Malgré le vote d’une loi criminalisant le racisme, en octobre 2018, les mentalités n’ont pas changé et l’infériorité supposée des Noirs, venus d’Afrique subsaharienne ou de souche tunisienne, reste profondément enfouie dans le tissu social comme dans les esprits
Pour fêter le 173e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, a décidé de faire de la journée du 23 janvier de chaque année une journée nationale de l’abolition de l’esclavage et de la traite des humains. Il faut, en effet, remonter à 1846 quand Ahmed Bey 1er, lui-même fils d’esclave, décida par un décret beylical d’abolir définitivement l’esclavage, avant bien des pays développés dans le monde comme les Etats-Unis d’Amérique, en décembre 1865, ou encore la France où il a été définitivement aboli en avril 1848. Procédant par étapes, il avait commencé par fermer « le marché aux esclaves de Tunis et annoncé en décembre 1842 que toute personne née dans le pays était désormais libre ».
Pour éviter le mécontentement de la population blanche et assurer à son décret une couverture religieuse, il obtint au préalable des « fatwas des oulémas dont celle, sans précédent dans le monde arabo-musulman, accordée par le grand mufti Sidi Brahim Riahi ». N’empêche, le racisme ne prit pas fin pour autant et les vexations continuèrent à l’égard de ces Noirs qu’on appelait péjorativement « Abd » ou « Chouchen ». Les esclaves affranchis qui, selon les historiens, se comptaient par milliers, constituaient « un sous-prolétariat, végétant dans les petits métiers ou sans métier et vivant dans des habitations précaires ». Ils étaient, le plus souvent, marchands ambulants, masseurs dans les bains maures, domestiques ou nounous qu’on appelait « dada ».
La décision du chef de l’Etat est une juste reconnaissance de cet événement historique. Elle arrive à un moment où la Tunisie, pourtant pionnière dans ce domaine, connaît une flambée raciste sans précédent. Non seulement contre les ressortissants subsahariens mais également contre nos compatriotes noirs. La dernière en date est cette agression en plein cours d’une parente d’élève contre un instituteur à Sfax. Elle vient d’être arrêtée et sera jugée conformément à la récente loi du 23 octobre 2018, relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Il y a un mois, le 23 décembre 2018, dans la nuit, à La Soukra, Falikou Coulibaly, président de la communauté ivoirienne en Tunisie, a été assassiné par une bande de délinquants qui voulaient lui subtiliser son téléphone portable. La nouvelle qui se répand dans tout le pays suscite l’indignation et fait réagir la classe politique et les organisations des droits de l’Homme. Bien sûr, l’on s’est pressé d’amoindrir la portée de l’affaire en affirmant que le meurtre n’avait aucun mobile raciste : Coulibaly fut victime de jeunes délinquants qui l’ont pris pour cible comme ils auraient pris pour cible n’importe quelle personne qui se serait aventurée seule à cette heure de la nuit dans une capitale où les braquages sont légion.