Liberté de la presse au Maroc : la honte

Le Journal Hebdomadaire, mai 2009

Malgré les belles paroles du gouvernement, la liberté de la presse souffre toujours d’injustices.

«Le Maroc a la conscience tranquille dans le traitement qu’il réserve à la liberté de la presse. C’est un pilier fondamental, comptant parmi les acquis politiques réalisés sous la sage conduite de SM le Roi Mohammed VI qui croit fortement en la liberté de la presse et qui en est le premier défenseur», a déclaré sur les ondes nationales Khalid Naciri, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, le dimanche 3 mai, pour la Journée mondiale de la liberté de la presse.

A cette occasion, le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) a rendu public un rapport affirmant que «cette année, il n’y a pas eu de changement majeur par rapport aux années précédentes». Pour Younès Moujahid, président du SNPM, s’il y a toujours un statu quo au Maroc, c’est parce qu’il n’y a pas eu de réforme du Code de la presse. Il dénonce le manque de protection des journalistes, pointant du doigt le problème de la justice : «Il y a eu des agressions contre les journalistes, le problème est qu’ils ne sont pas protégés». Les journalistes se font régulièrement violenter ou confisquer leur matériel par des policiers ou des éléments des forces auxiliaires.

Dernière bavure en date : le 10 février 2009, les forces de sécurité ont fait une perquisition dans les locaux de l’hebdomadaire arabophone Al Ayam, coupable de détenir une photo (non publiée) de la mère du roi. Moujahid explique qu’une loi existe au Maroc afin de protéger les citoyens lorsqu’ils sont victimes d’agression et qu’une autre reconnaît le rôle du journaliste.

«Les textes sont pourtant clairs. Il y a des menaces contre les journalistes et la police doit faire son travail car le journaliste est exposé à des risques». Et d’étayer : «Chercher une information, ce n’est pas uniquement couvrir une conférence de presse, un travail dans un palais, au parlement ou dans un ministère, c’est aussi la guerre, les conflits, les manifestations…».

Concernant le travail des journalistes en question, le rapport du SNPM estime que la problématique du contenu et la concrétisation du principe du service public sont loin d’être au point. Et ce malgré toutes les initiatives prises pour la diversification du produit, l’accompagnement des évolutions technologiques et les nouveaux recrutements.

Le syndicat rappelle à l’ordre la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) en lui demandant de corriger les dysfonctionnements et de «veiller au respect des cahiers de charges et s’intéresser plus au contenu». La publicité dans les médias est également condamnée : «Elle avantage certains organes de presse qui bénéficient de privilèges et de soutien qui ne sont pas clairs, ce qui est contraire aux principes de transparence».

Lignes rouges. Dans son dernier rapport, Reporters Sans Frontières (RSF) classe le Maroc à la 122e place sur 173 pays en ce qui concerne la liberté de la presse.

L’ Algérie se classe juste avant ! L’organisation rappelle que si les journalistes peuvent aller loin dans leurs critiques, «les lignes rouges édictées par le Palais et connues de tous ne doivent pas être franchies : la religion, le roi et la monarchie, la patrie et l’intégrité territoriale ne sauraient être mis en cause». Des peines de prison pour délit de presse existent toujours dans le Code de la presse (article 41).

«Il y a beaucoup à faire en matière de liberté de la presse au Maroc. Ce n’est pas un régime parfaitement démocratique», constate Hervé Deguine, responsable de la recherche à RSF. Ce journaliste chevronné rappelle que le principe de la liberté de la presse consiste à ne pas empêcher les lecteurs d’accéder à l’information. «Ce qui est grave, c’est qu’on empêche encore les lecteurs d’acheter des journaux». Le 30 octobre 2008, le numéro 2991 de l’hebdomadaire L’Express a été interdit. Sa Une : «Le choc : Jésus-Mahomet.

Leur itinéraire. Leur message. Leur vision du monde». Hervé Deguine pense que ce n’était pas à l’Etat de juger de cette interdiction, mais aux Marocains eux-mêmes. «Par rapport à ce qui existait du temps de Hassan II, il y a certes une avancée mais il existe sans doute un rapport de force au sein du gouvernement entre les personnes libérales et celles plus conservatrices», ajoute Deguine.

Nous sommes aux antipodes des propos de Khalid Naciri qui pense que la consécration de la démocratie «n’est pas uniquement l’apanage de la classe politique ou des institutions, mais concerne en premier lieu les journalistes». Quant à la question de la blogosphère, trop négligée par le SNMP, «ce serait une erreur de ne pas se préoccuper de la liberté des blogueurs, prévient Deguine, même si on peut trouver n’im- porte quoi sur Internet, c’est tout de même le nouveau terrain de bataille de la presse».

Hicham Bennani