Reghis Rabah
Les discussions autour de l’échéance présidentielle sont soit suspendues aux lèvres du président sortant, soit s’éloignent peu à peu des préoccupations citoyennes. On est amené à constater avec amertume que l’élite politique considère le lien direct entre le mérite et le pouvoir dans le sens strict de légitimer sa démarche politique inégalitaire et la prendre comme une hypothèse pour toute approche perspective.
La première sortie d’une des reserves de cette élite politique en la personne de Mouloud Hamrouche n’a pas été bien comprise par le bas en se référant bien entendu aux commentaires qui s’en sont suivis. En dépit de la volonté de certains éditorialistes de la presse nationale pour la réorienter sous forme d’une attaque contre le régime en place, la tribune n’a pas eu l’écho escompté de la part de quelqu’un très apprécié par le bas.
En effet, l’ancien premier ministre n’a « épinglé » ni Bouteflika ni ses prédécesseurs et encore moins l’establishment. Il s’est épinglé lui-même par un langage « hyper intello » qui a brouillé son message parabolique difficile à décrypter par le citoyen lambda mais peut être compris 5 sur 5 par le haut, auquel cas, a quoi cela aura servi ? Pourtant la méthodologie d’approche a été excellente parce qu’elle s’appuie sur le passé pour mieux analyser le présent et appréhender le futur.
Fils de Chahid, membre de la famille révolutionnaire, issu lui-même du système, il a réussi par cette contribution à mettre une ligne rouge entre l’avant et après l’indépendance de l’Algérie. Les jeunes d’aujourd’hui comprendront s’ils se posent la question sur l’opportunité de la révolution algérienne de 1954 que la société algérienne fut une des plus dépossédées du monde : la colonisation de peuplement avait expulsé une partie de la paysannerie de sa terre et condamnait, par son existence même, les chômeurs ruraux à ne pas trouver d’emploi dans le secteur agricole.
La majorité des postes de cadres moyens ainsi que des fonctions administratives subalternes étaient dévolues aux Européens. Enfin l’identité algérienne elle-même était niée, le pays ayant un statut départemental tandis que l’arabe n’était pas enseigné dans les écoles. Le succès de l’insurrection du 1er novembre 1954 trouve là ses sources.
Tous les mouvements nationalistes fussent-ils petits -bourgeois, n’avaient d’autre programme que l’indépendance, d’autre idéologie que l’anticolonialisme. Donc le million et demi de martyrs morts pour la patrie n’a pas été vainement. Maintenant sa description de l’été 1962 pourrait être comprise comme l’incapacité des dirigeants qui sont venus après de comprendre ce qu’ils feraient de cette indépendance et donc ont tous échoué malgré que « l’homme du 19 juin ait repris ce combat là où il s’était arrêté, le souffle révolutionnaire reprenait ses droits. Beaucoup y avaient cru et s’étaient engagés » il s’est arrêté là pour ne pas citer la période du feu Chadli Bendjedid dont il était le premier ministre durant laquelle, il y a eu la réorientation de l’économie nationale qui a rendu vaine les efforts de deux décennies.
La deuxième sortie et certainement pas des moindres est celle de du général Ali Ghediri qui a décidé avec dignité de se porter candidat à cette échéance suprême. Il ne s’est pas écarté dans sa lettre aux Algériennes et aux Algériens de l’esprit du 1ér novembre et tous ses acquis. Il a fait un constat socio- économique opportun mais connu de tous les algériens. Il annonce que « le sursaut salutaire est possible » mais comment ? Il propose « remise en cause sans tabou de l’ordre établi » mais encore comment ? «par une rupture sans reniement » Il s’agit comme il le dit lui-même d’une assurance à la minorité qui détient 80% des richesses nationale « celle qui, s’accommodant de ce système ou de ce qu’il en reste , œuvre pour le perpétuer, qu’à l’écrasante majorité qui, tout en appelant le changement de tous ses vœux, en redoute les retombées » Mais ne souffle aucun mot sur le comment aura-t-il les coudées franches pour refonder l’État, l’état de droit, nettoyer nos institutions, restaurer la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.
1- de la théorie à la pratique
Il faut préciser d’emblée que même après la prise en main évoquée dans la tribune faisant certainement allusion au feu Houari Boumedienne, le socialisme en Algérie n’a pas été choisi par idéologie mais par nécessité de développement. Le départ massif des colons et la vacance des moyens de production notamment les terres agricoles dans un pays réputé « le grenier de Rome », n’offrait que le collectivisme pour leur gestion. Tandis que le systéme Westphalien, né après la guerre de trente ans était sous forme de traités qui font de l’Etat la forme privilégiée d’organisation politique des sociétés et la naissance du système inter- étatique moderne de l’Europe. Ces traités visaient surtout la souveraineté interne et externe pour éviter les conflits de frontière dans une Europe meurtrie par un manque d’équilibre de puissance.
La globalisation suivie par la mondialisation économique et sociale a contraint les pays concernés de l’abandonner peu à peu .Pourquoi ? L’Equation : société /Etat/Elite politique a changé de méthode de résolution. Ensuite on est toujours parti du principe que plus le temps passe plus la société évolue mais le vécu montre le contraire, on recule car les choses se faisaient mieux avant.
Avec la crise des flux migratoires, la surconsommation, la participation citoyenne et les fake news, les politologues aguerris invitent les élites politiques de s’inspirer de la Grèce antique de respectivement Alexandre le Grand, Epicure, Périclès et Socrate. Cela voudra dire que cette vieille société de vingt cinq mille ans, qu’on qualifie de polythéiste, belliqueuse, esclavagiste, misogyne et quoi encore avait inventé le débat démocratique et la citoyenneté ? Le droit écrit, l’art du discours, l’éthique, la philosophie et avait pu régler les dysfonctionnements qui semblent insolubles dans nos démocraties aujourd’hui. Pourtant, ces Grecques n’avaient pas de Technologie de l’Information et de la communication (TIC), laquelle technologie existe certes de nos jours mais pour nous renvoyer vers eux. Les issues de cette équation seront encore plus compliquées à l’avenir grâce aux artifices qu’offre cette TIC comme les réseaux sociaux( Facebook, Twitter, Instagram etc).
La relation élite politique/société ne se fera plus par le biais des intermédiaires comme les partis politiques, les syndicats, les ONG’s mais les grandes décisions seront directement soumises à la vox populi. Les exemples sont édifiants : Gilets jaunes en France, le mouvement 5 étoiles en Italie, la real politic de Trump aux Etats Unis, l’Autriche, etc. On n’en est pas encore là en Algérie mais les conditions économiques futures nous contraindrons d’y aller inévitablement. C’est pour cela que le discours de l’élite politique qui est direct devra impérativement être décomplexifié et lié directement aux préoccupations citoyennes.
Toutes les ONG proposent sur le plan économique des réformes de fond qui ne sont pas très différentes de celles que recommandait le Fond Monétaire International (FMI). Ces dernières demandent une audace managériale, très impopulaire mais pas que cela. Elles demandent au système de renoncer au pilier qui le cimente : la paix sociale qui pourrait se rompre à tout moment avec toutes les conséquences qui en découlent, octobre 1988 est la preuve irréfutable.
La réalité est que voilà depuis maintenant quatre ans, l’Algérie voit ses réserves de change fondre. La faute à un prix du baril de pétrole trop bas pour couvrir les dépenses de l’Etat soucieux de maintenir la paix sociale dans le pays. Les temps fastes semblent désormais révolus. Pourtant, l’élite politique et il en existe se focalise sur la personne de Bouteflika sans pour autant présenter une alternative crédible à cette dépendance des hydrocarbures ou éventuellement sur la manière d’amorcer le changement inévitable faute de succession charismatique du régime.
Les hydrocarbures représentent aujourd’hui près de 30% de la richesse du pays. Ils comptent pour 98% des exportations, et rapportent environ 70% des rentrées fiscales de l’Etat. Le niveau de vie des Algériens et la santé économique du pays se calquent aujourd’hui sur les prix du baril de pétrole dont la tendance n’est pas rassurante. 900 000 nouvelles bouches viennent chaque année. Les élections présidentielles vont avoir lieu dans quelques mois. Mais continuer sur cette voie implique des incidences budgétaires énormes et les finances de l’Etat pourraient être à sec d’ici à 24 mois si la démarche ne changerait pas de trajectoire. Faire tourner la planche à billets favorise l’inflation qui mènera droit vers le chaos vénézuélien. Le pouvoir actuel se retrouve donc devant un choix difficile, presque impossible. Le gouvernement veut assurer la pérennité financière de l’Etat et aimerait changer de politique budgétaire et mettre fin aux subventions publiques. Mais le risque d’un embrasement social est grand. Les mouvements sociaux de 2016-2017 ont freiné les plans de rigueur. Il faudrait que le baril de pétrole puisse remonter à près de 100 dollars pour résoudre à court terme les difficultés budgétaires sans déclencher des mouvements sociaux durs. Mais cela ne risque pas d’arriver
L’élite politique et les mouvements citoyens devront lâcher un peu Bouteflika pour présenter des alternatives d’une transition sans douleurs. Trouver les voies et les moyens pour réduire les dépenses publiques et procéder à une libéralisation intelligente en réorientant le privé vers des activités créatives au lieu de le laisser encrer ses ventouses vers le secteur public pour sucrer la rente pétrolière. Le système s’est habitué à l’économie de rente d’où son engouement pour les ressources non conventionnelles comme parades à ces échecs alors que les échéances pour ces difficultés sont très proches que d’attendre celles de l’exploitation du schiste qui pourraient dépasser une décennie sans compter l’aspect économique de sa rentabilité dans les conditions algériennes et celles de la concurrence du marché du gaz dans le bassin méditerranéen. Tout laisse croire que Abdelaziz Bouteflika sera candidat par procuration pour son dernier mandat ou éventuellement pourquoi pas son premier ministre actuel pour un programme de continuité. Il s’agira donc aux autres candidats de montrer aux électeurs où nous mènera cette continuité et quels sont les facteurs correctifs ? C’est aussi simple que cela !
* Consultant, Economiste Pétrolier