Clémentine Gutron et Ahmed Skounti
Il y a dix ans, L’Année du Maghreb consacrait un dossier à « La fabrique de la mémoire » (2008) avant de s’intéresser, dans sa livraison de 2014, aux « Besoins d’histoire ». Signe de l’évolution des modes historiographiques, c’est à présent à partir de l’objet « patrimoine » que ce numéro interroge la question du rapport des sociétés contemporaines au(x) passé(s). Il est donc conçu comme le troisième volet du triptyque « Mémoire, histoire, patrimoine » qui s’affirme aujourd’hui comme un champ de recherche bien établi. Et la conjoncture internationale dramatiquement marquée par la destruction de sites historiques au Mali, en Syrie et en Libye, liée à la montée des mouvements fondamentalistes islamiques, nous rappelle combien cette question du rapport au passé constitue un enjeu de société comme pour la recherche en sciences sociales.
Le spectre de la patrimonialisation
Le patrimoine, passé au cœur du présent ou passé recomposé, est devenu, au cours des deux dernières décennies, un objet de recherche à part entière. Hier encore, parfois même aujourd’hui au Maghreb, connoté d’archaïsme, il ne cesse de gagner du terrain au sein du champ de la culture. On ne compte plus les filières, les modules, les séminaires, les conférences qui lui sont consacrés dans les universités et les espaces culturels des pays maghrébins. Le nombre de publications, toutes catégories et langues confondues, ne cesse de croître. Les institutions et les législations se font l’écho de cet engouement social par la création d’entités spécialisées, l’élaboration de lois spécifiques et la conduite de politiques publiques en vue de préserver et de mettre en valeur toutes sortes de patrimoines. La ratification des conventions internationales en la matière inscrit ces politiques dans le cadre d’une globalisation culturelle principalement portée par l’UNESCO.
Or, s’il est une vérité dont on est sûr au sujet du patrimoine, c’est d’abord qu’il n’existe pas en soi (Smith, 2006 ; Bendix, 2009). Le patrimoine « est conventionnel » (Gob, 2017). On peut dire de tous ces objets ou ces pratiques, que l’on « patrimonialise » sous nos yeux en quelque sorte, qu’ils ne naissent pas patrimoine mais qu’ils le deviennent. De fait, ce sont des constructions sociales situées dans une temporalité donnée et inscrites dans un environnement déterminé, social, politique, économique, culturel et géographique. Le statut de patrimoine s’acquiert donc plus qu’il ne se transmet d’emblée ; on peut même dire, à la suite de Malraux, qu’ « il se conquiert ». On peut aussi ajouter que, parfois, il est « imposé ». Il pourrait donc être conçu comme un moment ou un processus de négociation culturelle et sociale qui porte sur un objet, une place ou un évènement (Smith, 2011).
Cette historicité du patrimoine souligne, d’autre part, les propriétés évolutives de la notion : l’on est ainsi progressivement passé « de la cathédrale à la petite cuillère », pour reprendre le titre bien connu de Nathalie Heinich (2009). À l’édifice monumental isolé, au site archéologique antique, à la ville historique issue du Moyen-âge, se sont ajoutés, de proche en proche, des sites rupestres, des bâtiments modestes, des ensembles architecturaux dits « vernaculaires », des ponts, des paysages oasiens, des bâtiments du xxe siècle. Plus récemment, la reconnaissance internationale d’expressions orales, de représentations, de connaissances, de pratiques sociales et de savoir-faire, tous rangés sous la dénomination de « patrimoine culturel immatériel », illustre une tendance, abondamment relevée, de l’élargissement significatif du spectre patrimonial.
Patrimoine vs turâth
1 . Un exemple de la discussion passionnée de ce rapport problématique au passé en Algérie et qui ill (…)
Néanmoins, le rapport au patrimoine demeure ambigu dans les pays du Maghreb, vraisemblablement reflet d’un rapport problématique au passé, à la mémoire1. Faute d’études plus nombreuses sur les rapports à cette notion somme toute relativement récente dans son acception moderne (Berriane 2010 ; Skounti 2010), il est difficile d’en saisir la signification et la portée. L’équivalent arabe turâth est loin d’épouser les mêmes contours du mot usité en français. Ici, le monument a été le noyau dur d’une construction lente et cumulative depuis la Révolution française ; là, au Maghreb, le livre manuscrit a longtemps matérialisé le prestige autant que l’ancienneté et la rareté. Il convient donc d’interroger la patrimonialisation de ce côté-ci de la Méditerranée : comment les choses et les pratiques sont-elles qualifiées comme patrimoniales ? Quels sont les acteurs, les mécanismes et les enjeux de ce processus ? Quelle part occupe le passé colonial de chaque pays dans ce processus ?
Cette dernière question mérite une attention particulière. Bien entendu, il serait tout à fait intéressant d’explorer des formes prémodernes de patrimonialisation. Force est, cependant, de reconnaître que l’intérêt pour les sites, les monuments et les objets du passé (au sens large) est d’introduction coloniale quels que furent, par ailleurs, les objectifs alors poursuivis. Les bases juridiques et institutionnelles en ont été jetées à cette époque. Que cet arsenal ait été orienté pour servir des objectifs de domination, cela va sans dire, mais il a permis, de facto, l’identification, la protection et la transmission d’un certain nombre de sites et d’objets qui figurent aujourd’hui au patrimoine des pays concernés. Peu de recherches se sont penchées sur cette période coloniale pour en étudier les politiques en matière de patrimoine (Oulebsir, 2004 ; Bacha, 2013). La période postcoloniale mériterait également que l’on s’y attarde pour savoir dans quelle mesure elle prolonge la période précédente ou s’en démarque dans la prise en charge des héritages du passé, y compris celui de la période coloniale elle-même (Gauthier-Kurhan, 2003 ; Gutron, 2010 ; Miller, 2017).
Patrimonialisation, mondialisation, appropriation
La création de la catégorie de « patrimoine mondial » au début des années 1970, à laquelle les pays du Maghreb ont adhéré, a étendu la notion de patrimoine au-delà des frontières nationales (Labadi & Long, 2010 ; Cameron & Rössler, 2013 ; Galla, 2013). Les sites naturels et culturels inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO recèlent désormais une dimension universelle. Les villes historiques et les sites archéologiques se taillent la part du lion parmi les sites maghrébins inscrits, de la Libye à la Mauritanie, en passant par la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Les sites naturels et rupestres ainsi que l’architecture de terre du domaine oasien arrivent en seconde position.
La catégorie, plus récente, de « patrimoine culturel immatériel », adoptée au début des années 2000, consacre la patrimonialisation comme une dimension de la mondialisation en marche. Elle vient institutionnaliser l’extension d’un périmètre en pleine progression. Les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, les rituels et événements festifs, les savoir-faire de l’artisanat sont désormais « patrimonialisables », au même titre que le furent et que le demeurent les monuments et les objets (Duvignaud et al., 2004 ; Jadé, 2006 ; Smith & Akagawa, 2009 ; Skounti & Tebbaa, 2011 ; Bortolotto, 2015). Hormis la Libye, les pays du Maghreb ont adhéré à la Convention de l’UNESCO sur le patrimoine culturel immatériel de 2003. L’Algérie, le Maroc et la Mauritanie comptent des éléments inscrits sur les listes instaurées par cet instrument normatif international. Les rassemblements festifs, les savoir-faire et la musique y sont prépondérants. Ce patrimoine étant largement partagé, on voit déjà pointer des polémiques autour de l’appropriation de pratiques sociales, de traditions culinaires ou d’artisanats.
Le patrimoine en question
L’objectif de ce numéro est d’analyser les problèmes que peuvent poser la construction, la transmission, la réappropriation ou la contestation du legs de l’histoire au Maghreb. Les contributions qui y sont rassemblées sont traversées par un nombre considérable de questionnements et d’interrogations sur ce qui fait le patrimoine, les enjeux de sa construction, les acteurs qui y sont engagés, les implications de tous ordres qui découlent de sa prise en charge, de sa revendication ou de son utilisation.
Antoine Perrier soumet à l’analyse un patrimoine bien particulier, celui lié aux modes de fonctionnement de l’administration de l’Etat central précolonial. En instaurant le Protectorat en Tunisie (1881) et au Maroc (1912), les autorités coloniales décident une patrimonialisation des monarchies beylicale et chérifienne. Elles exercent un tri dans les institutions des deux États afin de sélectionner certaines administrations, procédés scripturaires et techniques qui demeurent malgré la rupture coloniale. Cette stratégie de contrôle laisse en réalité aux souverains musulmans et à leurs serviteurs des armes contre la puissance coloniale. À travers deux cas d’étude (les actes de nomination du Sultan et la Cour du Bey), l’auteur étudie ce patrimoine considéré comme traditionnel mais qui apparaît si vivant et apte à être reformulé selon les circonstances politiques. L’examen de sources arabes met au jour cette forme de résistance qui ne se limite pas aux partis nationalistes et remet en cause les distinctions entre « modernité » et « tradition ».
La « tradition » est au cœur de la contribution de Habiba Aoudia qui s’efforce de retracer la genèse des musées d’art musulman créés sous le Protectorat marocain et dont l’apogée se situe dans les années 1920-1935. C’est l’époque où Prosper Ricard, personnage central de cette « patrimonialisation » en marche, dirigeait le Service des Arts Indigènes. Elle éclaire ainsi les mobiles de la création des musées et interroge le rôle tenu par l’institution dans le cadre d’une instrumentalisation politique de l’art élaborée par le Résident général Lyautey. Un modèle original de musée va émerger, héritier des expérimentations amorcées en Algérie de « rénovation » des arts traditionnels. L’auteure décrypte finement ce modèle, permettant par là-même de reconsidérer le concept de « musée colonial ».
Dans le domaine de ce que Jocelyne Dakhlia (1987) qualifie d’« altérité intérieure » en référence au judaïsme au Maghreb, Afef Mbarek étudie le patrimoine judéo-tunisien qui connaît aujourd’hui une véritable reformulation. La transformation de cet héritage en objet patrimonial a commencé dès l’époque coloniale, durant laquelle on observe les premières manifestations de sa reconnaissance et de sa protection. La protection juridique à travers le classement de la nécropole antique de Gammarth et de la synagogue la Ghriba de Djerba comme monuments historiques en est un exemple édifiant. L’auteure analyse les cas de ces deux sites, ainsi que celui de la Grande Synagogue de la Hara (quartier juif) de Tunis, détruite en 1960. Sont donc mis en relation des destins opposés, liés à l’existence ou à l’absence d’un processus de patrimonialisation de cet héritage. On comprend également combien le rôle joué par différents acteurs, communautaires et extracommunautaires, individuels et institutionnels, a compté dans l’émergence de cette composante du patrimoine tunisien.
La question des débuts du processus de patrimonialisation et des acteurs qui y contribuent est encore analysée par Mathilde Cazeaux au sujet, ici, du mausolée antique dit de Massinissa. Non loin de Constantine (Algérie) s’élève, en effet, un mausolée d’époque libyque appelé Soumaâ du Khroub ou « Tombeau de Massinissa », en référence au célèbre roi numide (202-148 av. J.-C.). L’article retrace les différentes étapes de la patrimonialisation de ce monument et examine le rôle joué dans ce processus par l’association d’un édifice à la mémoire d’un personnage historique. C’est, en effet, analyse l’auteure, au moment des campagnes scientifiques qui accompagnent l’armée de conquête française que la Soumaâ est répertoriée, décrite et représentée comme objet de patrimoine, et ce sont des savants français qui formuleront les premiers l’hypothèse de son attribution à Massinissa, au début du XXe siècle. Après l’indépendance, les spécialistes écarteront cette possibilité, mais les institutions et les médias algériens continuent de la désigner sous le nom de « Tombeau de Massinissa ». Et c’est autour de cette mémoire, en contradiction avec le « regard savant », que se construit la signification du site actuel.
Preuve s’il en est que la question de la reconnaissance patrimoniale ne dépend pas seulement des institutions et de la législation, mais aussi de la société. La contribution d’Idir Benaidja traite précisément du rapport de la population locale à un héritage issu de la période coloniale en Algérie, à savoir l’hôtel de ville d’une petite agglomération située au nord-est du pays : Kherrata. Il nourrit, ce faisant, l’intense débat sur la question de la patrimonialisation de ce cadre bâti. Il analyse notamment le rapport qu’entretient la population avec son hôtel de ville d’architecture coloniale. Il élargit l’investigation à d’autres bâtiments de la même époque. Il s’applique à comprendre comment se construisent, dans la durée, les représentations sociales du bâti colonial. Tout en apportant des éléments de réponse à ces interrogations, il ouvre, plus largement, la réflexion sur le rapport ordinaire au patrimoine colonial.
Hadizatou Traoré permet, par son étude sur un cas malien, de décentrer notre regard sur la question de la patrimonialisation. L’auteure étudie les conséquences des atteintes portées au patrimoine de Tombouctou dans le contexte de la crise sociopolitique traversée par le Mali depuis 2012. Elle pointe les limites d’une patrimonialisation extensive de sites historiques de la ville, progressivement vidés, sciemment ou non, de leur dimension religieuse pourtant centrale au niveau local. Elle interroge également la validité de l’idée patrimoniale, ou disons son caractère parfois surfait, en traitant des manuscrits anciens qui ont fait la renommée de la cité bien qu’étant encore assez méconnus. Elle examine de près les représentations divergentes du site, celles de l’Unesco, celles du courant islamiste salafiste qui remet en cause le culte des saints matérialisé par les mausolées et celles des habitants des lieux. Elle s’applique, à partir de données ethnographiques, à comprendre la place et le rôle des mosquées et mausolées au sein de la cité de Tombouctou aujourd’hui.
Limites et perspectives
Le présent dossier aurait pu être à la fois plus complet et plus représentatif des différentes facettes du phénomène de patrimonialisation. Force est de constater que les thématiques brièvement énoncées au début de cette introduction ne trouvent pas toutes écho dans les textes réunis ici. Preuve que la question mérite plus d’études et d’enquêtes sur le terrain où les expériences de patrimonialisation ne manquent pas.
Les limites se voient à la fois sur le plan historique et sur le plan spatial. Les restes de passés lointains patrimonialisés manquent à l’appel – des sites préhistoriques où les découvertes se succèdent aussi bien au niveau de l’histoire du genre homo (l’homme de djebel Irhoud au Maroc, à titre d’exemple, ancêtre d’Homo sapiens vieux de 315 000 ans) ou encore au niveau de la culture matérielle ou de l’art rupestre. Des sites entiers sur l’ensemble du territoire du Maghreb connaissent des sorts divers allant de la valorisation, même minimale, à la destruction, en passant par des stades intermédiaires. On peut en dire autant pour les vestiges antiques. La contribution de Mathilde Cazeaux est là pour montrer toute la complexité d’un processus de patrimonialisation qui voit s’opposer la précaution de la science et l’enthousiasme de la revendication militante. Par ailleurs, la répartition géographique des sujets traités dans les contributions ici réunies laisse entrevoir de larges espaces non représentés. Il convient, néanmoins, de reconnaître que certaines contributions couvrent l’ensemble du pays auquel elles se sont intéressées. Reste que peu de comparaisons ont été tentées.
Le patrimoine « mondial » du Maghreb aurait eu sa place au sein du présent volume. Pas moins de 31 sites maghrébins figurent sur la liste de l’UNESCO instaurée par la Convention de 1972. Les conditions qui ont présidé à leur sélection, proposition puis inscription méritent d’être étudiées. Le changement de leur statut et l’ensemble des implications juridiques, institutionnelles et économiques qui en découlent, y compris pour les populations qui vivent dans ou autour des sites, sont également à analyser par les sciences sociales. Les défis posés par leur préservation au regard des standards de ce que Laurajane Smith appelle l’Authorized Heritage Discourse (AHD) (Smith 2006) sont dignes d’être analysés, comme le montre, en partie, Hadizatou Traoré pour le cas malien de Tombouctou.
Au sein de cette catégorie de « patrimoine mondial », le « patrimoine naturel », avec ses parcs nationaux, les réserves de biosphère et les paysages culturels (autrement dénommés « parcs culturels » en Algérie), constituerait encore un observatoire pertinent pour interroger les pratiques et les politiques patrimoniales. Certains sites figurent sur les listes indicatives déposées par les pays maghrébins auprès de l’Unesco en vue de leur inscription future. Quelques-uns ont même été inscrits sur la Liste du patrimoine mondial : le parc national d’Ichkeul en Tunisie, le parc national du Tassili en Algérie ou encore le parc national du banc d’Arguin en Mauritanie. Interroger la nature ou la conjonction nature-culture comme catégorie patrimoniale pourrait être une piste de recherche future tout à fait intéressante, ainsi qu’en attestent les premiers travaux d’ampleur sur cette question (cf. notamment Artaud, à paraître).
Les conditions qui ont présidé à la constitution des collections des musées, la sélection des objets, les modes d’acquisition, les acteurs engagés, les circuits de circulation sont autant de domaines de recherche susceptibles d’éclairer la thématique patrimoniale, ainsi que l’a montré le texte de Habiba Aoudia. La transformation continue des musées publics, la création de musées privés et les patrimoines mobiliers sur lesquels ils portent, y compris les modes de constitution des collections et de leur exposition sont tout autant importants à étudier. Le trafic des biens culturels et les mesures prises ou non pour l’endiguer, y compris par la mise en œuvre la Convention de l’Unesco de 1970 ratifiée par les pays maghrébins, demeurent peu étudiés. La question de la restitution des biens culturels par les puissances coloniales en est un pendant toujours d’actualité au vu des développements récents, aussi bien au Moyen-Orient qu’en Afrique.
Le patrimoine industriel n’est pas en reste. Nombre de sites et de vestiges anciens ou récents connaissent un regain d’intérêt certain d’un bout à l’autre du Maghreb. Quelques rares expériences de préservation commencent à se faire jour. Les abattoirs de Casablanca, un temps menacés de destruction, ont été sauvés par la société civile et abritent depuis plusieurs années des manifestations culturelles et artistiques. On ne peut pas en dire autant de nombre d’usines désaffectées, partout dans les grandes villes, qui se dégradent et disparaissent sous le rouleau compresseur du marché immobilier.
Le patrimoine culturel immatériel aurait également mérité de figurer dans ce volume. Là, les expériences de patrimonialisation ne manquent pas. Les éléments inscrits sur les listes de la Convention de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) de l’Unesco sont déjà assez nombreux : sept au Maroc, six en Algérie, un en Mauritanie. Le processus de leur sélection, candidature et inscription sont révélateurs d’un processus de patrimonialisation nouveau où les communautés, groupes et individus qui détiennent et pratiquent le patrimoine en question ont leur mot à dire. La différence instaurée par l’inscription entre des éléments reconnus au niveau international et d’autres qui ne le sont pas (encore) ou ne le seront jamais est digne d’être examinée de plus près. Les querelles autour de l’appropriation de certaines pratiques sont symptomatiques des écueils qui entravent une mise en œuvre sereine de la convention de l’Unesco. L’exemple du couscous est intéressant à scruter. Après avoir alimenté les médias au sujet d’un désaccord entre l’Algérie et le Maroc, les deux pays, auxquels se sont joints la Tunisie et la Mauritanie, ont entrepris depuis le début de 2018 des réunions de concertation pour préparer une candidature commune autour de ce plat emblématique.
En définitive, le présent volume aura retenu, parmi tant d’autres propositions, des contributions qui reflètent l’état et les orientations actuels de la recherche sur la patrimonialisation au Maghreb, qui s’affirme comme un champ fécond. S’il est loin d’être exhaustif, il n’en est pas moins représentatif d’un éventail assez large des préoccupations de la communauté scientifique travaillant sur les processus de fabrication du patrimoine. Il a également le mérite de montrer les questions qu’il convient d’approfondir et les pistes qu’il est possible d’explorer.
Bibliographie
Artaud Hélène, à paraître, Poïétique des flots : une anthropologie sensible de la mer dans le Banc d’Arguin (Mauritanie), Pétra, coll. Univers sensoriels et sciences sociales, Paris.
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Yelles Mourad, « Pour en finir avec le Patrimoine ? Production identitaire et métissage dans le champ culturel algérien », Insaniyat, [En ligne], 12 | 2000, mis en ligne le 31 octobre 2012, consulté le 26 septembre 2018.
URL : http://journals.openedition.org/insaniyat/7890 ;
DOI : 10.4000/insaniyat.7890
Notes
1 . Un exemple de la discussion passionnée de ce rapport problématique au passé en Algérie et qui illustre l’inadéquation entre patrimoine et turâth est illustré par Yelles (2000).
Ahmed Skounti
Département d’anthropologie, Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine, Rabat, Maroc.