Mohamed VI : l’érosion constante de l’image du roi du Maroc

Ignacio Cembrero

Mohamed VI met la pédale douce sur ses voyages à l’étranger, mais les commentaires d’un acteur célèbre sur sa vie privée ou sa montre à plus d’un million d’euros continuent de nuire à sa réputation

Assis entre son fils, le prince Moulay Hassan, et Melania Trump, le roi Mohamed VI (55 ans) s’est endormi trois fois le 11 novembre tandis que le président français Emmanuel Macron prononçait son discours à l’occasion du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Les caméras ont capté ce moment et les images du monarque dans les bras de Morphée, fulminé du regard par le président Donald Trump, ont fait le tour du monde. Des centaines de médias, de la chaîne de télévision yankee Fox News au journal péruvien El Comercio, les ont reproduites sur leurs sites ouèbe.

La presse marocaine, en revanche, a omis de faire écho à la courte sieste qui a suscité des milliers de commentaires sur les réseaux sociaux, dont beaucoup de la part de Marocains. Les sujets du monarque plaisantent, mais dans les maisons de Casablanca ou de Rabat ils s’interrogent aussi sur la cause de ce sommeil prématuré : a-t-il eu une mauvaise nuit, est-il malade, fatigué, prend-il des médicaments qui le provoquent ? Il n’y a pas eu de réponse à ces questions, mais le ministère marocain des Affaires étrangères a fait circuler, pour compenser les dégâts, une photo dans laquelle Trump a été vu saluant cordialement le souverain alaouite.

Alors que le Makhzen pensait avoir surmonté le faux-pas parisien, le malheur suivant s’est produit pour le monarque. Une fois de plus, la presse marocaine l’ignore, mais au Maroc on n’a parlé que de ça et la vidéo sur laquelle elle est basée a battu des records d’audience. Bachir Skiredj, Tangérois de 79 ans, est l’un des acteurs les plus populaires du Maroc : le roi Hassan II, père de Mohamed VI, lui a commandé plusieurs pièces. Il a côtoyé la famille royale pendant des années. Formé en France et en Espagne, il a travaillé avec les frères Tonetti [les 2 clowns d’Espagne les plus fameux de la seconde moitié du siècle dernier, NdT], s’est produit dans ces deux pays européens et aux USA où il possède deux chaînes de télévision locales.

Allongé sur le canapé rouge de sa maison de Tanger, Skiredj est apparu au milieu du mois dans une vidéo répondant à des questions sur la vie privée de Mohamed VI. Ce qu’il dit du roi pourrait relever du code pénal marocain. Les propos de l’acteur sont parsemés d’insultes envers le souverain.

« C’est un pédé », dit-il (en espagnol) à la minute 6’50 », expliquant que les fils du roi ne sont pas ses fils.

La vidéo et ses insultes ont été téléchargées sur YouTube et Facebook et depuis, Skiredj n’arrête pas de s’excuser dès qu’il voit un micro. « Les mots qui m’ont été attribués sont haineux, dit-il. « Jamais dans l’histoire du Maroc les Skiredj, fidèles serviteurs de la famille royale, n’ont osé les prononcer », ajoute-t-il. Il les a prononcées mais parce qu’il a été drogué, explique-t-il, par deux jeunes hommes, Issam et Khalid, qu’il a dénoncés et qui auraient même été arrêtés à Tétouan. Une petite poignée de médias ont repris les excuses présentées par l’acteur – la plupart omettent le sujet – mais à aucun moment ils n’expliquent quels termes il a utilisé pour outrager Mohamed VI.

Quelles étaient les intentions des personnes qui ont enregistré le vidéo ? Probablement se venger des conditions de travail tristement célèbres que l’acteur leur a offertes pour travailler dans un spectacle. Celui qui ne pourra plus travailler au Maroc est probablement Skiredj lui-même, selon les spéculations des milieux journalistiques à Rabat et Casablanca. L’épisode de Skiredj s’ajoute aux épisodes précédents qui ont érodé l’image de la monarchie.

Le magazine espagnol ¡Hola! a révélé en mars dernier que Mohamed VI avait divorcé de sa femme, la princesse Lalla Salma, qui n’a pas été vue en public depuis presque un an. Bien que légal, le divorce d’un chef d’Etat n’est pas entièrement bienvenu dans une société musulmane conservatrice comme le Maroc. C’est peut-être pour cela que le makhzen n’a jamais confirmé les révélations de ¡Hola!

Début septembre, le roi est apparu sur une photo dans laquelle il montrait à son poignet, comme l’a révélé le compte Instagram Luxury Life, une montre Nautilus de l’horloger suisse Patek Philippe, d’une valeur de 1,2 million de dollars (1,05 million d’euros) en raison des diamants dont elle est sertie. A cette occasion, une partie de la presse a répercuté l’information qui a même atteint les habitants des misérables bidonvilles d’Errigui et d’Eljadid dans la banlieue de Casablanca. Alors, lorsque les forces de sécurité ont tenté de les expulser à la fin du mois, ils sont descendus dans la rue et certains manifestants ont montré avec indignation leur montre devant la caméra, déclarant qu’ils les avaient payées un prix ridicule, moins de cinq euros.

Dans les manifestations populaires « il y a un changement de ton devant le monarque », a noté le journaliste indépendant Reda Zaireg en octobre dans le journal en ligne Yabiladi. « (…) La critique est désormais plus directe et prend des proportions sans précédent, ce qui constitue un rejet de l’État et de ses symboles », a-t-il ajouté. Il conclut par un pronostic risqué : « la monarchie n’apparaît plus inexpugnable ».

De J’aime à Je n’aime pas

Alifpost, petit journal en ligne destiné à un public marocain, mais dont le siège est à Grenade, est allé jusqu’à exiger le mois dernier que la famille royale Alaoui « rembourse une partie de la dette qu’elle a contractée avec le peuple (…) ». « Nous attendons de la monarchie qu’elle renonce à une partie de ses richesses au profit du peuple marocain « , a-t-il écrit. « Il ne s’agit pas de faire des dons directs aux comptes courants des citoyens, mais de prendre des initiatives concrètes dont bénéficie la nation, à commencer par les jeunes qui s’immolent par le feu ou se noient dans la Méditerranée, en la traversant pour chercher une vie meilleure ». La fortune du roi irait chercher loin. Le magazine US Forbes estime qu’elle s’élève à quelque 5,7 milliards de dollars (5 017 millions d’euros).

L’information sur le monarque, et pas seulement celle de la montre de luxe, est souvent agrémentée dans les journaux en ligne de commentaires peu respectueux, parmi lesquels se faufilent d’autres commentaires élogieux, généralement écrits par une légion d’internautes à la solde du makhzen. Même les discours et les actes de Mohamed VI affichés sur YouTube suscitent maintenant plus de Je n’aime pas que de J’aime. C’est pourquoi le ministre de la Communication, Mohamed Laarej, a publié en septembre un communiqué avertissant que « le directeur de la publication est tenu de ne diffuser aucun contenu qui constitue un délit (…) ».

Malgré ce récent discrédit de l’institution monarchique, de nombreux Marocains continuent à compter sur elle pour résoudre leurs problèmes quotidiens. La preuve en est que pour remettre une lettre avec leurs pétitions, il y a des citoyens qui n’hésitent pas à sauter sur l’entourage royal, le forçant parfois à s’arrêter pour ne pas lui marcher dessus. Le dernier procès pour ce crime a eu lieu à Salé fin septembre, et l’accusé a été condamné à pas moins de dix ans de prison parce qu’il s’est également heurté aux policiers qui l’ont arrêté.

La bonne réputation du Commandeur des croyants, autre titre détenu par Mohamed VI, s’est détériorée non seulement dans son royaume mais aussi en France, le pays le plus proche du Maroc. Jusqu’à présent, les autorités marocaines se plaignaient fréquemment de la presse espagnole, qu’elles comparaient à la presse française, qu’elles qualifiaient de « plus responsable ». Les choses ont changé. « Mohamed VI, un roi très absent », titrait le quotidien catholique parisien La Croix en avril dernier. « Maroc : Le roi Mohammed VI s’amuse et ça se voit sur Instagram », titrait la couverture de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur. Les deux médias et quelques autres ont enfin raconté ses longs séjours à l’étranger, notamment en France entre Paris et le château familial de Betz.

Mais celle qui décroche la palme de l’information irrévérencieuse est sans aucun doute la la radio publique France-Inter qui a aussi le fort taux d’audience, surtout ses informations matinales, écoutées par 3,8 millions d’auditeurs. Au cours des deux derniers mois, elle a consacré trois chroniques humoristiques matinales à Mohamed VI. Dans la première, le chroniqueur Anthony Bellanger le décrit comme « un roi virtuel pour ses sujets », ajoutant qu’il était « tombé amoureux » d’un boxeur de 32 ans nommé Abou Azaitar. Un mois plus tard, Charline Vanhoenacker concluait sa chronique radio satirique par l’allusion suivante à l’attachement supposé du souverain pour les lieux de fête : « Bref, le roi est nu, mais debout sur le bar de la discothèque ». Enfin, l’humoriste Aymeric Lompret a reproduit, avec force blagues*, ce qui aurait pu être, le 15 novembre, la conversation entre le roi et Macron à bord du TGV marocain qu’ils ont inauguré ensemble. Ces pilules d’humour sont inimaginables sur la Radio Nacional de España, l’équivalent espagnol de France-Inter.

La presse française est cependant quelque peu déphasée lorsqu’elle rend compte du Maroc. Depuis l’été, Mohamed VI a réduit ses voyages à l’étranger et a augmenté son activité dans son royaume dans une tentative évidente d’améliorer son image. A cause d’accrocs comme la vidéo de Skiredj, cet effort n’a peut-être pas encore eu l’effet escompté.

*Exemple : « – M6 : des TGV , j’en prends chaque soir 4 ou 5. -Brigitte :Comment ça ? -M 6 : ben oui des cocktails TGV : Tequila-Gin-Vodka » [NdT]

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