D’autre part, le metteur en scène Ziani-Chérif Ayad nous affirmera : « Nous n’avons pas énormément travaillé ensemble, par contre, ce qu’il faut retenir de lui, en dehors d’être un bon comédien, c’est cet esprit de professionnel qui n’existe malheureusement pas aujourd’hui chez la jeune génération. Il avait le sens de la discipline dans le travail. Je suis venu un peu plus tard dans le métier, ce que j’ai appris de cette génération, c’est cette façon de considérer ce métier comme quelque chose de très sérieux, ce n’est pas un amusement comme certains le pensent. Tadjer avait cette discipline dans les horaires de travail, dans les répétitions.
Cette génération considérait le théâtre comme étant un vrai métier. C’est quelque chose qui m’a vraiment marqué chez la génération de Tadjer et celle avant lui, comme celle de Rouiched. » En ajoutant : « Tadjer fait partie de la deuxième génération venue au TNA, après les monstres tels que Keltoum. Ils avaient l’esprit de professionnalisme, ils étaient sérieux dans les répétitions, dans les tournées et se concentraient avant les représentations». M. Ziani expliquera : «Malheureusement cela se révèle davantage, aujourd’hui, comme étant quelque chose qui disparaît de plus en plus de nos scènes et nos théâtres.»
Une vie entièrement dédiée au métier de comédien
Né en 1939, Abdelkader Tadjer avait commencé une carrière dans le quatrième art en tant que comédien et metteur en scène puis, dramaturge, avant de faire son entrée dans le monde du cinéma et camper plusieurs rôles.
Au théâtre, il avait commencé sa carrière au lendemain de l’indépendance de l’Algérie et Acôtoyé Mohamed Boudia, Mustapha Bouhrir et Hadj Omar. Au Théâtre national, il avait monté plusieurs pièces dont « Jupiter», « Atomes, Mizan El Ghaba » ou encore « Madinet El Hob ». Il a également été l’auteur de scénarios de deux longs métrages de fiction « Amours interdits » (1987) et « Rai » (1988). Abdelkader Tadjer avait également campé des rôles au cinéma dans des œuvres comme « Les rues d’Alger » (2002), « Chacun sa vie » (2007), ou encore « Qeddach thabni » (2011).