Quand la monarchie vit aux crochets de ses sujets Le revenu annuel par tête d’habitant au Maroc était en 2009 de 4 950 dollars, soit moitié moins que celui des Tunisiens et des Algériens. Pourtant, ce pays pauvre doté d’un État faible est une source inépuisable de satisfaction pour le roi.
En s’octroyant la plus grande partie de l’économie du pays, il accroît une fortune personnelle déjà immense, tandis que le budget (modeste) de l’État prend en charge toutes ses dépenses. Règle numéro un: le souverain et sa famille ne paient aucun impôt. Règle numéro deux : sur ce sujet, l’opacité et le silence sont la règle, et cette très généreuse « couverture sociale» octroyée au monarque et à ses proches ne souffre aucun débat.
La première Constitution, élaborée en 1962 par Hassan II, mentionnait pudiquement: «Le roi dispose d’une liste civile.» Près de cinquante ans plus tard, le projet de la nouvelle Constitution, élaboré par son fils, reprend, en son article 45, les mêmes termes lapidaires. Une discrétion à laquelle les membres du Parlement sont sensibles. Toutes tendances politiques confondues, ils votent chaque année sans discuter, et à l’unanimité, le budget annuel octroyé à la monarchie.
Pour expliquer cette touchante passivité, un député confia un jour à un journal marocain : «Généralement, on n’ose même pas prononcer les mots “budget royal” au moment du débat sur la loi de finances1.» Mohammed VI se voit ainsi verser chaque mois 40000 dollars, un salaire royal dans tous les sens du terme, puisqu’il est deux fois plus élevé que celui du président américain et celui du président français.
Les pensions et salaires royaux, d’un montant annuel de 2,5 millions d’euros, englobent les émoluments versés au frère du roi ainsi qu’à ses sœurs et aux princes proches2. Le tout sans qu’il soit dit un mot de la ventilation entre eux. Tous les membres de la famille royale perçoivent en outre leur propre liste civile, versée par l’État marocain en contrepartie de leurs activités officielles; le plus souvent bien modestes.
La générosité du contribuable marocain, mis ainsi à contribution, sert à financer celle du roi. Sous la rubrique « Subventions du roi et de la Cour 3 », 31 millions d’euros (310 millions de dirhams) sont en effet octroyés au souverain afin qu’il les redistribue, selon son bon vouloir, en dons et subventions. Une somme dont l’usage échappe naturellement à tout contrôle, mais on sait qu’au temps d’Hassan II elle servait en partie de caisse noire pour s’assurer les faveurs de certaines personnalités politiques, marocaines ou étrangères, et récompenser pour sa fidélité l’étrange tribu française des « amis du Maroc », composée de journalistes, d’académiciens, de médecins, d’avocats et d’anciens responsables des services de renseignements…
Chaque année, tous ces «bénéficiaires» recevaient un carton d’invitation frappé aux armoiries royales, les conviant à la fête du Trône, ainsi que des billets d’avion de première classe. Dans la cour du palais, inondée de soleil, où se retrouvaient tous les corps constitués, ils formaient une masse sombre, distincte.
La Légion d’honneur à la boutonnière, pour la plupart d’entre eux, ils respiraient la satisfaction et la respectabilité. Manifestement honorés de faire partie des «élus», ils attendaient avec impatience le moment où ils pourraient enfin s’incliner devant le roi en lui baisant la main. Pourtant, cette tribu était aussi prudente que vaniteuse. Pour rien au monde elle n’aurait renoncé à ses privilèges, mais elle répugnait à s’impliquer dans la défense du souverain.
Chaque attaque contre Hassan II les trouvait silencieux, gênés, comme absents. Le seul qui défendit, et avec courage, le roi du Maroc fut l’animateur Jacques Chancel. Par contraste, Maurice Druon, le secrétaire général de l’Académie française, qui se réjouissait tant de côtoyer le roi du Maroc, se réfugia toujours dans un silence prudent.
Le Roi Prédateur