Le jardin secret du roi Attentif à ses intérêts, Hassan II a toujours veillé à ce que la famille royale – et d’abord lui-même – bénéficie de revenus financiers conséquents. Mais, omniprésent dans le champ politique, il se désintéressait fondamentalement des questions économiques.
Son successeur, lui, demeure une véritable énigme politique: inexistant sur la scène internationale, souvent absent de la scène intérieure, il n’a jamais accepté d’être interviewé par un journaliste marocain, n’a jamais accordé la moindre conférence de presse, et il paraît se désintéresser de la politique comme de son pays.
En revanche, hyperactif dans le contrôle de ses affaires, il semble regarder le Maroc comme un marché captif soumis à son bon vouloir. Le goût des bonnes affaires est le jardin secret du roi, un secret qui fut longtemps soigneusement gardé par ses conseillerscourtisans, mais un jardin qui s’étend aux frontières du royaume. Cette prédation autarcique traduit un étrange aveuglement au moment même où l’Histoire, dans le monde arabe, est en mouvement.
La dénonciation de la corruption était en effet au cœur des slogans lancés par les peuples qui ont eu raison des régimes autoritaires en Tunisie, en Égypte et en Libye. Au Maroc, les manifestations qui se déroulent ces temps-ci à travers le pays mettent nommément en cause les deux collaborateurs les plus proches du roi et stratèges de sa mainmise sur l’économie et la politique du royaume.
Dans un univers aussi soigneusement codé et feutré que le Maroc, ces attaques visent en réalité la personne même du souverain, auquel il serait sacrilège de s’attaquer frontalement. Aussi l’annonce par Forbes en 2009 du montant supposé de la fortune royale rendit-elle les proches collaborateurs du roi extrêmement nerveux.
Le 1er août 2009, le Palais, par le biais du ministre de l’Intérieur, fit saisir et détruire le dernier numéro du magazine indépendant TelQuel et sa version arabophone, Nichane. Motif: la publication d’un sondage à l’échelle nationale pour savoir ce que les Marocains pensaient du souverain. Un cas de censure odieux, mais surtout absurde: le peuple portait un jugement positif sur l’homme monté sur le trône dix ans plus tôt.
Le porte-parole du gouvernement et ministre de la Culture usa alors d’une formule péremptoire: «La monarchie ne peut être mise en équation.» En équation peut-être pas, mais en chiffres certainement, d’où l’inquiétude qui s’emparait de ces exécutants à la manœuvre. Principe de base au Maroc, sécrété par le système: tout homme détenteur d’une parcelle de pouvoir est un courtisan s’efforçant de toutes ses forces de défendre le roi pour mieux se protéger lui-même.
Le Monde, qui publia les résultats du sondage, fut interdit deux jours plus tard au Maroc. Les autorités marocaines récidivèrent ensuite en bloquant l’édition du quotidien en date du 22 octobre 2009. Sa une exhibait un dessin de Plantu montrant un personnage coiffé d’une couronne, tirant la langue avec ce qui ressemblait à un nez de clown. La légende mentionnait: « Procès au Maroc contre le caricaturiste Khalid Gueddar qui a osé dessiner la famille royale marocaine1.»
Désormais l’opinion se fait entendre dans les pays arabes. Une irruption fâcheuse, qui perturbe la stratégie et complique les objectifs des dirigeants en place. Sauf au Maroc, où, impavides, le roi et ses exécutants continuent de se livrer à la prédation.
Le Makhzen est le mot par lequel on désigne l’appareil d’État entourant le souverain. Ses caractéristiques: une soumission aveugle aux ordres du monarque et un désir effréné de satisfaire des besoins que la position occupée au sein de la hiérarchie permet d’assouvir. Pour les hommes du Makhzen, le Maroc n’est qu’une mine à ciel ouvert où l’on est susceptible de puiser en toute impunité. Un monde où le sens de l’intérêt général et de l’intérêt national n’existe pas. C’est ainsi que le souverain marocain et ses proches conseillers pratiquent cette forme dégradée du pouvoir qu’est l’abus permanent.
Source: Le Roi prédateur