“Il n’y a pas de réussite ou d’échec, de victoire ou de défaite, mais quelque chose qui s’appelle le devoir”

Qui est-il ? Muḥand u Ɛabdelkrim Al Xattabi (1882-6 février 1963)
Commençons par ce qui est acquis : Muḥand u Ɛabdelkrim Al Xattabi est un personnage historique. Pas un demi-dieu. Pas un surhomme non plus, comme le disent certains. Il est entré dans l’Histoire par la grande porte, à la faveur de son œuvre accomplie de son vivant, et son retentissement à l’international.

De son vivant, il fut à la fois, un résistant, un magistrat (Qaḍi) un politicien et un stratège militaire talentueux, un homme d’Etat, un magistrat suprême d’une république, un penseur, un bâtisseur d’une école de pensée, un génie de son époque, un héros, un maitre à penser, un fils du pays, un fils d’une époque révolue, … Rifains ou pas, tout le monde se retrouve d’instinct dans son parcours. Il était écouté et respecté de son vivant, aujourd’hui, son legs est revendiqué, pour des raisons diverses et parfois même antagonistes. En tout état de cause, il y a toujours ce rapport d’admiration et d’affection. Nombre de contemporains assume plus ou moins l’essentiel de sa pensée, ce pourquoi il s’est battu. Aujourd’hui, c’est indéniable, il fait partie du subconscient collectif comme un modèle, un référence historique prestigieuse. Au fil du temps, une filiation spirituelle s’est institué. Son legs est toujours actuel, et galvanise toujours contres les formes d’oppressions présentes. Un terme a été inventé : Amuḥandiw (Imuḥandiwen) épithète de celui qui s’inscrit dans la lignée directe de “Muḥand”.

Résistant (Amjahd), vainqueur des Espagnols, rassembleur en confédération d’une myriade de tribus rifaines, fondateur (Avec ses collaborateurs) et président de la république des tribus confédérés du RIF, initiateur d’une discipline collective et d’une identité politique, une figure marquante de l’internationalisme, de l’anticolonialisme,… c’est avec lui que nait le RIF national, en tant qu’entité-nation, quand bien même le territoire appelé aujourd’hui le RIF, existe bien avant lui.

Même si la réalité est plus complexe, on garde de lui toutes ces désignations et ces représentations, cependant, les vicissitudes du temps aidant, un glissement s’est opèré de l’Histoire vers la légende : Muḥand l’historique VERSUS Muḥand le légendaire

A force de parler de Muḥand le légendaire on éclipse Muḥand l’historique. Ce qui est sûr, Muḥand reste un être humain, enfant de son temps, avec ses torts et ses forces. Il n’était pas si parfait que ça. Quoi qu’on écrive sur lui, une grosse partie de sa personnalité restera méconnue, il en est ainsi de son univers mental, ses convictions et ses modes de pensée qui font l’objet de spéculations et d’interprétations. Aucune représentation ne peut rendre l’essence de l’homme.

Au fil du temps, il a été mythifié, par l’ampleur de ses exploits. Il y a beaucoup d’abus, des récits légendaires qui circulent sur son compte, dont les éléments ne correspondent pas avec la réalité intégrale. La tradition orale, les récits, enveloppés de légendes, rapportés par les orientalistes, et la fiction forgée par l’élite rifaine elle-même, et celle forgée d’autre part par l’historiographie marocaine, ont contribué à ce tresser ce mythe, et cette légende. Tous ces romans n’ont rien d’historique et de véridique, du coup il a été simplifié et déformé.

Comment expliquer pour la partie rifaine ? Scientifiquement, je pense que cela comble une lacune en nous, car nous avons du mal à faire face à notre temps, on exhume cette figure, ce repère, ce mythe libérateur. Aussi, nous avons recours à des histoires inventées de toutes pièces, pour compenser, et satisfaire nos besoins : Un idéal qui permet de garder l’unité des rifains dans leur diversité, un homme du ralliement, un libérateur, un inspirateur. Dans son évocation, il y a constamment le désir d’existence, un épouvantail, un besoin d’entretenir des liens avec l’Histoire, de fortifier le sentiment révolutionnaire, ou tout au moins de rébellion. A la guerre comme à la guerre !

Un autre avatar de cette fiction, c’est qu’aujourd’hui, dans l’iconographie du mouvement populaire et pacifique dans le RIF | Hirak, de nombreux photomontages circulent sur le net, sur lesquelles sont représentés délibérément, en juxtaposition, le visage de N.Zefzafi et celui de Muḥand u Abdelkrim Al Xattabi. Cette représentation est typique de cet état d’esprit simplificateur , déformateur. Un raccourci absurde, via lequel qui a tendance à rabaisser, et à dénaturer l’Histoire , à appauvrir et à rétrécir la pensée de l’homme. Une conception faussée, faite consciemment ou inconsciemment, avec beaucoup de sous-entendus idéologiques. Il n’était pas quelconque, aussi ne nous amusons pas à jouer de toutes ces associations étriquées. Préservons l’usage de l’Histoire politique pour les générations futures.

Pour l’anecdote, cette optique me fait penser à une affiche symbolique, sous l’URSS, confectionnée en 1953, qui représente les visages des leaders historiques du mouvement communiste : Marx, Engels, Lénine et Staline, instituant l’idée de la continuité et la légitimité révolutionnaires

« ليس الفتى من يقول كان أبى ولكن الفتى من قال ها أنا ذا »

« Le jeune ne doit pas exister à travers ce qu’a réalisé son père mais par ce qu’il est capable de réaliser lui-même » Al Hajjaj Ben Youssef, un gouverneur omeyyade.

Ce que je déplore, c’est que ses enseignements se sont effacés au profit de la vénération d’une personne devenue un symbole.

Tout en suivant sa voie, tout en restant accroché à sa mémoire, à son souvenir, nous devons mettre en évidence nos propres capacités à bâtir de notre présent, à être maitres de nous-mêmes. De la même façon que lui, il a saisi la géopolitique de son époque, les paramètres de son siècle, et les contingences de l’époque, ceux des affrontements politiques , des rapports de force, de la guerre, de la paix, des alliances, il en a tiré avantage et a fait irruption dans l’Histoire ; il a fait le cheminement qu’est le sien, et s’est faufilé au milieu de toutes les hostilités, ESSAYONS de faire de même, de marcher sur ses traces. Pratiquons ses enseignements et commandements, et demandons-nous en quoi il peut nous être utile aujourd’hui et aux générations ultérieures, pour réaliser l’idéal d’un peuple libre et émancipé et en quoi sa mémoire est importante? Ce qui est certain, n’essayons pas de reproduire de ce qu’il a fait, nous n’y arriverons pas, mais on doit envisager ce travail comme la continuation d’un projet inachevé d’une lutte continuelle, pour la construction de soi, avec les forces et les énergies disponibles.

Quelques citations de Muḥand u Ɛabdelkrim Al Xattabi

· « Il n’y a pas de réussite ou d’échec, de victoire ou de défaite, mais quelque chose qui s’appelle le devoir. j’ai fait de mon mieux. ».

· « Réfléchis posément et frappe de toutes tes forces. »

· « Nul compromis dans la revendication de liberté »

· « Je ne vois dans cette existence que la liberté, en dehors d’elle tout est faux et injuste »

· « Le RIF est soucieux d’établir un système de gouvernement pour lui seul, qui dépende uniquement de sa propre volonté; il veut établir ses propres lois et traités commerciaux afin d’être le protecteur de ses droits sur le plan intérieur et international »

Rachid Oufkir